Maroc – Espagne : mariage de raison
Entre Rabat et Madrid, les relations diplomatiques orageuses ont cédé la place aux bonnes affaires… que la visite de Juan Carlos, du 15 au 17 juillet, avait pour but principal de favoriser.
En remettant sur la table le projet de liaison fixe entre les deux rives du détroit de Gibraltar, le Conseil économique et social de l’ONU a ranimé un vieux serpent de mer – Hassan II et Juan Carlos en avaient lancé les études de faisabilité en 1979. Aujourd’hui, le projet semble réalisable, mais son financement (5 milliards d’euros au minimum) fait encore défaut. En visite officielle au Maroc du 15 au 17 juillet, le roi Juan Carlos, fait rare et « geste d’amitié » souligné par la presse espagnole, a invité dans sa délégation officielle tous ses anciens ministres des Affaires étrangères. Décryptage : la relation avec le Maroc est stratégique, elle dépasse les partis et les alternances.
Les Marocains se souviennent de Juan Carlos, larme à l’oeil, réconfortant le jeune roi Mohammed VI lors des funérailles grandioses de Hassan II, il y a quatorze ans. C’était l’époque où un certain enthousiasme soufflait à la presse des comparaisons entre la transition démocratique espagnole et le nouveau règne à Rabat. « Je l’appelle "oncle Juan", confiait Mohammed VI au magazine américain Time en juin 2000. Il fait presque partie de la famille. Nous nous entretenons souvent au téléphone et je lui demande conseil. […] La démocratie en Espagne convient parfaitement à l’Espagne. Mais il y a un modèle démocratique spécifique au Maroc. » Exit, donc, le modèle espagnol.
Un conflit pour un rocher
Les relations entre les deux rives de la Méditerranée ont connu d’ailleurs des hauts (parfois) et des bas (souvent). En juillet 2002, la crise de l’îlot Perejil (Leïla pour les Marocains) a mené les deux pays à deux doigts d’une guerre ouverte. Tout a commencé au matin du 10 juillet, lorsque six soldats marocains des forces auxiliaires débarquent sur ce petit rocher perdu dans la Méditerranée – à quelques centaines de mètres de la côte marocaine – dont les Espagnols revendiquent la possession. Au bout de une semaine, la patience espagnole s’épuise, l’assaut est donné et, dès potron-minet, une trentaine de commandos investissent l’îlot. Les soldats marocains sont mis aux arrêts. Protestations de Rabat, guerre des communiqués… Il faudra l’intervention du secrétaire d’État américain, Colin Powell, pour obtenir un arrangement entre les deux parties sur ce « rocher stupide » et revenir au statu quo ante.
L’évolution de l’exportation de l’Espagne vers le Maroc. © Jeune Afrique
Détente socialiste
Entre-temps, l’incident a privé le roi Juan Carlos et la reine Sofia d’assister à la cérémonie de mariage de Mohammed VI et Lalla Salma. La tension reste perceptible jusqu’à la fin du mandat du chef du gouvernement espagnol, José María Aznar, allègrement qualifié d’« ennemi du royaume » par la presse marocaine. L’ultime pied de nez d’Aznar fut de décorer, en février 2004, les forces d’élite qui avaient « repris » Perejil. L’arrivée du socialiste José Luis Zapatero quelques semaines plus tard ressemble à une délivrance. Avec l’alternance, les réunions de haut niveau reprennent. Juan Carlos effectue même sa première visite d’État dans le royaume, en janvier 2005. Même si des tensions passagères affleurent autour des deux enclaves espagnoles de Ceuta et Melilla (nord du Maroc), avec notamment la répression de l’immigration clandestine, les deux pays restent en contact.
Sur le Sahara occidental, l’ancienne puissance occupante soutient une solution négociée du conflit avec le Front Polisario. Les indépendantistes sahraouis, dont beaucoup ont des attaches familiales en Espagne, continuent d’y jouir du soutien d’un grand nombre d’associations, de médias et mêmes de stars du showbiz. Mais, crise oblige, l’Espagne voit surtout le Maroc comme un relais de croissance pour son économie à bout de souffle (27,2 % de chômage fin mars), et les entreprises espagnoles profitent de la forte demande marocaine dans le BTP, le textile et la sidérurgie. Le Maroc est désormais le deuxième marché à l’export de l’Espagne (hors Union européenne). De quoi faire rêver les patrons qui ont accompagné « El Rey » à Rabat.
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