Kenya : à Mathare, le chang’aa empoisonne

Dans le bidonville de Mathare, à Nairobi, capitale du Kenya, le chang’aa coule à flots. Poison pour le corps et l’esprit, cet alcool frelaté ne coûte presque rien. C’est là tout le drame.

Pour accélérer la fermentation, on ajoute du méthanol, du carburant, de l’acide sulfurique… © Celeste Hibbert/Transterra Media

Pour accélérer la fermentation, on ajoute du méthanol, du carburant, de l’acide sulfurique… © Celeste Hibbert/Transterra Media

Publié le 22 juillet 2013 Lecture : 3 minutes.

Ce dimanche matin, sous les toits de tôle rouillée du bidonville de Mathare, à Nairobi, des femmes bavardent autour d’une poêle à frire. Au milieu de la rue, des enfants enjambent le corps d’un homme étendu à même le sol et plongé dans un coma éthylique. À quelques dizaines de mètres de là, dans une étroite remise, vingt personnes chantent à tue-tête tout en buvant verre sur verre.

À Mathare, les bars – de minuscules cabanes en terre – ne ferment jamais. On y sert du chang’aa, un alcool produit à partir de millet, mais auquel on ajoute, pour le corser et accélérer le processus de fermentation, du méthanol, du carburant et même de l’acide sulfurique. Parmi les clients du jour, Joyce, une mère de famille : « Je n’ai ni travail ni mari, explique-t-elle, les yeux vitreux. Je n’ai rien à offrir à mes enfants. Le chang’aa, ça diminue le stress. » Au bord de la rivière utilisée pour le brassage de la boisson, Samy raconte qu’il boit « pour [se] réchauffer la nuit ». « À cause du chang’aa, je ne peux plus bouger mes jambes, bredouille-t-il encore. Mais qu’avons-nous d’autre comme raison de vivre ? »

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Des jeunes femmes ivres dès 10 heures du matin. © Celeste Hibbert/Transterra Media

Cécité

À 20 centimes d’euro le verre, c’est l’alcool le plus abordable du quartier. Encore faut-il ne pas être trop regardant sur la qualité… Des rats en décomposition ont déjà été trouvés dans des stocks destinés à la vente en gros. En 2010, le gouvernement kényan a recensé plus de 100 décès liés à son absorption, sans compter les nombreux cas de cécité causés par le méthanol. Pourtant, en 2012, 4 % de la population en consommait.

Il y a trois ans, les autorités l’ont légalisé, espérant mieux encadrer sa production. Surnommé Kill Me Quick, il doit désormais être produit sous licence et conservé hermétiquement, avec une étiquette de mise en garde. Mais le brassage illégal est toujours répandu. De vieux bidons d’essence continuent de cracher des vapeurs méphitiques, notamment grâce à la corruption des forces de l’ordre, qui acceptent de fermer les yeux moyennant quelques dessous-de-table. « Tout le monde y gagne, assure Douglas, un brasseur du coin – ivre. Nous gagnons de l’argent et ils gagnent de l’argent. Trouver un emploi est un énorme problème. C’est une activité facile. »

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Criminalité

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Japhet est brasseur lui aussi. Il produit 18 litres de chang’aa par jour, pour près de 4 euros – un salaire journalier bien supérieur à la moyenne à Mathare. « Le chang’aa est une bonne chose. Les gens en demandent et nous leur en fournissons. Au lieu de tomber dans la criminalité, nous travaillons », se justifie-t-il. Interrogé sur les nombreux décès, Japhet assure ne rien ajouter « de mauvais » dans sa production, et que « c’est ailleurs que cela se fait ». Comme lui, la plupart des brasseurs travaillent pour des hommes d’affaires indiens ou kikuyus qui s’enrichissent grâce à leurs réseaux de distribution illégaux.

Michael, un chauffeur de taxi, associe la consommation de cet alcool à la criminalité. « Les gens boivent et puis les lumières s’éteignent. Sous l’empire du chang’aa, ils errent en ville et commettent des crimes. Mais aucune mesure n’est prise contre ce fléau car il est trop rentable. »

Dans le petit bar de Mathare, les clients ivres continuent de chanter. Joyce sort en titubant et trébuche sur un nid-de-poule : « Quand nous aurons un travail et une raison d’arrêter de boire, alors cela cessera. »

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