Afrique-États-Unis : Antony Blinken lance son opération séduction depuis l’Afrique du Sud
Avant de se confronter aux dossiers sensibles qui l’attendent en République Démocratique du Congo, dès ce mardi 9 août, et au Rwanda, le secrétaire d’État américain a commencé sa tournée en terrain ami pour renouer des relations avec Pretoria et le continent.
Cela faisait près de sept ans que les relations diplomatiques entre Washington et Pretoria étaient mises en sourdine. Soit l’équivalent du mandat de Donald Trump, plus quelques années de flottement. Une présidence marquée par son dédain pour « les pays de merde » (shitholes countries) du continent africain. Une période que refuse d’évoquer Antony Blinken pour se concentrer sur l’avenir, « le passé n’a pas d’importance », balaie-t-il.
L’Amérique veut revenir en force en Afrique et le montre à travers une délégation d’une cinquantaine d’officiels et d’experts. « C’est un signal, une preuve de l’importance que l’on accorde à nos relations avec l’Afrique du Sud », a souligné le chef de la diplomatie américaine. Mis à part la parenthèse Trump, les deux pays entretiennent de bonnes relations. « Les États-Unis sont l’un de nos partenaires les plus précieux », a confirmé Naledi Pandor, la ministre sud-africaine des Relations internationales.
L’ombre de Moscou
L’Afrique du Sud est le plus gros partenaire commercial des États-Unis sur le continent avec la présence d’entreprises comme General Electric ou Ford. Entre 2010 et 2021, les échanges entre les deux pays sont passés de 13,9 milliards de dollars américains à 21 milliards de dollars. Les États-Unis représentent la deuxième plus grosse destination des exportations sud-africaines. « Les États-Unis ont toujours un avenir dans notre pays », a promis Naledi Pandor. De quoi rassurer des Américains partis à la reconquête du continent pour contrer l’influence grandissante de la Russie. Fin juillet, c’était Sergueï Lavrov, le ministre russe des Affaires étrangères qui visitait l’Ouganda, l’Égypte, l’Éthiopie et le Congo-Brazzaville.
L’ombre de Moscou plane sur le voyage sud-africain du secrétaire d’État américain, alors que Pretoria refuse de condamner la Russie pour son invasion de l’Ukraine. De son côté, Antony Blinken dénonce l’impérialisme de Vladimir Poutine, en espérant trouver une résonance particulière en Afrique, victime de la colonisation. Mais l’Afrique du Sud n’apprécie pas qu’on la pousse à choisir un camp.
Punir ceux qui ne suivent pas Washington
Un projet de loi, adopté par la Chambre des représentants, a eu le don de provoquer la colère de Naledi Pandor. Il prévoit d’exiger du Département d’État américain « de présenter au Congrès une stratégie et un plan pour contrer l’influence et les activités malveillantes de la Russie en Afrique ». Dans une tribune publiée une semaine avant la visite d’Antony Blinken, la cheffe de la diplomatie sud-africaine critiquait un texte destiné à « punir les pays qui ne suivent pas la ligne américaine sur le conflit entre l’Ukraine et la Russie ». Un projet de loi « offensant », a redit Naledi Pandor en conférence de presse. Le secrétaire d’État a refusé d’expliquer ce que signifierait l’application hypothétique d’une telle loi.
Pretoria et Washington vantent une relation de franchise comme la base d’une amitié solide. Des amis qui ne s’entendent pas sur de nombreux sujets, comme le conflit israélo-palestinien. Le Congrès national africain, au pouvoir, qualifie Israël de régime d’apartheid. Les récentes frappes israéliennes sur Gaza ont permis à Naledi Pandor de mettre en lumière l’inconsistance des États-Unis lorsqu’il s’agit de condamner des violations des droits de l’homme à travers le monde. « Nous devrions être autant alarmés par le sort des Palestiniens que par celui des Ukrainiens », a glissé Naledi Pandor.
Autre sujet de divergence : le Sahara occidental. Sous Donald Trump, les États-Unis avaient reconnu la souveraineté du Maroc sur le Sahara occidental, alors que Pretoria défend la cause des indépendantistes sahraouis. « Je ne pense pas être inélégante en dévoilant à nos collègues que nous avions eu des discussions très franches à des moments où nous étions en désaccord, mais ça n’a pas brisé notre amitié, au contraire ça l’a renforcé », a apaisé Naledi Pandor.
Pas de modèle
Tout se dire, c’est également freiner les ardeurs des États-Unis concernant leur vision de la démocratie en Afrique. L’un des moments forts de la visite d’Antony Blinken à Pretoria devait être la présentation d’une nouvelle stratégie américaine pour le continent. Parmi ses quatre priorités, le secrétaire d’État a insisté sur le point numéro 2 : « travailler avec nos partenaires africains pour réaliser la promesse de la démocratie. » Pour les Américains, la démocratie doit être une évidence sur le continent africain et ils proposent de la défendre.
« L’écrasante majorité des citoyens africains préfère la démocratie à tout autre forme de régime politique », a énoncé Antony Blinken en s’appuyant sur une étude Afrobarometer publiée en 2019 et réalisée dans 34 pays du continent qui révèle – entre autres – que 72% des Africains rejettent les régimes militaires. Faisant amende honorable, Antony Blinken a reconnu que le modèle américain n’était pas parfait. « Nous n’allons pas traiter la démocratie comme un domaine où l’Afrique a des problèmes et les États-Unis détiennent les solutions. Nous reconnaissons que nos démocraties font face à des défis communs, que nous devons relever ensemble, d’égaux à égaux », a nuancé le secrétaire d’État.
Quelques heures plus tôt, Naledi Pandor mettait en garde contre la tentation d’imposer son modèle. « Si votre tactique est d’aborder les pays africains en leur disant qu’ils doivent être démocratiques et utiliser votre modèle, parce qu’il fonctionne, vous risquez de ne pas être entendus. L’Histoire nous apprend qu’il faut une approche différente. Et je recommanderais d’accorder plus d’attention aux outils développés par les pays africains », a conseillé Naledi Pandor.
Kinshasa et Kigali, étapes à risques
La mise bout à bout des désaccords entre les deux nations ne doit pas occulter la bonne opération d’Antony Blinken. Le secrétaire d’État américain a posé le pied en terrain ami avant de poursuivre une tournée plus compliquée, émaillée de tensions entre la République démocratique du Congo et le Rwanda. L’Afrique du Sud, nation démocratique depuis 1994, était le pays adéquat pour disserter sur les bienfaits de ce régime pour la paix et la prospérité. C’est aussi une destination privilégiée pour s’adresser au reste du continent.
« Ce que l’Afrique du Sud dit, ce que l’Afrique du Sud fait, a des répercussions à travers le monde », a flatté Antony Blinken en conclusion d’une série de louanges. Sa visite fait suite à celle du président du Conseil européen Charles Michel en juillet, du Chancelier allemand Olaf Scholz en juin, du président français Emmanuel Macron en mai 2021.
C’est d’ailleurs depuis le campus Future Africa de Pretoria qu’Antony Blinken a dévoilé la nouvelle stratégie américaine pour l’Afrique. À l’endroit même où Emmanuel Macron avait tenu un long discours sur les moyens à accorder à l’Afrique pour lutter contre la pandémie de Covid-19. Cet amphithéâtre est un écrin sur-mesure pour dirigeants en quête de symbole. À voir si les idées qui y sont énoncées traversent ses murs et sont bien reçues à travers le continent.
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