Les militaires égyptiens, anges ou démons ?

En intervenant pour donner satisfaction aux manifestants anti-Morsi, les militaires sont revenus sur le devant de la scène égyptienne. Leur ligne de conduite est claire : s’effacer derrière les civils. Leurs intentions le sont moins.

Le 3 juillet, au Caire, après l’annonce de la destitution de Mohamed morsi. © Mahmoud Khaled/AFP

Le 3 juillet, au Caire, après l’annonce de la destitution de Mohamed morsi. © Mahmoud Khaled/AFP

Publié le 22 juillet 2013 Lecture : 6 minutes.

« Le peuple et l’armée, main dans la main. » Tel était le slogan scandé place Al-Tahrir par les manifestants le 3 juillet, après avoir obtenu de l’armée la destitution de Mohamed Morsi, le premier président démocratiquement élu du pays. Sur la célèbre place du centre du Caire, les protestataires saluaient par des sifflements de joie le passage des hélicoptères militaires et des avions de chasse. Nombreux étaient ceux qui brandissaient des portraits du général Abdel Fattah al-Sissi, ministre de la Défense et chef des armées, considéré comme le sauveur de la révolution.

Depuis, les Frères musulmans (dont était issu le président déchu) et leurs alliés dénoncent un coup d’État, mais une grande partie de la population leur est désormais hostile. Les médias locaux leur livrent une guerre sans précédent et les considèrent ouvertement comme des « terroristes » assimilables à ceux d’Al-Qaïda.

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Plus que jamais, l’armée semble unie autour de son commandant en chef et de sa décision de renverser le président. « Aux yeux des officiers, cette intervention n’a que trop tardé. Ils la réclamaient depuis mars-avril », affirme Tewfik Aclimandos, chercheur associé à la chaire d’histoire contemporaine du monde arabe au Collège de France. « Depuis un an, les officiers des grades intermédiaires et inférieurs parlent politique et critiquent librement les Frères musulmans », souligne Zeinab Aboul Magd, professeure d’histoire à l’université américaine du Caire, précisant que les militaires ne s’étaient jamais exprimés aussi ouvertement par le passé. La mauvaise gestion par la confrérie et son bras politique, le Parti de la liberté et de la justice (PLJ), d’un certain nombre de dossiers concernant la sécurité nationale expliquerait en grande partie leur ressentiment. Sans compter, ajoute Robert Springborg, professeur à la Naval Postgraduate School (basée en Californie), que le ministre de la Défense a tenté à plusieurs reprises de jouer le médiateur entre les différentes forces politiques « mais qu’il a été rabroué par Morsi ».

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Les critiques de la gestion du pouvoir par les islamistes ne s’arrêtent pas là. « Toute une série d’événements suggère que les Frères musulmans utilisaient la politique étrangère pour consolider leur pouvoir sur le plan intérieur », affirme Robert Springborg, qui cite l’exemple de leur attitude vis-à-vis de Damas : loin de désavouer les oulémas sunnites qui avaient lancé le 13 juin depuis Le Caire un appel au jihad en Syrie, Mohamed Morsi avait annoncé deux jours plus tard la rupture des relations diplomatiques entre les deux pays. Cette instrumentalisation des relations internationales s’effectue parfois au détriment de toute cohérence, comme dans le cas des relations avec l’Iran, où des signes d’ouverture ont été suivis d’une soudaine volte-face.

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Supportrices du président déchu, le 8 juillet, aux abords du siège de la garde républicaine. © Mahmud Hams/AFP

Communiquer

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Mais malgré le soutien populaire, la période à venir s’annonce délicate pour les militaires. Ils doivent éviter de réitérer les erreurs commises lors de la première transition (après le départ de Hosni Moubarak), sous la houlette du maréchal Hussein Tantawi et du Conseil suprême des forces armées. « L’armée est très préoccupée par son image en Égypte et sur la scène internationale, estime Robert Springborg. Elle essaie de communiquer le plus clairement possible. »

Voulant à tout prix éviter que le renversement de Mohamed Morsi soit considéré comme un coup d’État, le général Abdel Fattah al-Sissi est apparu lors de son allocution télévisée du 3 juillet entouré du cheikh Ahmed al-Tayeb, grand imam d’Al-Azhar, de Tawadros II, pape de l’Église copte orthodoxe, de l’opposant Mohamed el-Baradei et de Mahmoud Badr, du mouvement Tamarod, à l’origine de la vague de manifestations. Le commandement militaire a également veillé à n’agir, pour le moment, qu’en réponse aux demandes exprimées par les militants. Ce sont eux qui ont appelé à la nomination du chef de la Haute Cour constitutionnelle, Adly Mansour, au poste de président par intérim. Ce dernier a prêté serment dès le 4 juillet et a très rapidement été doté de pouvoirs élargis.

Durant cette nouvelle transition, les militaires devraient donc essayer de limiter leurs interventions politiques et se concentrer sur le rétablissement de la sécurité. Dans la capitale, les chars et les soldats ont envahi les abords des bâtiments publics. Mais l’institution est aussi engagée dans un bras de fer avec les islamistes, qui refusent de s’avouer vaincus. « Les Frères musulmans sont en train de se suicider politiquement. Leurs dirigeants essaient de plonger le pays dans une guerre civile semblable à celle qui a eu lieu en Algérie ou à celle qui se déroule en Syrie. Mais l’armée se réfrène », juge Hossam Soueilam, général à la retraite.

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Massacre

Toujours est-il que le pays a de nouveau sombré dans la violence. Le 8 juillet, au moins 51 personnes sont mortes lorsque les militaires ont ouvert le feu sur un sit-in organisé par les islamistes devant les locaux de la garde républicaine, où l’ex-chef de l’État est peut-être détenu. L’armée a affirmé avoir riposté aux tirs des manifestants. Un premier « massacre », selon les termes des Frères musulmans, qui n’est pas sans rappeler la répression sanglante d’une manifestation de Coptes à Maspero (dans le centre du Caire) en octobre 2011, et les affrontements qui ont opposé un mois plus tard les soldats aux manifestants de la rue Mohamed-Mahmoud.

Depuis le coup d’État de Gamal Abdel Nasser contre la monarchie en 1952, l’armée joue un rôle central dans la vie politique et économique égyptienne. L’arrivée des Frères musulmans avait tout au plus éclipsé cette réalité. Les militaires monopolisent toujours quelque 20 % de l’activité économique, selon des estimations citées en 2012 par la Banque africaine de développement, et la Constitution adoptée en décembre les soustrait en grande partie au contrôle des autorités civiles. Leur retour sur le devant de la scène pourrait relancer certains débats concernant leur place dans la société. « Ce n’est pas un hasard si la Constitution n’a pas été abolie mais simplement suspendue, souligne Zeinab Aboul Magd. L’armée ne veut pas discuter des articles qui la concernent et qu’elle s’est donné tant de mal à obtenir en négociant avec les Frères. » Lors de la première transition, la chercheuse avait écrit plusieurs tribunes pour dénoncer les avantages accordés aux militaires. « Je vais rouvrir ce dossier, affirme-t-elle, mais pas tout de suite car en ce moment nous avons besoin de l’armée pour faire face à des mouvements terroristes. Nous ne pouvons pas nous battre sur deux fronts à la fois. » 

Les jours qui ont marqué le conflit égyptien © Jeune Afrique

Le Sinaï hors de contrôle

Sous la présidence de Mohamed Morsi, l’instabilité dans le Sinaï était déjà considérée comme une épine dans le pied des islamistes. Depuis sa chute, la situation sécuritaire dans la péninsule semble hors de contrôle. « Le premier défi de l’armée est de faire face à la menace du Hamas et des groupes jihadistes qui mènent des opérations terroristes contre la police et les appareils de sécurité », affirme Hossam Soueilam, général à la retraite. Le 5 juillet, des partisans armés du président déchu attaquaient le siège du gouvernorat du Nord-Sinaï, à El-Arich, et hissaient le drapeau noir des salafistes sur le bâtiment. Le lendemain, un prêtre copte était assassiné par des assaillants inconnus, et le gazoduc approvisionnant la Jordanie était pris pour cible.

« Le gazoduc d’El-Arish subissait une à deux attaques par mois quand le maréchal Tantawi assurait le pouvoir, mais après l’arrivée de Morsi à la tête du pays, il n’y en a pas eu une seule. Est-ce un hasard ? » s’interroge Tewfik Aclimandos, chercheur au Collège de France. « Nous ne contrôlons pas ce qui se passe sur le terrain, mais ce qui se passe dans le Sinaï en réaction au coup d’État s’arrêtera à la seconde où Abdel Fattah al-Sissi déclarera qu’il revient [sur sa décision] », assurait Mohamed al-Beltagui, cadre du Parti de la liberté et de la justice (PLJ, formation des Frères musulmans), deux jours après le renversement de Mohamed Morsi.

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