« Souriez, vous êtes en Tunisie ! » : un livre bien loin des cartes postales

Dans Souriez, vous êtes en Tunisie !, Habib Selmi dresse un portrait acide de son pays. Écrit avant la révolution, ce roman prémonitoire sonde une société en plein bouleversement.

Habib Selma, l’écrivain tunisien, le 3 juillet. © Bruno Levy pour J.A.

Habib Selma, l’écrivain tunisien, le 3 juillet. © Bruno Levy pour J.A.

Publié le 10 juillet 2013 Lecture : 3 minutes.

S’il y a un art que Habib Selmi maîtrise, c’est celui de glisser dans des récits, en apparence triviaux, des interrogations profondes sur l’individu et la société. Originaire d’El-Alaa, une petite ville à l’ouest de Kairouan, ce professeur agrégé de langue arabe à Paris jouit de sa position privilégiée d’observateur participant. Né en 1951, il est de la génération de l’indépendance. « J’ai vécu les dix-sept premières années de ma vie dans un village sans électricité ni eau courante. » Sidi Bouzid, la ville de Mohamed Bouazizi, n’est qu’à une cinquantaine de kilomètres. Après avoir tâté du journalisme dans Al Watan Al Arabi, grand titre de la presse panarabe à Paris, il a repris des études et passé son agrégation. Il enseigne aujourd’hui l’arabe aux classes préparatoires d’un prestigieux lycée parisien. Inévitablement, il y a un peu de Habib Selmi dans le narrateur de Souriez, vous êtes en Tunisie ! Après une éclipse de plusieurs années, Taoufik, professeur émigré en France, se rend à Tunis pour passer les vacances chez son frère Ibrahim. Première surprise, sa belle-soeur Yousra, dont Taoufik était très proche, a mis le voile et ne fait plus la bise. Rapidement, les petites déceptions s’accumulent, la ville est laide et sale.

Si tout n’est pas beau sous la plume de Habib Selmi, c’est qu’il semble avoir pris le parti de ne pas décrire des cartes postales. Roman tout de même plaisant, Souriez, vous êtes en Tunisie ! a été publié en arabe par Dar Al-Adab en 2010 – et nominé pour l’International Prize for Arabic Fiction – sous le titre Nisâ al-Basâtin (« les femmes d’El-Bassatine »). Un titre qui rend mieux le propos de l’auteur, car les femmes sont au centre. Proche de Yousra, à l’étage au-dessous, il y a Naïma, la voisine mystérieuse, divorcée et voilée, qu’on soupçonne d’être à l’origine du revirement vestimentaire de Yousra, mais qui est aussi poursuivie par la « clameur publique », à cause de ses relations galantes présumées. Pute ou soumise ? Même dans la Tunisie post-Bourguiba, le choix reste étroit. Leïla, la soeur de Yousra, est pourtant une femme libérée, mais elle cherche aussi à tirer profit de Taoufik, pour émigrer. Prête à un mariage blanc et polygame (Taoufik est déjà marié). Les faux-semblants et les petits arrangements avec la réalité, l’écart entre la morale et la pratique, se dévoilent sous le regard décalé, et souvent amusant, de Taoufik. Très vite, ce dernier comprend qu’il n’est que de passage. Depuis le salon du petit appartement, et par ses sorties et balades, Taoufik décrit une Tunisie en plein basculement, entre la mosquée et le bordel.

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Revanche

Montée du conservatisme, désert culturel, corruption, hypocrisie, amours contraintes, misogynie, poids du qu’en-dira-t-on. Autant de sujets qui trouveraient leur place dans des thèses de sociologie ou dans des magazines de presse féminine. Mais la langue de Selmi est celle du roman. « Parfois, la vérité romanesque est plus vraie que la réalité », nous explique Selmi. Dans cette réalité augmentée par la narration passent des messages lourds de sens. « Je ne suis pas un écrivain politique. À vrai dire, la politique m’ennuie, mais j’ai un point de vue et je vis pleinement ce qui se passe en Tunisie, où je me rends très régulièrement », confie l’auteur.

L’oeuvre de Habib Selmi, voix majeure de la littérature arabe contemporaine, est traduite depuis une quinzaine d’années en français. En 2011, Actes Sud publiait Les Humeurs de Marie-Claire, une variation très libre sur le thème classique de la rencontre amoureuse entre Orient et Occident. « Un sujet très présent dans la culture et l’inconscient arabes. Où la relation s’exerce souvent entre un Orient mâle et un Occident femelle, comme une revanche sexuelle sur la colonisation. »

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