Cinéma : Grigris, Mimi et le tueur
Sélectionné à Cannes, « Grigris », le dernier long-métrage du Tchadien Mahamat-Saleh Haroun, sort en salle ce 10 juillet.
Et si c’était la surprise de l’été français ? C’est ce qu’espère Mahamat-Saleh Haroun. Il n’a pas remporté de prix à Cannes avec Grigris, mais il aimerait bien une revanche en salle. Le dernier long-métrage du réalisateur tchadien – davantage grand public que ses deux précédents films – sort dans l’Hexagone le 10 juillet. Il évoque l’histoire d’un jeune handicapé, Grigris, qui entend devenir danseur professionnel malgré sa jambe atrophiée… Jusqu’à ce qu’il en soit réduit à se lier à une bande de trafiquants d’essence opérant entre le Cameroun et le Tchad. Amené à gruger ces truands, il est traqué par un tueur. Jusque dans un village éloigné où il s’est réfugié en compagnie d’une prostituée dont il est tombé amoureux, la superbe Mimi.
Un film à la fin étonnante, qui repose certes sur le talent de metteur en images du prix du jury 2010 de Cannes (Un homme qui crie), lequel propose une nouvelle fois des scènes d’une grande beauté. Mais aussi sur le charisme de ses deux principaux acteurs. Le Burkinabè Souleymane Démé (Grigris), dont le parcours est en partie retracé dans ce long-métrage, n’a guère besoin de parler pour crever l’écran. Quant à la jeune mannequin d’origine centrafricaine Anaïs Monory (Mimi), elle fait là ses premiers pas devant la caméra. Jeune Afrique a rencontré le premier à Ouagadougou peu avant son départ pour le sud de la France – un départ mouvementé vu sa difficulté à obtenir un visa malgré l’invitation du Festival – et la seconde sur la Croisette le jour même où le film était présenté en compétition.
Les deux acteurs à la première de Grigris, au festival de Cannes. © Stuart C. Wilson/AFP
Danse en solo
Une silhouette filiforme, vêtue d’un costume noir sur une chemise écarlate, s’invite, claudicante, sur la scène du Club 226, maquis ouagalais en plein air balayé par une brise nocturne en ce chaud mois de mai. Le slow walking, marche ralentie avec laquelle ce personnage choisit d’installer sa présence sur scène, révèle de manière accrue une patte folle. Sur un air de jazz joué par le groupe hollandais Bruut, Solo, l’un des fleurons de la compagnie Irène Tassembédo, la célèbre chorégraphe burkinabè propriétaire des lieux, tombe la veste. Avec une rapidité inouïe, il exécute une succession de pas de breakdance impossibles à suivre. Il feint la chute, se relève, s’amuse de sa jambe infirme sous les hourras du public. Il virevolte, tournoie, achève de faire la preuve que rien n’entrave sa gestuelle, puis quitte les lieux comme il est venu au bout d’un show de cinq minutes, devant les visages médusés de spectateurs conquis.
Cette prestation bluffante, le public pourra en avoir un aperçu dans Grigris, le long-métrage de Mahamat-Saleh Haroun, qui a repéré Solo en février 2011 à l’occasion d’une représentation de la comédie musicale Zalissa la Go d’Irène Tassembédo, durant le Festival panafricain du cinéma de Ouagadougou (Fespaco). « Haroun m’a dit qu’il souhaitait tourner avec moi et m’a demandé si j’avais le courage de faire ce film, raconte-t-il. Certaines scènes ont été difficiles à jouer, mais j’ai tenu bon et, aujourd’hui, je crois que ça m’a rendu plus fort. » Au cours des dures séquences de tournage, il aura fallu beaucoup d’abnégation à l’apprenti acteur afin de supporter les exigences d’un réalisateur directif. Mais pas de quoi décourager ce jeune homme à la volonté de fer.
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Le réalisateur (au second plan) avec l’équipe du film. © Lionel Cironneau/aP/SiPa
Soundiata keïta
Né en 1976 à Bobo-Dioulasso, Souleymane Démé, de son vrai nom, commence à danser dans les mariages où il accompagne sa mère, Salimata. Dans les concours qu’elle organise entre lui et ses frères, Solo l’emporte toujours haut la main. Mais à 10 ans, une poliomyélite mal diagnostiquée le handicape à vie. L’enfant, au caractère bien trempé, décide de dominer la situation et refuse le soutien artificiel des béquilles. Il tombe, se relève, puis tombe encore jusqu’à se tenir en homme debout devant sa mère, « fière » de son courage… tel Soundiata Keïta, le souverain mandingue qui d’éclopé se leva miraculeusement sous les yeux de sa génitrice, pour devenir une force de la nature…
Sa nouvelle démarche apprivoisée, il reprend la danse. Funk, zaïko, coupé-décalé… aucun style ne se trouve hors de sa portée. Et quand sa mère décède alors qu’il n’a que 15 ans, le prodige subvient aux besoins de sa fratrie en animant les maquis de Bobo-Dioulasso et des villages avoisinants. On vient y voir danser Solo Béton (verlan de « tomber »), le surnom qui lui est attribué à cause de cette étrange aptitude à se laisser choir pour mieux se relever. C’est lors de l’une de ces démonstrations qu’Irène Tassembédo le découvre en 2007 et lui offre de rejoindre sa troupe à Ouagadougou. « J’ai vu en Solo un danseur, un vrai », rapporte son énergique protectrice, avant de
plaisanter : « Je ne le considère pas comme un handicapé, je le maltraite comme les autres ! » Auprès de la grande chorégraphe burkinabè, le phénomène se réinvente.
Reconnaissant envers sa marraine, qui lui a permis d’exploiter tout son talent, le « fils adoptif » confie : « Irène, c’est la seconde mère que Dieu m’a donnée. C’est grâce à elle qu’on parle de Solo. » Pour que d’autres aient la même chance, il envisage à présent de créer une association à destination des handicapés. « J’aimerais leur
apprendre à danser en ignorant leur handicap et leur permettre, comme moi, de trouver un travail. »
Car en plus de la danse et de cette carrière naissante de comédien qu’il souhaite poursuivre, Souleymane est aussi bricoleur. Dans son atelier, il répare tous les appareils électroniques qu’on lui apporte. Une activité professionnelle qu’il cumule avec des travaux de couture à ses heures perdues. Dans un contexte culturel où la danse n’est
toujours pas considérée comme un métier à part entière, il vaut mieux avoir plusieurs cordes à son arc. « Mais je n’abandonnerai jamais la danse, déclare un Solo déterminé. Je continuerai, jusqu’à surpasser les plus grands. »
Une actrice au top
La jeune femme au superbe physique ne risque guère de laisser indifférent ! En 2012, lors d’un casting, Anaïs Monory, jeune métisse de 22 ans originaire de Toulouse, dans le sud-ouest de la France, a tapé dans l’oeil de Mahamat-Saleh Haroun… au point d’amener le réalisateur tchadien à modifier le scénario de Grigris. Car, jusque-là, Mimi, la prostituée héroïne du film, était supposée être tchadienne. En tout cas 100 % Africaine. Alors qu’Anaïs Monory, de père centrafricain – qu’elle a à peine aperçu dans sa petite enfance et dont le pays natal lui est inconnu – mais de mère française, ne l’est qu’à 50 %.
« Quand je l’ai aperçue, confiera Haroun, elle m’a paru dégager quelque chose de spécial. » Une vraie débutante devant l’objectif, Anaïs ? Pas tout à fait. Depuis qu’elle a 18 ans, elle est mannequin à Paris, le plus souvent pour présenter des produits de beauté. « Mais ce n’est quand même pas du tout pareil », s’explique-t-elle à Cannes quelques heures avant de monter les célèbres marches. « Une image fixe, prise avec très peu de monde autour, cela n’a rien à voir avec le tournage d’un film. Haroun m’a beaucoup parlé et a su me mettre en confiance. Et tout s’est très bien passé », glisse-t-elle. Jouer le rôle d’une prostituée, même si celle-ci va abandonner le métier par amour, ce n’était pas un problème ? « Bien sûr que si. Je me suis demandé ce que j’allais devoir faire. La question de la nudité – il m’est arrivé une seule fois de poser nue comme mannequin – ne me laissait pas du tout indifférente. Mais l’histoire était attachante, et le cinéma de Haroun, que j’ai alors découvert, est tellement beau, tellement chic, jamais vulgaire ou aguicheur, que je n’ai pas eu de mal à me dire que Mimi n’était en fin de compte qu’un personnage à jouer. » la tête sur les épaules.
À Cannes, la jeune femme avait bien conscience de vivre « une aventure incroyable ». Mais ce qui l’excitait le plus, assurait-elle, ce n’était pas de monter les marches du palais des festivals mais… de découvrir le film, que, pas plus que Souleymane Démé, elle n’avait encore vu depuis le tournage en Afrique. Se destine-t-elle à une carrière d’actrice ? « Pourquoi pas, si on me propose un sujet qui me touche comme celui de Grigris, répond-elle sans s’emballer. En attendant, je vais continuer ma vie de mannequin, qui se déroule bien. » Nul doute que cette jeune femme très naturelle, qui ne se prend manifestement pas pour une star, a bien la tête sur les épaules. On entendra certainement reparler d’elle.
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