Georgiana San : Canebière, framboise et harissa

Cette Béninoise de 36 ans, ancienne candidate de l’émission de téléréalité culinaire Masterchef, est devenue la chouchoute des gourmands de Marseille.

Georgiana San s’adapte à toutes les situations avec spontanéité et bonne humeur. © Yohane Lamoulère-Transit pour J.A.

Georgiana San s’adapte à toutes les situations avec spontanéité et bonne humeur. © Yohane Lamoulère-Transit pour J.A.

Publié le 18 juillet 2013 Lecture : 4 minutes.

« Comment ça, vous venez pas ? » Au bout de l’iPhone que Georgiana, touillant ses aubergines, vient de reprendre à sa jeune stagiaire, un client qui venait de raccrocher en disant que, n’étant pas fan de poisson, ce serait pour une prochaine fois. Elle est comme ça, Georgiana. Nature peinture. Une envie de faire plaisir qui bouscule les conventions. Un aplomb qui peut déconcerter même ceux qui, passant devant son « atelier » du quartier de la Préfecture, à Marseille, la chambrent sur ses performances dans un concours que l’émission de télé-crochet culinaire Masterchef a organisé il y a quelques semaines entre d’anciens candidats.

Georgiana avait été de la première saison, inscrite par une amie alors qu’elle travaillait au pôle média de la Friche de la Belle-de-Mai et se demandait si elle n’allait pas retourner au Bénin. Elle y est née il y a trente-six ans d’un père nigérian et d’une mère béninoise. Milieu privilégié : « Je n’ai pas d’histoire à raconter, je n’ai pas grandi dans la brousse ! » Malgré la séparation de ses parents, enfance heureuse au milieu de trois enfants, avec télé, clim et domestiques, qu’on libère souvent pour cuisiner en famille. « Jusqu’à ce que j’aie ma mobylette à 12 ou 13 ans, je n’ai pas vu grand-chose ! » admet l’ancienne élève du lycée français. La galère a commencé ensuite, en France, où elle est partie rejoindre son premier mari après sa licence. La cuisine la travaille, mais elle cède à la pression maternelle et se lance dans des études de langues. Normal, pour cette bavarde. La Sorbonne, qui la « faisait rêver », accepte son dossier.

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Un bébé arrivé un peu trop vite l’oblige à mettre ses ambitions universitaires entre parenthèses. Elle se dit : « Je ferai de la cuisine quand il sera grand. » Se sépare du papa. Elle pourrait bien aller donner un coup de main à sa mère, qui a ouvert un resto sur le tard, au Bénin, mais ne supporte pas l’idée de « rentrer sans diplôme avec un bébé sous le bras ». C’est le temps de la débrouille pour cette forte tête qui tient à son indépendance. Puis la rencontre avec son deuxième mari, dont elle est aujourd’hui séparée. Deux enfants de plus, et l’histoire qui se répète : « Je m’y mettrai quand ils seront grands. » Elle s’installe à Marseille en 2005, ouvre son blog Cooking Girl en 2007, qui lui sert aujourd’hui de carnet de recettes, et participe deux ans plus tard au concours Taittinger, lors duquel elle est classée troisième.

Puis c’est Masterchef, où elle se fait connaître pour sa bonne humeur et son amour des recettes du terroir. « J’entends parler de locavorisme, blabla, mais c’est juste du bon sens, tu fais avec ce que l’endroit t’offre, et avec ton histoire. » Marseille l’a adoptée, elle lui rend hommage dans un livre*. Avec son culte du goût et des assaisonnements – « c’est sûrement là que l’on peut ressentir mes racines béninoises » -, elle donne un coup de frais à la cuisine provençale. Georgiana, c’est autant de culot – illustré par la glace framboise-harissa qu’elle nous fait goûter alors que le coup de feu approche – que d’humilité. Après Masterchef, alors qu’elle a démissionné de son agence de com, l’idée de retourner au Bénin la taraude toujours, mais elle est obligée de rester pour la diffusion de l’émission. Elle rêve alors d’un tour de France pour se former, à la manière des compagnons. Elle va voir Lionel Lévy, un des meilleurs chefs marseillais, qui lui met le pied à l’étrier avec un poste… de chef à la Villa Khariessa à Martigues, maison réputée où les industriels de l’étang de Berre ont leurs habitudes. Elle relève le défi, « consciente de [ses] lacunes ». Toujours au culot, elle se fait embaucher à Paris chez Sylvain Sendra et chez Hissa Takeuchi, où elle apprend la rigueur japonaise… difficilement perceptible quand on la voit à onze heures trier ses factures tout en réfléchissant à ce qu’elle va servir au déjeuner ! Comme si elle relevait un défi Masterchef chaque jour.

Elle n’a pas gagné le concours mais elle a eu cet atelier dont elle rêvait. Lieu atypique à son image, table d’hôte le midi qui « refuse tout le temps du monde », école de cuisine l’après-midi, resto sur réservation le soir… le tout pimenté par des résidences de très grands chefs de passage à Marseille, comme le prodige David Toutain ou Benallal Akrame il y a quelques mois. Georgiana ose tout, sans rien anticiper. « Y a pas de concept, tout s’est fait spontanément au fur et à mesure. » Comme la série de documentaires Georgiana chez vous, qu’elle a tournée pour la chaîne Voyage. Un tour d’Europe où elle s’invite chez l’habitant pour montrer que, de Lisbonne à Dublin, on peut manger bien, local et pas cher au quotidien.

On se dit qu’elle semble être arrivée, mais non. « Au Bénin ou ailleurs, je n’ai aucune idée de ce que je ferai dans cinq ans, je suis incapable de tirer des plans sur la comète, mais maintenant c’est sûr, ce sera toujours en cuisine. »

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* La cuisine de Marseille, HC Éditions, 64 pages, 10 euros.

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