Indonésie : les nouveaux terroristes
Depuis les attentats de Bali, il y a onze ans, les mouvements jihadistes traditionnels ont été décimés par la répression. D’autres ont pris la suite. Avec des cibles et des méthodes très différentes.
« Si Dieu le veut, je vais frapper l’ambassade du Myanmar ; j’espère que vous soutiendrez mon combat. » Ce message suivi d’un petit smiley jaune, Sefa Riano (29 ans) l’a posté au mois d’avril sur Facebook à l’intention de ses parents. Quelques jours plus tard, le 3 mai, il a été arrêté en compagnie d’un certain Ahmad Taufik (22 ans). Dans leurs sacs à dos : cinq bombes artisanales déjà assemblées. Avec un complice qui sera arrêté quelques jours plus tard, ils projetaient de faire sauter l’ambassade du Myanmar à Jakarta, en représailles aux persécutions dont sont victimes les Rohyngias, une communauté musulmane minoritaire. L’importance prise par Facebook dans le fonctionnement des nouvelles cellules terroristes en Indonésie a été révélée début juin par l’Agence nationale antiterroriste (BNPT).
Onze ans après le triple attentat à la bombe perpétré par la Jemaah Islamiyah, l’organisation islamiste proche d’Al-Qaïda, sur l’île de Bali (202 morts et plusieurs centaines de blessés), le spectre du terrorisme continue de planer sur le premier pays musulman du monde. Mais il a changé de visage. Plus diffus, il est aussi plus difficile à traquer et demande un gros effort d’adaptation aux quatre cents hommes de la Brigade 88 créée au lendemain des attentats de Bali, grâce à un financement américain.
Coups de filet
La plupart des cellules de la Jemaah Islamiyah ont aujourd’hui été démantelées. En février 2010, la découverte du camp d’entraînement d’Aceh, sur l’île de Sumatra, puis toute une série de coups de filets au sein des réseaux locaux ont porté un rude coup aux jihadistes. Ces succès ont assis la réputation du président Susilo Bambang Yudhoyono, mais n’ont pas, loin de là, éradiqué tout danger. Hier, les jihadistes s’attaquaient aux symboles de l’Occident (les night-clubs de Bali). La nouvelle génération s’est choisi d’autres cibles : l’État (les forces de police), les minorités religieuses (chrétiennes, chiite ou ahmadiste), et désormais les bouddhistes birmans.
Leur haine est attisée par le prêcheur radical Abu Bakar Ba’asyir, qui, depuis sa cellule (il a été condamné en 2011 à quinze ans de prison), continue d’écrire et de diffuser ses sermons sur le web. Au printemps, il a même publié une édition augmentée de son livre, Conseils et Avertissements pour la communauté coranique, sorte de guide pratique à l’usage des partisans de la charia, dans lequel il suggère par exemple aux femmes de ministre de divorcer sur-le-champ.
Les réseaux étrangers ont peu à peu fait place à un terrorisme local, certes très antiaméricain et nourri des idées d’Ustad Abu (« professeur Abu »), mais indépendant et ne bénéficiant d’aucune des connexions internationales de la Jemaah Islamiyah ou de la Jamaah Anshorut Tauhid (« Les partisans de l’unicité de dieu »), fondée en 2008 par ledit « professeur ». Il est constitué de petits groupes sans contact les uns avec les autres et qui ont renoncé aux modes opératoires habituels. Financés par le petit banditisme, ils utilisent Facebook pour communiquer, recruter (entre 50 et 100 militants depuis deux ans), s’entraîner et acheter des armes.
Ambiguïté
Un véritable défi pour la Brigade 88. Après trente-deux ans de régime autoritaire, l’opinion indonésienne se montre en effet hostile à toute réglementation du web, comme à toute entrave à la liberté d’expression et de religion. L’attitude du gouvernement est d’autre part ambiguë : d’un côté, il combat l’extrémisme religieux ; de l’autre, il laisse une grande marge de manoeuvre aux fondamentalistes, qui, sur internet ou même au sein de l’école publique, sont libres d’enseigner un islam radical. Ajoutez à cela l’absence de lois pour surveiller internet et l’impossibilité matérielle de contrôler les réseaux sociaux… Dix-huit groupes jihadistes sont aujourd’hui présents sur Facebook. Certains comptent plus de sept mille membres, tous susceptibles de s’autoradicaliser du jour au lendemain. La page Facebook de Sefa Riano est ainsi restée active près d’un mois après son arrestation, et a continué d’accumuler les « like ». « Que faire ? s’interroge Muhammad Taufiqqurrohman, qui travaille pour une agence gouvernementale. Si l’on ferme une page, dix sont créées le lendemain ! »
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