États-Unis : la seconde mort de Martin Luther King

Le 25 juin, la Cour suprême a censuré l’article 5 du Voting Rights Act, qui, depuis 1965, prémunissait les Noirs des États du Sud contre toute entrave à l’exercice de leur droit de vote.

Ernest Montgomery, conseiller municipal de Calera (Alabama). © Dave Martin/AFP

Ernest Montgomery, conseiller municipal de Calera (Alabama). © Dave Martin/AFP

Publié le 10 juillet 2013 Lecture : 6 minutes.

Martin Luther King prononçant son célèbre discours « I have a dream », le 28 août 1963, à Washington. © AP/SIPA
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Le 28 août 1963, Martin Luther King marchait sur Washington

Le 28 août 1963, 5 ans avant son assassinat, Martin Luther King mène la marche contre les discriminations raciales à Washington. Ce jour-là, le pasteur noir américain, au pied du Mémorial Lincoln, prononce devant 250 000 personnes son célèbre discours « I have a dream » qui demeure, plus d’un demi-siècle plus tard, dans tous les esprits. Retour en musique, archives et témoignages, sur un monument du XXe siècle.

Sommaire

Il y a quelques jours, une statue de Frederick Douglass (1818-1895), ancien esclave devenu homme politique et fervent abolitionniste, a été installée au Capitole. Il y a quelques semaines, cela avait été le cas de celle de Rosa Parks, grande figure de la lutte contre la ségrégation raciale. Mais, presque au même moment, un véritable « monument » a été abattu. Le 25 juin, la Cour suprême des États-Unis a en effet vidé de son contenu le Voting Rights Act (1965), la loi la plus emblématique du mouvement pour les droits civiques.

Cette loi faisait obligation à neuf États – mais aussi à certains comtés et municipalités à travers le pays – d’obtenir l’aval de Washington avant toute modification des procédures de vote : découpage des circonscriptions électorales, ouverture des bureaux de vote, liste des pièces d’identité à fournir, etc. Presque tous situés dans le Sud profond, lesdits États se signalaient à la fois par un lourd passé ségrégationniste et par une volonté affichée de saper le 15e amendement de la Constitution de 1870, qui accorde le droit de vote aux Africains-Américains : ils multipliaient les obstacles, souvent insurmontables (taxes, tests scolaires, etc.), pour contrarier l’exercice de ce droit. C’est ainsi qu’en 1965, dans le Mississippi, seuls 6,4 % des Noirs en âge de voter étaient inscrits sur les listes électorales.

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Point d’orgue du mouvement pour les droits civiques, le Voting Rights Act fut adopté après l’attaque sauvage par la police de l’État de l’Alabama, le 7 mars 1965 à Selma, d’une manifestation pacifique pour le respect du droit de vote. Les images télévisées des violences choquèrent les Américains. À commencer par le premier d’entre eux, le président Lyndon B. Johnson, qui, le 6 août, en présence de Martin Luther King, apposa sa signature au bas de la nouvelle loi. Comme le spécifia la Cour suprême l’année suivante, cette loi était un remède à « un mal aussi puissant qu’insidieux qui a pu se perpétuer dans certaines parties du pays au mépris de la Constitution ».

Mais les temps ont changé. Et la Cour suprême, très divisée cependant sur la question – la décision a été prise par cinq voix contre quatre -, a donc estimé qu’il n’était plus justifié d’infliger aux États du Sud une telle marque d’infamie. En 2006, le Congrès avait pourtant, à une large majorité, prorogé cette loi pour une durée de vingt-cinq ans. Une abondante documentation – 15 000 pages – avait été réunie à cette occasion, qui attestait de la persistance de discriminations. Au moment de la promulgation, George W. Bush avait salué la poursuite de cet « engagement en faveur d’une Amérique unie, où chacun est traité avec un égal respect ».

Méthode

Mais le Congrès avait omis de modifier la méthode définissant les zones où la loi est censée s’appliquer. Autrement dit les fameux neuf États : Alabama, Alaska, Arizona, Géorgie, Louisiane, Mississippi, Caroline du Sud, Texas et Virginie. Exposée dans la section 5 de la loi, cette méthode datait de 1975. C’est ce que la Cour suprême et son très conservateur président, John G. Roberts, ont censuré. Ils ont certes conservé le principe d’une autorisation fédérale, mais celle-ci demeurera inopérante tant qu’une nouvelle méthode de calcul n’aura pas été arrêtée par le Congrès. Dans le climat très partisan qui prévaut actuellement à Washington, c’est presque mission impossible !

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Sans même parler de la double élection de Barack Obama, Roberts a fait observer qu’en 2004 le taux d’inscription des Noirs sur les listes électorales du Mississippi avait été de 76 %, soit quatre points de plus que les Blancs. Et que les villes de Selma et de Philadelphie – où trois jeunes activistes furent lynchés en 1964 par le Ku Klux Klan (KKK) – ont aujourd’hui des maires africains-américains.

Certes, mais les tensions du passé sont encore loin d’être apaisées. Selma s’est ainsi récemment déchiré à propos d’un buste du général Nathan Bedford Forrest qui trônait depuis 2000 dans un square de la ville. Héros confédéré de la guerre de Sécession, le militaire fut aussi le premier grand maître du KKK (son buste a fini par être enlevé).

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La Cour sous-estime par ailleurs la force des discriminations dites « de seconde génération » : celles qui visent à dissuader ou à empêcher les Noirs, les Latinos et, de manière générale, les pauvres de voter. Il n’y a plus de poll tax ni de tests scolaires, mais les mesures mises en place dans tout le pays par de nombreux élus républicains ont un effet similaire. Elles imposent par exemple à l’électeur de produire une pièce d’identité comme le permis de conduire. Pour les plus pauvres, ce n’est pas toujours évident… Au Texas, il est possible de voter avec sa licence de port d’arme, mais pas avec une carte d’étudiant – disposition qui ne désavantage pas le Parti républicain. Dans ce même État, le redécoupage électoral et la loi sur les pièces d’identité avaient été suspendus en raison de leurs effets discriminatoires. Deux jours après la décision de la Cour suprême, ils sont entrés en vigueur. Peu avant la présidentielle de 2012, des lois du même genre avaient été abrogées dans l’Ohio et la Pennsylvanie, mais pas dans l’État – crucial – de Floride.

Il y a aussi des groupes conservateurs qui, sous le prétexte de lutter contre la fraude, multiplient les descentes dans les circonscriptions à forte population noire ou hispanique afin de purger les listes électorales des noms qui s’y trouvent, selon eux, indûment. Selon le New York Times, huit cents noms à consonance étrangère ont ainsi été radiés illégalement des listes dans le comté d’Evergreen, en Alabama. Il se trouve que celui-ci jouxte le comté – blanc à 90 % – de Shelby, qui est à l’origine de la requête devant la Cour suprême…

Déçu

Quoi qu’il en soit, la décision rendue par cette dernière a suscité une levée de boucliers. Barack Obama s’est déclaré « très déçu », et Eric Holder, son ministre de la Justice, a évoqué un « grave revers susceptible d’affecter négativement des millions d’Américains ». Africain-Américain, Holder habite précisément le comté de Shelby. Pour lui, aucun doute : le Sud n’a pas encore fait suffisamment de progrès pour que ses habitants puissent se passer de la protection de la loi. « Même s’il n’y a plus de réunions du KKK ni de discriminations éhontées, il y a toujours de l’intimidation et du racisme », dit-il.

Ces manoeuvres d’arrière-garde n’ont jusqu’ici pas eu d’influence sur le vote des minorités. En 2012, le taux de participation des Africains-Américains a même, pour la première fois, dépassé celui des Blancs. Beaucoup d’observateurs y voient une réaction à l’adoption de ces « lois iniques » qui n’ont d’autre objectif que de les priver du droit de vote. Cour suprême ou pas, on ne badine pas aux États-Unis avec un droit gagné d’aussi haute lutte

Paula Deen, ex-reine de la cuisine sudiste. © Peter Kramer/AP/Sipa

Paula Deen et le "N-word"

Avec sa permanente argentée et ses manières policées, Paula Deen était la meilleure ambassadrice de la cuisine du Sud – aussi goûteuse que calorique. Businesswoman avisée, cette native de Géorgie s’est taillé un empire estimé à 17 millions de dollars (13 millions d’euros). Propriétaire de plusieurs restaurants, elle est aussi l’auteure d’une quinzaine de livres et présente – ou plutôt présentait – une émission culinaire très populaire à la télévision. Sans parler des accords publicitaires conclus avec diverses marques agroalimentaires. Tout s’est écroulé en juin, lorsque Deen, traînée en justice par une employée (blanche) d’un de ses restaurants, a admis qu’elle usait volontiers avec son personnel de termes racistes, notamment le « N-word », doux euphémisme pour « nigger », « nigga » ou « negro », qu’il n’est sans doute pas utile de traduire. Lâchée par tous ses employeurs, elle tente de se racheter une conscience et multiplie émissions et vidéos d’excuses sur internet. Mais le mal est fait. « Elle s’est enrichie grâce à la cuisine des esclaves dont sa famille était propriétaire », estime un commentaire sur Twitter. De fait, son arrière-grand-père en possédait une trentaine… Devant son restaurant à Savannah, les files d’attente s’allongent. Ses clients sont, dans leur majorité, des Blancs outrés par le traitement médiatique infligé à leur idole. Une maigre consolation pour l’ex-reine de la cuisine sudiste.

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