Golfe de Guinée : à l’abordage !

Les otages ? Ils n’en veulent pas. Ce qui intéresse les pirates du Golfe de Guinée, ce sont les pétroliers qui croisent en mer. Les attaques sont même devenues plus nombreuses qu’au large de la Somalie.

Une équipe de la marine nationale camerounaise. © HO / CAMEROONIAN ARMY / AFP

Une équipe de la marine nationale camerounaise. © HO / CAMEROONIAN ARMY / AFP

Publié le 17 juillet 2013 Lecture : 7 minutes.

Sa mésaventure au large du Togo, Benjamin Elman ne veut plus en parler. « Je m’en remets à peine », s’excuse-t-il au téléphone. Alors son histoire, il l’a racontée à un cousin qui l’a retranscrite. Elle vaut le détour, car elle dit à peu près tout de ce qu’est la piraterie aujourd’hui dans le golfe de Guinée.

Le début des ennuis remonte à la nuit du 12 au 13 juin. Le MT Adour, un pétrolier dont Elman est le commandant en second, est en attente de chargement au large de Lomé lorsque des pirates, « cinq ou six jeunes âgés de 18 à 40 ans, armés de kalachnikovs, vêtus de shorts, de tennis ou de tongs et de vestes militaires », investissent le bâtiment. « Ils sont arrivés par l’arrière, dans une embarcation hors-bord, et sont montés avec des crochets », témoigne le marin français de 38 ans. Ils sont violents mais « ne donnent pas l’impression de vouloir tuer ».

la suite après cette publicité

Rapidement, ils ordonnent à l’équipage d’appareiller pour rejoindre leur bateau-mère, situé plus au large. Ils veulent récupérer la cargaison. Problème : les cuves sont vides. Furieux, ils tirent plusieurs coups de feu en l’air, appellent, via un téléphone satellitaire, ceux qui sont certainement leurs patrons, et décident finalement de se servir de l’Adour pour aborder d’autres tankers. Les pirates ne sont pas au bout de leur peine. Non seulement ils ne croisent que des cargos, « cible qui ne suscite par leur intérêt », explique Elman, mais, en plus, ils sont pris en chasse par les patrouilles nigériane et française (le Latouche-Tréville, navire de guerre français, se trouve alors dans la zone). Les pirates ouest-africains ne cherchent pas à faire des otages. Seule la cargaison du navire les intéresse. Mais il leur faut fuir ce nid à problèmes qu’est l’Adour, et, pour rejoindre la terre ferme, le Français et un marin ghanéen leur serviront d’assurance vie. Le lendemain, ils seront libérés.

Menace

Dans le Golfe de Guinée, les attaques de navires sont de plus en plus nombreuses. Depuis le début de l’année, sur 120 actes de piraterie enregistrés dans le monde, le Bureau maritime international (BMI) en a recensé 31 entre la Côte d’Ivoire et le Gabon. Il en avait dénombré 58 sur l’année 2012, et 38 en 2011. Et encore, il ne s’agit que d’une estimation, comme le reconnaît le BMI. « On serait plus près de la réalité si l’on disait qu’il y a une attaque par jour », estime un officier de marine de la sous-région. Aujourd’hui, le golfe de Guinée est ainsi devenu l’espace le plus fréquenté par les pirates, devant les côtes somaliennes. Impensable il y a à peine trois ans.

« Longtemps, on a cru qu’aucune menace ne pouvait venir de la mer », admet Maxime Ahoyo, conseiller du président béninois Thomas Boni Yayi pour les affaires maritimes. Autrefois, la piraterie se limitait aux côtes nigérianes, et plus précisément au delta du Niger. « Le phénomène est très ancien. Au XIXe siècle, la lutte contre la piraterie fut un motif de colonisation pour la Grande-Bretagne, rappelle Marc-Antoine Pérouse de Montclos, chercheur à l’Institut de recherche pour le développement (IRD) à Paris. Mais, depuis vingt ans, avec le boom pétrolier, il a fortement évolué. » À partir des années 1970, l’exploitation de l’or noir a engendré au Nigeria son lot d’inégalités et de revendications, de trafics et d’enlèvements. Pour y échapper, les compagnies pétrolières se sont repliées sur la mer, mais les insurgés et les criminels les ont suivies. D’abord au large du pays, puis à partir de 2007, du côté du Cameroun, de la Guinée équatoriale, et, plus haut, au Bénin, au Togo, et, de plus en plus loin, au Ghana et en Côte d’Ivoire…

la suite après cette publicité

En 2011, le Bénin a été leur cible privilégiée. « En un mois, nous avons subi 15 attaques alors qu’en 2010 nous n’en avions compté aucune », déplore M. Ahoyo. Cette année-là, les ressources portuaires, qui représentent la moitié des recettes de l’État, ont chuté de 70 %. La riposte a été immédiate. Trois patrouilleurs ont été mis à l’eau. « Depuis, il n’y a quasi plus d’agressions », se réjouit-il. Mais le mal est fait : désormais, le pays est classé à hauts risques par les compagnies d’assurances, et l’affluence au port de Cotonou n’a pas retrouvé son niveau d’antan.

Gagne-pain

la suite après cette publicité

Les pirates n’ont pas disparu pour autant. L’année suivante, on a dénombré 18 attaques au large du Togo, jusque-là épargné. « Ils sont de plus en plus nombreux, de mieux en mieux organisés et vont de plus en plus loin », note le professeur Joseph Vincent Ntuda Ebodé, directeur du Centre de recherche et d’études politiques et stratégiques à l’université de Yaoundé II (Cameroun). Pour lui, il faut faire la différence entre « les ouvriers » (pour la plupart nigérians), des miséreux qui prennent la mer en quête d’un gagne-pain, et les patrons (politiciens, rebelles, hommes d’affaires ou seigneurs de guerre) qui ont mis sur pied des groupes mafieux bien structurés.

Selon le centre d’analyse International Crisis Group (ICG), qui a publié un rapport en janvier, « les pirates disposent de ressources humaines, matérielles et financières considérables ». Pour détourner un navire, il faut entre 5 et 30 hommes armés de kalachnikovs, de mitrailleuses, voire de lance-roquettes, et plusieurs vedettes. Il convient surtout de bénéficier de complicités à tous les échelons, au Nigeria mais aussi dans les autres ports de la région. « Ils sont très bien informés. Ils n’agissent pas au hasard », précise Ntuba Ebodé. En cas de problème, ils savent qu’ils auront une chance de s’en sortir. Une illustration : il y a quelques années, des pirates arrêtés par une patrouille mixte bénino-nigériane étaient emmenés vers une prison de Cotonou lorsque la marine nigériane les a récupérés puis libérés. « À ma connaissance, ils n’ont jamais été jugés », souffle l’officier qui nous rapporte cette histoire. Rien d’étonnant pour Pérouse de Montclos, qui rappelle qu’en 2009, après une mesure d’amnistie accordée aux rebelles du delta du Niger, plusieurs de leurs chefs ont été incorporés dans l’appareil sécuritaire du pays. « On a intégré des voleurs pour faire la chasse aux voleurs », soupire-t-il. De fait, aucun gros bonnet n’a été arrêté ces derniers temps.

Cliquez sur l’image pour l’agrandir

Juteux

C’est que ceux qui pratiquent ce business juteux ont les moyens de leurs ambitions. « À chaque opération réussie, ce sont des cargaisons de 10 000 ou de 20 000 m3 de pétrole qui sont subtilisées. Ça fait beaucoup d’argent ! » souligne un officier ouest-africain. Contrairement à leurs cousins somaliens, les pirates du golfe de Guinée ne cherchent pas à obtenir des rançons en échange d’otages. Trop long. Trop complexe. Ils se contentent le plus souvent de détourner les bateaux (souvent avec violence, même si les morts sont rares), de les mener en haute mer, là où les attend un autre navire, de transférer le pétrole, et de retourner dare-dare dans leur fief afin d’écouler la marchandise.

Cette « pétro-piraterie » que dénonce Ahoyo est, selon un rapport de l’Organisation des nations unies (ONU), intimement liée au marché noir de produits pétroliers qui sévit dans les zones transfrontalières. Elle menace les deux mamelles de la région : le commerce de brut (sur les 9 millions de barils produits en Afrique subsaharienne chaque jour, le golfe en produit 5) et l’activité portuaire. Elle occasionne déjà « une perte annuelle de 2 milliards de dollars dans les secteurs de la production pétrolière, de la pêche et des transports maritimes », affirme l’ONU.

Les pays de la région (et même ceux de l’hinterland), longtemps apathiques, se sont décidés à mettre leurs moyens en commun pour planifier la riposte. Les États côtiers ont, en outre, entrepris de renforcer leur marine. Mais la force ne suffira pas. « Bien sûr qu’il faut envoyer l’armée, parce que les pirates sont là. Mais le coeur du problème se trouve au Nigeria et tout le monde le sait », confie un officier ouest-africain. ICG le rappelle : l’explosion récente de la violence maritime « n’est que le résultat du malaise social qui caractérise le littoral nigérian ». Tant que les problèmes à terre ne seront pas traités sérieusement, « la piraterie continuera de sévir pendant de nombreuses années ».

Les présidents des pays membres de la Ceeac et de la Cedeao, en juin à Yaoundé.

Les présidents des pays membres de la Ceeac et de la Cedeao, réunis fin juin à Yaoundé.

© Reinner Kaze/AFP

Branle-bas de combat

Première concluante à Yaoundé. Fin juin, une douzaine de chefs d’État se sont réunis pour organiser la riposte. Initié par la Communauté économique des États de l’Afrique centrale (Ceeac) et la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (Cedeao), ce sommet a scellé la volonté des deux ensembles sous-régionaux de travailler main dans la main, en incluant la Commission du golfe de Guinée (CGG). « Nous avons compris que si nous ne coopérons pas, nous n’y arriverons pas », explique le conseiller d’un chef d’État présent à Yaoundé. Un centre interrégional de coordination de lutte contre la piraterie doit voir le jour prochainement. Autre option évoquée : le déploiement d’une force navale internationale, à l’image de ce qui s’est fait au large de la Somalie.

La Matinale.

Chaque matin, recevez les 10 informations clés de l’actualité africaine.

Image

Contenus partenaires