Sénégal : Idrissa Seck, le funambule

Échoué à deux reprises sur les sables de la présidentielle sénégalaise, Idrissa Seck occupe une place inédite sur l’échiquier politique local. Ni allié inconditionnel ni opposant déclaré de Macky Sall, il suscite la défiance de la coalition au pouvoir.

Idrissa Seck, candidat à l’élection présidentielle, en janvier 2012. © SEYLLOU / AFP

Idrissa Seck, candidat à l’élection présidentielle, en janvier 2012. © SEYLLOU / AFP

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Publié le 15 juillet 2013 Lecture : 7 minutes.

« Le bilan d’étape est facile à faire : il n’y a pas encore grand-chose. » Pour son premier anniversaire à la tête de l’État, c’est une rose bardée d’épines qu’offrait Idrissa Seck au président Macky Sall. Le 25 mars, à l’occasion d’une longue interview à Télévision Futurs Médias (TFM), l’ancien « enfant gâté » d’Abdoulaye Wade égrenait ses attentes déçues : « La vie reste chère, l’emploi n’a pas décollé, des entreprises en difficulté ferment leurs portes et licencient, les délestages ont repris… » Arrivé en cinquième position au premier tour de la présidentielle de 2012, il entérinait ce jour-là son indépendance au sein de la coalition présidentielle Benno Bokk Yaakaar : ni supporteur indéfectible ni opposant revendiqué. Quitte à provoquer des grincements de dents chez ses alliés.

L’affaire fait grand bruit. Pour la majorité, les déclarations de l’ancien Premier ministre d’Abdoulaye Wade (de 2002 à 2004) relèvent au mieux d’un acte déloyal, au pire d’une déclaration de guerre. Jamais les autres grands ténors, Ousmane Tanor Dieng (Parti socialiste, PS) ou Moustapha Niasse (Alliance des forces de progrès, AFP), ne s’étaient risqués à cracher ainsi dans la soupe. Dans l’entourage de Macky Sall, nombreux sont ceux qui se méfient d’« Idy », cet allié ambitieux qui s’était rêvé quatrième président du Sénégal mais qui doit se contenter, pour l’heure, d’un rôle de conseiller du chef de l’État sans même en avoir la casquette. Pour ce professionnel de la politique, entré au Parti démocratique sénégalais (PDS) de Wade à l’âge de 14 ans avant de tomber en disgrâce, le costume de maire de Thiès – qu’il endosse depuis 2004 – semble trop étriqué.

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Tactique

« Sa dernière chance de devenir président se jouera en 2017 », analyse un patron de presse, convaincu que l’intéressé est déjà dans les starting-blocks. « L’attitude d’Idrissa Seck est une pure tactique politicienne, renchérit Abdou Latif Coulibaly, ministre de la Bonne Gouvernance et porte-parole du gouvernement. Il est plus soucieux de son avenir personnel que de son projet politique. » Au sein du parti présidentiel, l’Alliance pour la République (APR), on soupçonne Idy de prendre ses distances avec l’action gouvernementale pour mieux se présenter demain comme un recours. On spécule sur son rapprochement avec ses anciens « frères » libéraux, même si son entourage récuse tout contact entre lui et la direction du PDS. « Son positionnement est celui d’un opposant, souligne le député Abdou Mbow. Quand on participe à une coalition, on ne conseille pas le président à la télévision ou à la radio. »

Au lendemain de son interview à TFM, Macky Sall préfère traiter les propos de son détracteur par le mépris. « Ça n’a aucune espèce d’importance », déclare-t-il sans même prendre la peine de le nommer. Quelques semaines plus tard, le jugement est plus tranché : « Idy, on le connaît. Aujourd’hui, je considère qu’il est dans l’opposition », lâche-t-il en aparté, début juin, selon un témoin de la scène. Les cadres de Benno Bokk Yaakaar espèrent voir leur leader en tirer les conséquences au plus vite. « Avec un opposant déclaré, le combat est frontal, avertit Abdou Latif Coulibaly. Mais Idrissa Seck a fait le choix de saboter la coalition de l’intérieur, ce qui n’est pas acceptable. » Au même moment, le coordonnateur de l’Alliance Yoonu Yokkuté (du nom du programme de Macky Sall) annonce avoir demandé au chef de l’État « de le sortir de Benno Bokk Yaakaar parce qu’il n’est plus digne de confiance ». Dans le cercle de Macky Sall, on va même jusqu’à surnommer l’allié indocile le « Cha’aytan [« Satan »] du Landerneau politique sénégalais ».

« Approuver le convenable, condamner le blâmable. » Les proches d’Idrissa Seck s’abritent derrière le leitmotiv qu’il porte en sautoir. Une audace revendiquée par l’intéressé, devenu avare en déclarations, car, selon un proche, « à chaque fois qu’il prend la parole, c’est un événement ». Tout au plus accepte-t-il de rappeler les grandes lignes du pacte passé avec l’actuel président lors de l’entre-deux-tours de la présidentielle 2012. « J’ai dit à Macky qu’il n’avait pas besoin de solliciter mon soutien, résume-t-il à Jeune Afrique. J’ai toujours affirmé que je soutiendrais le candidat qui affronterait Abdoulaye Wade au deuxième tour. » À l’en croire, le deal était clair : d’un côté, Macky Sall ne contractait nulle dette à son égard ; de l’autre, lui-même conservait son indépendance. « Mon action politique est fondée sur deux piliers, martèle Idrissa Seck. D’abord, la liberté : je reste un libéral, rien ne m’enferme. Ensuite la vérité : je refuse les compromissions et toute forme de contrainte. »

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Pour son fidèle compagnon de route Thierno Bocoum, l’un des dix députés Rewmi à l’Assemblée nationale, il n’a jamais été question de faire allégeance, d’autant que « l’actuelle législature a tué l’initiative parlementaire, les propositions de loi étant négligées au profit de projets élaborés par l’exécutif ». Selon le député de Dakar, le rôle de Rewmi est de contrôler l’action du gouvernement et d’exprimer ponctuellement ses désaccords, qu’il s’agisse de la décision de la cour de justice de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (Cedeao) désavouant partiellement la justice sénégalaise dans les procédures pour enrichissement illicite ou de l’interdiction d’une marche prévue par le PDS. Quant à la traque aux biens mal acquis qui a entraîné l’incarcération de Karim Wade, Idrissa Seck l’approuve du bout des lèvres, considérant que Macky Sall doit solder les affaires de l’ère Wade tout en répondant, en priorité, aux attentes du pays.

Paradoxalement, comme le reconnaissent les députés de Benno Bokk Yaakaar, leurs collègues de Rewmi se sont jusque-là montrés solidaires du pouvoir. « Ils se distancient parfois des positions du groupe. Mais le travail parlementaire se déroule normalement », admet Abdou Mbow, de l’APR. Quant aux deux ministres issus de Rewmi, ils sont à ce point dévoués au chef de l’État que les cadres du parti s’en méfient. Alors, dedans ou dehors, Idrissa Seck ?

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Les élections locales pour test

Au-delà de ses aspirations personnelles, les tiraillements induits par les déclarations du président de Rewmi posent la question de la viabilité de Benno Bokk Yaakaar. Coalition électorale anti-Wade devenue alliance de gouvernement, cet attelage hétéroclite résistera-t-il aux desseins parfois concurrents de ses principaux représentants ? right; padding-left: 20px;" alt="À la veille du second tour, tout allait bien entre Idrissa Seck (à g.) et Macky Sall" src="https://www.jeuneafrique.com/photos/072013/008072013152033000000JA2739p034.jpg" />Prévues en mars 2014, les élections locales feront office de premier test. Récemment fondée et encore peu représentée dans les collectivités locales, l’APR ne cache pas ses prétentions. Mais ses alliés de l’AFP et du PS n’entendent pas laisser leur rival grignoter leurs fiefs, conquis de haute lutte. Quant à l’échéance de 2017, certes encore lointaine, elle risque de ramener la coalition à son statut initial : un regroupement de candidats dont les ambitions électorales ne sont pas éteintes. Comme l’indiquent les récents propos de Bamba Fall, responsable des jeunesses socialistes de Dakar : « Nous ne sommes pas là pour faire de Benno Bokk Yaakaar un nouveau parti qui doit porter la candidature de Macky Sall en 2017. »

Idrissa Seck, qui n’a plus revu Macky Sall depuis la rencontre des leaders de la coalition qui s’est tenue mi-décembre 2012, écarte, quant à lui, tout calcul, affirmant se préoccuper exclusivement des « attentes du peuple sénégalais » et réserver ses sorties médiatiques « aux vrais sujets ». Brouillant les pistes, quitte à être taxé d’opportunisme, il continue de souffler le chaud et le froid : « Le 25 mars 2014, j’espère avoir l’occasion de féliciter le président si les résultats sont au rendez-vous. » Si l’alliance entre Idy et Sall doit se rompre, chaque camp entend manifestement en laisser la responsabilité à celui d’en face.

Photo ci-dessus : la veille du second tour, tout allait bien entre Idrissa Seck et Macky Sall

©Aliou Ba/Apanews

Idrissa Seck et Macky Sall sacrifiés au nom du fils

Promis à la succession d’Abdoulaye Wade, Idrissa Seck tombe en disgrâce en 2004 lorsque son mentor l’écarte de la primature. Un an plus tard, il fait l’objet d’une accusation de détournement financier qui lui vaudra d’être incarcéré pendant six mois avant de bénéficier d’un non-lieu. Dans le même temps, « Gorgui » laisse miroiter à Macky Sall qu’il ne tient qu’à lui d’occuper à ses côtés la place du dauphin déchu. Deux ans ont passé lorsque Macky Sall subit à son tour les foudres du monarque. Il est éjecté du poste de Premier ministre puis de la présidence de l’Assemblée. Abdoulaye Wade, ne fait plus mystère de l’ambition qu’il nourrit pour son fils Karim, qu’il espère propulser au Palais de la République. Échaudés par le sort qui leur a été réservé, Idrissa Seck et Macky Sall s’en vont, chacun de son côté, voler de leurs propres ailes. À la veille de l’élection de 2012, les deux sacrifiés soldent leur antagonisme autour d’un objectif commun : contraindre Abdoulaye Wade à prendre sa retraite.

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