Madagascar : Marc Ravalomanana, la stratégie du sous-marin
Marc Ravalomanana l’avait promis : il ne se représente pas à la présidentielle d’août 2013 à Madagascar. Mais il a lancé sa torpille, Lalao, son épouse…
De Tiko, le groupe fondé par Marc Ravalomanana dans les années 1980 et qui faisait figure d’empire agro-industriel, voire d’État dans l’État, il ne reste pas grand-chose depuis sa chute, il y a quatre ans. Tous les magasins de l’enseigne Magro (grande distribution), que l’on trouvait dans la plupart des grandes villes du pays, ont été pillés et incendiés en janvier 2009. Depuis, tout est à l’abandon. Certains terrains ont même été « récupérés » par l’État. Quant aux autres sites (deux huileries et une minoterie), il n’en reste plus rien ou presque. Bien que vidée de ses employés et de ses bêtes, la ferme d’Andranomanelatra est le seul bien du groupe à avoir été épargné. « Tiko existe toujours, mais c’est une coquille vide », admet Me Hanitra Razafimanatsoa, qui est tout à la fois l’avocate du groupe et l’une des porte-parole du président déchu – un mélange des genres qui était la règle quand Ravalomanana détenait le pouvoir.
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Ainsi, les rares personnes qui travaillent encore dans la ferme n’ont pas été payées depuis un an. Elles ne s’en émeuvent pas outre mesure : elles veulent croire qu’un jour, l’activité reprendra. Encore faut-il que le groupe solde ses comptes avec l’État, qui lui réclame des milliards d’ariarys d’impôts impayés… ou que le clan Ravalomanana revienne au pouvoir.
Charisme
La seconde hypothèse est la plus probable. Certes, Dada (« papa »), comme on appelle Marc Ravalomanana, n’est pas candidat à la prochaine présidentielle. Mais en portant son choix sur son épouse, Lalao (patronne de Tiko lorsque son mari occupait la présidence), pour représenter sa mouvance, il reste au centre du jeu.
Depuis qu’elle parcourt le pays, celle que les Malgaches surnomment Neny (« maman ») a marqué les esprits. « Elle parle peu et ce qu’elle dit a été écrit par d’autres, mais elle a un vrai charisme », explique un journaliste qui a assisté à ses meetings. La plupart des observateurs en font leur favorite, et bon nombre de Malgaches disent qu’ils voteront pour elle.
Jouant sur les fibres religieuse (« mon objectif est que les Malgaches se tournent vers Dieu ») et maternelle (« sauver un pays, c’est comme gérer un ménage »), elle prend soin d’éviter de parler du passé. Elle sait que beaucoup de Malgaches sont nostalgiques de l’ère Ravalomanana, mais elle ne veut pas avoir à répondre des dérives d’un homme dont elle rappelle qu’il vit aujourd’hui en Afrique du Sud.
Cherchant à se démarquer, elle a précisé dans L’Express de Madagascar le 14 juin (seule interview qu’elle ait donnée depuis son retour au pays), que lorsque son mari était président, elle n’était pas toujours d’accord avec lui. Elle a en outre annoncé que, en cas de victoire à l’élection, c’est Marc qui dirigerait l’entreprise. Une manière de dire qu’il ne s’occuperait pas des affaires de l’État. Mais avec les Ravalomanana, la frontière est ténue. Pour l’heure, c’est leur fils, Tojo, qui gère le groupe.
Ci-dessus : Lalao Ravalomanana, l’épouse de
l’ancien président, en campagne.
© Tantely ANDRIAMALALA / AFP
Andry et les ripoux
Les trafics de bois de rose, d’or ou de tortues ? La corruption à grande échelle ? Le président de la transition, Andry Rajoelina, ne nie pas leur existence, ni même leur recrudescence depuis qu’il a pris le pouvoir, mais il se défend d’en être – de près ou de loin – l’un des bénéficiaires. « C’est un combat quotidien et je fais tout mon possible pour y mettre fin, a-t-il affirmé le 15 juin, lors d’un entretien en aparté avec J.A. Mais ce n’est pas spécifique à Madagascar. Aux États-Unis, il y a des trafics de drogue, cela ne veut pas dire qu’Obama en profite. » Quant à ses liens avec les hommes d’affaires qui ont fait fortune sous la transition, parfois dans une certaine opacité, et notamment Mamy Ravatomanga, présenté comme son conseiller officieux et comme le vrai ministre de l’Économie, il les minimise. « Ce n’est pas un conseiller. C’est un homme d’affaires que je connais parmi tant d’autres. Je ne suis pas son avocat, mais vous savez, à Madagascar, dès que l’un d’entre nous réussit, il suscite la jalousie. »
Une économie en capilotade
Avec la crise politique qui s’éternise, rien ne va plus dans l’économie malgache. La Banque mondiale tire la sonnette d’alarme. Selon son rapport du 5 juin, la proportion de la population vivant avec moins de 2 dollars par jour a augmenté de dix points depuis 2008, passant à plus de 92 % en 2013. Sur la même période, 800 millions d’euros d’aides et de prêts ont été supprimés par les bailleurs de fonds internationaux condamnant la prise du pouvoir par Andry Rajoelina. « Les fonctionnaires sont payés, mais l’éducation, la santé, les routes, la distribution d’eau et l’assainissement ont été sacrifiés. Malgré son potentiel agricole, Madagascar est devenu le 6e pays au monde le plus touché par la malnutrition, sans pourtant être en guerre ! », dénonce Fatma Samoura, coordinatrice du système des Nations unies dans la Grande Île. Autre sanction pénalisante, l’exclusion du pays de l’African Growth and Opportunity Act (Agoa), qui accordait des réductions douanières aux produits malgaches sur le marché américain : selon le Programme des Nations unies pour le développement (Pnud), elle a entraîné depuis 2009 la disparition de 336 000 emplois, dont 126 000 dans le seul secteur textile. Résultat, les entreprises tournées vers le marché intérieur font face à des coupes claires dans les dépenses des ménages et de l’État. Et le secteur touristique, crucial pour le pays, flanche. Le nombre de visiteurs accueillis est passé de 400 000 en 2008 à 250 000 en 2012. Seule lueur dans ce brouillard, la relative stabilité de la monnaie, l’ariary. « Mais les dernières tensions et le report de l’élection [présidentielle] vont encore accentuer les problèmes économiques », prévient Fatma Samoura.
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