Librairies orientales au coeur de Paris

À l’heure du multimédia, les librairies spécialisées de la capitale française peinent à se maintenir à flot, mais demeurent des refuges de culture savante. Promenade au coeur du Quartier latin.

Hachem Mouawieh, le directeur de la librairie Avicenne. © Vincent Fournier/J.A.

Hachem Mouawieh, le directeur de la librairie Avicenne. © Vincent Fournier/J.A.

ProfilAuteur_LaurentDeSaintPerier

Publié le 8 juillet 2013 Lecture : 3 minutes.

N’en déplaise à M. de Sorbon, le Quartier latin a toujours été le havre parisien des lettres arabes. Moins attiré par la Grande Mosquée et l’Institut du monde arabe (IMA) que par les écoles, facultés et maisons d’édition qui y pullulent, de nombreuses librairies ont ouvert leurs portes au coeur de la rive gauche, là où le père de l’orientalisme, Silvestre de Sacy, fondait il y a deux siècles sa Société asiatique. Averroès, Avicenne, L’Harmattan, Albouraq, leurs noms sont autant d’invitations au voyage et leurs histoires se confondent souvent avec celles de l’intelligentsia arabe de Paris, celles aussi des guerres et des dictatures qui ont poussé tant d’artistes et de penseurs vers la capitale française.

Au 51 de la rue Monsieur-le-Prince, une enseigne : « Librairie orientale, H. Samuelian ». Derrière la vitrine sobre, les dorures des vieux livres scintillent sur les rayons. Dans la boutique, des odeurs de poussière et de vieux cuirs, une ambiance recueillie, à peine troublée par le murmure de quelques pages tournées. Une petite dame, cheveux blancs et bésicles, apparaît derrière un empilement de livres, un énorme tome sous le bras : « Mon père, Hrand Samuelian, a créé la librairie en 1930. Arménien, il était arrivé en France en 1919, après avoir fui les massacres turcs. La librairie est telle qu’elle était il y a cinquante ans : des éditions anciennes toutes dévolues à l’Orient. » Un Orient vaste, qui s’étend du Mali au Japon : dans les bibliothèques, beaucoup d’Arménie, des cours d’arabe, des récits d’orientalistes et d’explorateurs, parmi lesquels Dans les ténèbres de l’Afrique, de H. M. Stanley, en édition originale. « Hélas, les collectionneurs sont de moins en moins nombreux, regrette la libraire. Notre clientèle est surtout constituée d’étrangers, d’anciens professeurs qui nous ont connu il y a longtemps, à l’époque de leur splendeur, et de la nôtre… »

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Débat

« Il faut rendre hommage à nos doyens : Samuelian, Geuthner, Maisonneuve », raconte Hachem Mouawieh, un Libanais lui aussi chassé de son pays par la guerre et qui, depuis, tient la librairie Avicenne, institution sise face au campus de Jussieu. « Mais nous nous enorgueillissions d’être la première librairie arabisante de Paris, ouverte en 1980 : il fallait alors se distancier d’un orientalisme très critiqué par Edward Saïd », poursuit-il. Chez Hachem, l’histoire, la culture et la politique semblent se donner un rendez-vous quotidien, et la petite boutique reste un phare de l’élite arabe de Paris. Ce jour-là, Hala al-Abdallah, réalisatrice syrienne très engagée pour la révolution dans son pays se lance dans un vif débat avec un client tunisien grisonnant, gauchiste obnubilé par l’hydre jihadiste. Le Libanais reprend : « Dans les années 1980, c’était la guerre à Beyrouth, et Paris était l’asile d’une foule de journalistes et d’intellectuels arabes. Nous pouvions alors vendre jusqu’à un tiers des exemplaires d’un titre arabe, et nous avons lancé ici des gens comme Elias Khoury ou Alaa El Aswany. Mais avec l’arrivée des nouveaux médias du Golfe et de l’internet dans les années 1990, beaucoup de monde s’en est allé hélas ! »

D’autres s’en sont allés, qui faisaient tourner les fonds de commerce. Constat général dans le quartier universitaire, les clients désertent les rayons des librairies, une à une supplantées par des boutiques de grandes marques textiles. Les étudiants, qui fournissaient le gros du contingent, se contentent désormais d’articles glanés sur la Toile et vont compléter leurs recherches dans les bibliothèques. Ceux qui aiment les livres ont pris l’habitude de les commander sur internet quand ils ne les téléchargent pas sur tablette. Il y a quelques mois, la librairie Avicenne, qui gérait deux boutiques, l’une pour le fonds en arabe et l’autre pour le fonds en français, a été obligée d’en fermer une. Mais les libraires arabes du Quartier latin ont plus que le commerce chevillé à l’âme, ils ont la passion. 

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