Musique : Passi simple
Rappeur, producteur, homme d’affaires… l’artiste franco-congolais Passi Balende multiplie les casquettes. Il sort un nouvel album solo ainsi qu’un livre coécrit avec son frère.
« Hey ! Téma ! Téma ["mate", en verlan] qui va entrer ! » Les deux jeunes serveurs de ce bistrot parisien situé près de la place de la Bastille trépignent. Franchira-t-il le seuil ou s’est-il arrêté là par hasard ? À l’extérieur, Passi, téléphone en main, fait durer sa conversation… et l’attente des garçons de café, qui observent et épient ses moindres mouvements. Flanqué de deux attachées de presse pour la promotion de son quatrième album solo, Ère Afrique, Passi finit par entrer et s’installe confortablement au fond d’un canapé.
« Mon nouvel album est un hommage à la musique africaine et à sa diversité », déclare tout de go le Franco-Congolais. L’argumentaire est rodé. « Chaque morceau est un duo, explique-t-il. J’aime les collaborations car elles permettent de voyager, grâce aux différents rythmes, langues et voix. » Au total : 17 artistes invités pour presque autant de pays musicalement traversés. « Avec Meiway, c’est la vibe ivoirienne, avec le doyen Manu Dibango [qu’il appelle papa] on est au Cameroun, avec Fally Ipupa au Congo, avec Naby et Moussier Tombola au Sénégal. » Et s’il revendique d’entrée de jeu un album « soleil, pas très cérébral », il cultive aussi son côté lover dans un zouk très sensuel (« Sent U ») ou plus afro-idéaliste dans « Bantou Life » ou « La Dignité du peuple », consacré au Printemps arabe.
« L’engagement pour l’Afrique est une mode, avance-t-il, mais pour moi c’est une ligne que je suis depuis longtemps. » Passi est l’un des premiers rappeurs à avoir intégré des sonorités africaines. Avec Bisso Na Bisso, le groupe franco-congolais qu’il a cofondé en 1998, il a écoulé 200 000 exemplaires de l’album Racines. Flairant le créneau, il a créé dès le début de cette aventure collective son propre label, Issap Productions. Ce qui lui a permis d’autoproduire Ère Afrique.
Rage
Celui qui « considère le rap comme une sorte de journalisme de rue » publie également un livre, Explication de textes, coécrit avec son frère Steeve. À 40 ans, il revient sur ses chansons phares. « J’ai voulu en quelque sorte enlever la musique, pour que l’on puisse lire ce qui était véritablement écrit dans ces textes. » L’artiste y trouve aussi l’occasion de donner son avis, d’analyser en plus que trois couplets des phénomènes de société. « Cela fait des années que les rappeurs sont au top des ventes, qu’ils ont révolutionné la musique française. Pourtant, ils souffrent encore de nombreux clichés, dit-il. On leur donne rarement la parole. »
L’exercice aurait pu être scolaire si Passi Balende, de son nom complet, n’y avait pas insufflé de nombreux éléments autobiographiques. De quoi comprendre, entre autres, pourquoi ce natif de Brazzaville n’a jamais coupé les ponts avec le continent. Issu d’une famille plutôt aisée – une mère professeure d’anglais et un père administrateur de santé à l’hôpital général de Brazzaville -, il voit son univers changer radicalement lorsque la famille débarque en France. À 7 ans, avec ses six frères et soeurs, il découvre la banlieue parisienne… et le rap, qui très vite « contamine [s] es cahiers, [s]a tête et [s]es fringues ». Dès 1989, tout en préparant son baccalauréat, il fonde avec des amis (dont Stomy Bugsy) le Ministère A.M.E.R. Un groupe qui, à l’instar de NTM et d’IAM, inondera de ses sons et de ses rimes pleines de rage les cités et les banlieues françaises. En 1997, lorsqu’il se lance en solo, avec Les Tentations, les sons se font plus groovy, plus ensoleillés aussi. L’album se vendra à plus de 450 000 exemplaires, poussé par les tubes « Je zappe et je mate » et « 79 à 99/30 ans chrono ». Ses albums suivants (Genèse sorti en 2000, Odyssée en 2004, Révolution et Évolution en 2007), remarqués, auront néanmoins moins de succès.
Yaourt
Rappeur, producteur, aujourd’hui écrivain : tant de casquettes qui ne suffisent toujours pas à l’artiste, qui a décidé de s’investir davantage dans son pays d’origine. Et ne lui parlez surtout pas de politique ! Même s’il a été un temps ambassadeur de bonne volonté du Programme des Nations unies pour le développement (Pnud) au Congo, il rêve désormais de business… « L’Afrique, ce n’est pas la savane et les huttes. Il y a un véritable dynamisme, notamment économique », dit-il. Il vient d’ailleurs de signer un partenariat avec la compagnie aérienne congolaise ECAir et leur a réalisé une campagne de pub.
Un rappeur homme d’affaires ? Après tout, rien de plus attendu. Des stars américaines comme Jay-Z ou P. Diddy sont bien à la tête de véritables empires. Le Congolais assume, lui aussi. « J’ai parfois une approche très marketing sur certains projets. J’en suis fier. Je pourrais vendre du yaourt s’il le fallait », plaisante-t-il. Et des idées, il en a des milliers : ouvrir une école de formation audiovisuelle au Congo ou encore tourner un court, puis un long-métrage. « Travailler en Afrique, c’est entrer dans un autre système, certes. Mais tous ceux qui rentrent actuellement au pays, Blancs, Noirs, Africains ou non, lorsqu’ils ont un bon filon, s’éclatent beaucoup plus qu’en Europe. Il y a une chaleur, une ambiance qu’on ne retrouve plus ici, dans les rues de Paris. » En voilà donc un pour qui l’« ère Afrique » ne se limitera manifestement pas qu’à un idéal musical… Au point d’y retourner lui-même, définitivement ? Il répond, dans un français mâtiné d’un fort accent lingala et dans un éclat de rire : « J’y pense. Et je sais que je ne passerai pas mes vieux jours ici, ça, c’est sûr… »
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