Algérie : flics, générales, juges… mais pas citoyennes

Sihem Bensouyah est consultante et chef d’entreprise.

Publié le 15 juillet 2013 Lecture : 3 minutes.

Chez les Algériens, pour exprimer son affection à un bébé, un parent, un ami ou un amour, on dit souvent « n’mout alik » (« je mourrais pour toi »), quand d’autres disent « je t’aime » ou, à l’extrême, « je t’aime à en mourir ». Infinitif et soupçon de conditionnel, alors que dans « n’mout alik », on est dans le définitif, l’impératif du sentiment. L’amour et la menace exprimés en même temps. Le sentiment algérien entier et violent. L’association du beau et de l’affreux. Suivez mon regard.

Dans ce bled, mon bled, une femme a été promue au grade de général. Modèle unique en son genre dans le monde arabo-musulman, comme le nombre significatif de femmes officiers supérieurs dans l’armée algérienne, dignes héritières des combattantes de l’Armée de libération nationale. Pourtant, dans ce même bled, quand passé le coucher du soleil elle ose (et elles osent) occuper la rue ou tout autre lieu public, la gent féminine s’expose aux « attentions particulières » des petits voyous et des flics des barrages routiers, les uns et les autres lui contestant le droit d’être hors des maisons aux heures réservées aux hommes. Flics et voyous d’autant plus « attentionnés » lorsqu’ils soupçonnent ces femmes d’appartenir à la mouvance « sexy libérées ». Elles sont alors souvent la cible d’élégances diverses : crachats, violences verbales quand elles ne sont pas physiques.

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Pourtant dans ce bled, le plus souvent et dans les affaires de tous genres, le juge est… une femme. Largement majoritaires dans les professions de la magistrature et du droit, elles sont présidentes de cours et juges à la Cour suprême. Mais dans ce même bled où elle est aussi simple flic, commissaire divisionnaire ou membre des brigades spéciales (depuis la décennie noire du terrorisme islamiste), une femme battue par son mari ne peut pas toujours espérer être protégée par les forces de l’ordre. Car le code de la famille, labellisé à 90 % par la charia malékite et promulgué par le FLN en 1984, ne considère pas que le fait de battre sa femme soit un délit. La loi de mon Algérie ne protégera donc pas forcément Mme la commissaire ou Mme la générale si par malheur son mari devient violent. À moins qu’il ne l’envoie à l’hôpital et mette sa vie en danger. L’Algérie est une république, ne l’oublions pas !

Restaurer la dignité de la femme algérienne

Dans le pays d’Assia Djebbar, où de sublimes textes ont chanté et chantent encore si magnifiquement l’amour et la beauté des femmes, ces dernières ont besoin d’un tuteur pour pouvoir se marier. Mineures à vie, donc. Dans ce pays où la femme est candidate à la présidentielle, souvent ministre, majoritaire sur les bancs des universités, dans les métiers de la santé et de l’éducation, les amendements de 2005 au code de la famille (tout petit cadeau offert par le président Bouteflika pour acheter le silence de ces associations si actives, bruyantes et dérangeantes) ont permis aux Algériennes de pouvoir enfin juridiquement revendiquer l’attribution du logement familial dans le cas d’un divorce avec enfants. Entre 1984 et 2005, elles étaient jetées à la rue avec enfants et sans bagages. Mais le plus grand drame de mon Algérie, ce sont ces femmes défavorisées, très nombreuses, trop nombreuses hélas, soumises à des emplois difficiles, parfois non déclarés, souvent « responsables » de la survie de la famille et trimant pour entretenir mari, fils, voire jeunes frères inactifs.

L’Algérie dit à ces filles : « N’mout alik. » Elle les a tant aimées. Elle a favorisé leur éducation et leur émancipation professionnelle au point qu’elles sont parvenues à conquérir des niveaux de responsabilité rarement égalés dans un pays arabo-musulman à telle échelle. Mais comme en Algérie on est avant tout algérien, l’Algérie a exprimé son amour à ses filles en les maintenant « sous menace légale », sous « code de la famille ».

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Pourquoi l’Algérie devrait-elle continuer d’avoir peur de libérer ses femmes ? Pourquoi n’ouvrirait-elle pas enfin ce débat dans le cadre des projets d’une Algérie meilleure de l’après-­Bouteflika ? Des réformes justes et sur mesure sont possibles qui ne froisseraient ni la sensibilité conservatrice des uns, ni l’islamisme politique des autres, ni les intérêts des hommes au pouvoir. Ne pourrait-on par exemple instaurer des régimes multiples en matière de mariage et d’héritage pour laisser aux futurs époux et aux pères la liberté de choisir entre le régime de la loi malékite et celui d’une loi civile ? La croyance des uns et la liberté des autres seraient enfin respectées. Et la dignité de la femme algérienne enfin restaurée. 

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