Aïcha Redouane et Habib Yammine, le rythme et la mélodie
Aïcha Redouane vient du Maroc, Habib Yammine vient du Liban, ils se sont rencontrés en France grâce à leur passion commune pour la musique classique arabe. Ils y consacrent leur vie.
Elle est née à Aït Attab, dans le Moyen-Atlas, au Maroc, en 1962. Il est né à Zikrite, près du mont Liban, en 1956. Ils se sont rencontrés en 1986, au Centre d’étude des musiques et danses du Mashreq et du Maghreb de Paris (Cemudamm). « Contrairement à la musique occidentale, qui est harmonique, la musique arabe est mélodico-rythmique, affirme Habib Yammine. Alors la première fois que nous nous sommes vus, nous avons parlé mélodie et rythme, chacun apportant sa sensibilité. Ensuite, ça s’est étendu aux sentiments… » Facile à dire vingt-sept ans après, bien sûr, mais ces deux-là étaient faits pour se rencontrer. Bien que séparés à l’origine par toute une Méditerranée, ils ont tous deux été bercés par les chants de la tradition arabe. « Tout ce que ma grand-mère m’a transmis de poésie amazigh est demeuré dans ma mémoire, raconte Aïcha Redouane. Et la relation avec elle est restée très forte jusqu’à son décès, en 2009, moment où elle est devenue encore plus spirituelle. C’est elle qui m’a appris à chanter et elle était très fière de venir me voir lors de mon premier concert à Casablanca. Je me souviens d’elle, assise au premier rang avec sa djellaba blanche… »
Habib Yammine, lui, a commencé de façon plus traditionnelle, au conservatoire de Beyrouth, sur un violon. C’était en 1973, et il a abandonné sept ans plus tard, se rendant compte que ses goûts le portaient plutôt vers l’esthétique des maqâm arabes. « En réfléchissant, j’ai compris que j’avais en moi une autre connaissance qui me venait de la poésie traditionnelle libanaise, explique-t-il. Dans mon entourage familial, il y avait beaucoup de poètes amateurs. Notamment le « maître caché » Abdou Yacoub, qui tressait des paniers avec mon grand-père tout en récitant des poèmes… Cette poésie-là est chantée, elle sort avec une mélodie et un rythme. »
Fin 1977, la guerre pousse Habib Yammine à rejoindre la France pour y entreprendre des études de musicologie. Aïcha Redouane y est déjà installée depuis dix ans. En 1968, elle a suivi ses parents en Ardèche, à Vals-les-Bains, où son père a trouvé du travail aux Tissages de soieries réunis (TSR). Sa grand-mère, qui l’avait élevée durant les cinq premières années de sa vie, lui manque beaucoup, bien qu’elle lui rende visite chaque été. Mais aujourd’hui, alors qu’elle vient pour la première fois de chanter en tamazight dans son propre pays, pas question d’évoquer des souvenirs douloureux. En Ardèche, elle a découvert d’autres couleurs, d’autres langues. « J’ai toujours chanté, mais en France j’ai entendu tous les styles de musique, dont la chanson arabe par l’intermédiaire de mon père, dit-elle. Il écoutait la radio attentivement, je l’imitais et il m’a fait découvrir la beauté profonde de la musique classique arabe. »
Un temps étudiante en architecture à Grenoble, elle chante dans les fêtes, pour des amis, et écoute tout, jazz, rock, classique. Encouragée à poursuivre dans cette voie, elle rejoint le Cemudamm à Paris et se voit proposer une place de soliste au sein de l’ensemble Ziryab, avec Habib Yammine, qui enseigne les percussions tout en poursuivant ses recherches en ethnomusicologie. En 1991, tous deux fondent Al-Adwâr sur le modèle du takht charqî, ensemble de musique savante orientale. Le couple, sans enfants, se donne totalement à sa passion des maqâm, entre concerts et recherches formelles. Ensemble, ils mènent pendant six ans un travail de fond sur les 78 tours enregistrés par les maîtres de l’art vocal, au début du XXe siècle, de l’Égypte à la Syrie. Aïcha Redouane étudie les psalmodies coraniques, Habib Yammine approfondit ses recherches sur les répertoires rythmiques et la fabrication de tambours sur cadre. Enseignants, installés à Saint-Denis dans une maison « qui permet de faire de la musique sans gêner », ils consacrent plusieurs CD à la reprise du répertoire savant proche-oriental, empruntant à la poétesse soufie d’Irak Rabia al-Adawiyya, au poète égyptien Ibn al-Farid, à Ibn Arabi. Pour Habib, Aïcha est « ferme, entière, impossible à bouger d’un cheveu quand elle a une conviction et en même temps très, très sensible, angoissée ». Elle se voit comme une « corde offerte aux vibrations du monde ». D’eux, elle déclare : « On tombe toujours d’accord sur les poèmes, parce que nous sommes habités par les mêmes textes. Nos disputes portent sur des détails anodins concernant le comportement de l’autre. » Quelques dissonances n’empêchent pas l’harmonie.
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