Succession au Qatar : tel père, quel fils ?

Le cheikh Hamad Ibn Khalifa Al Thani a transmis les rênes du pouvoir à Tamim, que l’on dit moins fougueux. Mais le nouvel émir n’a donné que peu d’indices sur sa vision de la politique extérieure du Qatar.

Tamim Ibn Hamad Al Thani (à dr.), le 16 juillet 2012, à Tunis. © Fethi Belaid/AFP

Tamim Ibn Hamad Al Thani (à dr.), le 16 juillet 2012, à Tunis. © Fethi Belaid/AFP

ProfilAuteur_LaurentDeSaintPerier

Publié le 9 juillet 2013 Lecture : 5 minutes.

Serait-ce le sacre d’un nouveau printemps ? Le 25 juin, Hamad Ibn Khalifa Al Thani s’est détrôné lui-même pour laisser la place à la jeune génération, celle de son fils Tamim, héritier désigné depuis 2003. Premier chef d’État arabe à quitter le pouvoir volontairement depuis la démission, très temporaire, de l’Égyptien Gamal Abdel Nasser, en 1967, l’émir sortant a déclaré, lors du discours à la nation prononcé ce jour-là : « Le temps est venu d’ouvrir une nouvelle page de l’histoire de notre nation, où une nouvelle génération s’avance pour assumer les responsabilités. […] Je déclare transmettre les rênes du pouvoir au cheikh Tamim Ibn Hamad Al Thani, qui est, j’en suis sûr, à la hauteur de cette responsabilité. »

Confisquant le pouvoir à son père en 1995, Hamad Ibn Khalifa était devenu le plus jeune monarque du Golfe. Dix-huit ans plus tard, il donne de son propre chef le même avantage à son fils. La fougue de l’ambitieux émir Hamad avait fait d’un Qatar anonyme l’un des États les plus influents de la région et le pays le plus riche de la planète. Le dynamisme de Tamim ne sera pas un luxe pour stabiliser la monarchie dans ses nouvelles conquêtes, tout en menant à bien les objectifs de développement fixés par son père. Faisant à demi-mot l’éloge de son rejeton, Hamad a rendu hommage à la jeunesse qatarie « capable de s’adapter à l’esprit de son temps, profondément et pleinement consciente de ses exigences ».

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Monsieur sport

Né en 1980, Tamim appartient en effet à la génération révolutionnaire des blogueurs Slim Amamou de Tunisie, Wael Ghonim d’Égypte ou Razan Ghazzawi de Syrie. À celle aussi de son compatriote Mohamed al-Ajami, un poète condamné à quinze ans de prison en février pour avoir déclamé ces vers jugés trop subversifs : « Nous sommes tous la Tunisie face à une élite répressive. » Parmi les motifs de la condamnation, la « diffamation du prince héritier » qu’était alors Tamim. Le nouvel émir aura-t-il un geste magnanime pour prouver à l’insolent que la jeune élite de son pays est plus compréhensive ? Si dans son premier discours de chef d’État il a insisté, comme l’a toujours fait son père, sur l’impératif du développement humain, l’idée des droits de l’homme n’a pas été évoquée. Loin de prononcer une profession de foi révolutionnaire, le fils du cheikh Hamad a déclaré qu’il suivrait pieusement la voie de son père.

Cette voie, Tamim la maîtrise parfaitement pour l’avoir arpentée depuis dix ans en tant que prince héritier. Deuxième fils de la deuxième épouse de Hamad, il a été soigneusement choisi par son père après que celui-ci a écarté les deux premiers héritiers désignés, l’un trop noceur, l’autre trop bigot. C’est d’abord dans le domaine sportif que le prince de la jeunesse qatarie se forge sa popularité nationale et sa notoriété internationale en devenant, dès sa désignation comme dauphin en 2003, le plus jeune membre du Comité international olympique (CIO). Président du comité olympique du pays, il a développé les infrastructures sportives du Qatar, hébergé de grandes rencontres internationales et remporté sa première grande bataille en 2010 en décrochant l’organisation du Mondial de football 2022.

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Ces trois dernières années, l’émir et lui-même ont posé sur la voie royale les jalons de son accession au trône. Des dossiers de première importance lui sont confiés, comme celui du dialogue avec le méfiant voisin saoudien, et des membres de sa clientèle sont petit à petit placés à des postes clés dans tous les secteurs. En 2011, deux proches viennent ainsi encadrer en tant que vice-Premiers ministres le très puissant chef du gouvernement et ministre des Affaires étrangères, Hamad Ibn Jassem. Alter ego de son cousin, l’ex-émir, « HBJ » a d’ailleurs perdu toutes ses attributions gouvernementales le 26 juin lors de la formation du nouveau cabinet. Redoutable politique, homme des négociations difficiles et secrètes, on a pu craindre à Doha que son ambition ne le pousse un jour à tenter quelque coup d’État contre son cousin, comme l’avait fait celui-ci contre son père et prédécesseur Khalifa, et ce dernier contre son cousin Ahmed, premier chef d’État du Qatar indépendant.

Préparée de longue date, la succession est apparue pour beaucoup comme accélérée. Hamad avait annoncé depuis longtemps qu’il abdiquerait, mais les observateurs ne l’envisageaient pas si rapidement. Acteur majeur de la guerre syrienne, très impliqué dans les pays postrévolutionnaires d’Afrique du Nord, menacé par le conflit entre l’Occident et l’Iran voisin, Doha aurait pu attendre le règlement de ces dossiers sensibles pour assurer une transition sereine. Toutes sortes d’hypothèses ont été avancées pour expliquer cette apparente précipitation : pressions américaines, volonté de se démarquer des gérontocraties voisines, problèmes de santé de l’émir, etc. Les soucis de santé de Hamad ne datent pas d’hier et on voit mal Obama, qui a eu tant de mal à dire à Assad de partir, prendre son téléphone pour intimer un tel ordre à son allié. Le politologue libanais Ghassan Salamé déclarait il y a peu que l’émir envisageait cette passation depuis trois ans. L’effet de surprise n’est donc pas un effet de crise, et l’organisation de la succession, au moment où le Qatar traverse une conjoncture compliquée sur le plan international, laisse penser que l’émir-père et son cousin HBJ continueront en coulisses à veiller aux affaires, assurant une transition en douceur du pouvoir.

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Consensus

Lors de son premier discours d’émir, Tamim a donné peu d’indices sur sa vision de la politique extérieure qatarie, outre le rappel omniprésent qu’il marcherait dans les pas de son père. Toutefois, plus homme de consensus qu’homme de coups à l’image de Hamad, on peut s’attendre, sinon à un désengagement important, du moins à une modération des positions internationales de l’émirat qui suscitent des critiques croissantes. Posé et réfléchi, il aura sur le plan domestique plus de scrupules que son père à brusquer une opinion très conservatrice pour imposer ses projets d’avenir. Tamim, l’émir normal ? On a dit que l’hyperactivité de son père était née de sa frustration face au manque total de notoriété de son État. Le bruit insensé que l’émirat fait aujourd’hui sur toutes les scènes pourrait, inversement, inciter le nouveau souverain à la modération.

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