Centrafrique : Pleure, ô pays bien-aimé
Lettre ouverte de la Conférence épiscopale centrafricaine.
Excellence, Monsieur le Président de la transition, chef de l’État,
Nous ne venons pas en présomptueux donneurs de leçons. Nous ne faisons que relayer les interrogations de nos frères et soeurs en butte à des problèmes de toutes sortes, ainsi que les inquiétudes quant à notre avenir en tant que nation.
« Du jamais vu ! » Voilà les mots qui disent le sentiment général du peuple face au déferlement des éléments de la Séléka. Jamais on n’a connu sur notre terre un conflit aussi grave dans son ampleur et dans sa durée. Jamais aucun trouble militaro-politique ne s’était disséminé avec autant de violence et d’impact sur notre territoire. Jamais une rébellion n’avait drainé une aussi forte présence de combattants étrangers. Jamais une crise ne nous avait fait courir un aussi grave risque de conflit religieux et d’implosion du tissu social.
On n’a pas fini de dresser le bilan en termes de pertes de vies humaines, de viols, de pillages, de villages incendiés, de destructions de champs, de violations et de spoliations de domiciles privés, de familles illégalement expropriées de leurs maisons désormais occupées de manière indue par un homme fort ou une bande armée… Le tissu social a été complètement déchiré. Le peuple a été soumis à un énorme traumatisme dont les conséquences sont manifestes dans les cas de suicides et de dépressions.
Sur le plan économique aussi, jamais une crise n’avait engendré une destruction aussi systématique et programmée de ce qui restait du faible tissu industriel et économique du pays. Les banques, les stations essence et beaucoup d’usines ont été pillées. Des sociétés forestières ont été mises en faillite, le bois est désormais abattu de manière anarchique, des espèces protégées sont braconnées par des réseaux autorisés, des élevages et des cultures ont été pillés… Des éléments de la Séléka ont mis en place une régie parallèle qui échappe au contrôle de l’État.
Sur le plan politico-administratif, le peuple n’a jamais compris l’obstination avec laquelle les combattants de la coalition Séléka ont détruit les archives de l’administration et des collectivités locales. Que se cache-t-il derrière cette volonté de destruction et d’annihilation de la mémoire nationale ? Pourquoi s’être acharné sur les représentants du gouvernement et sur les agents de l’État en mission dans les écoles ou les hôpitaux ?
Sur le plan sécuritaire et militaire, l’armée nationale et républicaine a cédé le pas à un agrégat de factions en mal de cohésion, manquant d’éthique et de déontologie professionnelles. Ces éléments continuent de se comporter en rebelles. Ils ne répondent qu’à leur « chef militaire » et refusent de déposer les armes. Même si un début de sécurisation est perceptible à Bangui, il n’en va pas de même dans l’arrière-pays. Les populations sont à la merci des hommes de la Séléka, pourtant supposés assurer leur sécurité. La vie des Centrafricains n’a plus aucun prix. Les combattants armés sont pour la plupart des étrangers ; ils peuvent impunément tuer, violer, piller, saccager, incendier des maisons, des greniers, des villages entiers…
Sur le plan religieux et cultuel, l’ardeur et la détermination avec lesquelles les lieux de culte chrétiens ont été saccagés ont ébranlé les fondements de notre cohésion sociale. L’unité du peuple centrafricain est mise à rude épreuve.
Au regard de tant de drames, d’humiliations et de mépris, le peuple a besoin d’être rassuré. À cet effet, nous devons nous mettre au service de la vérité, et cela veut dire que toute la lumière doit être faite sur les responsabilités des uns et des autres dans les pillages, les viols, les tueries, les exactions que le peuple a subis. Il faut donc rompre avec la logique de l’impunité et envisager la réparation des torts. La reconstruction d’une paix durable est à ce prix.
Extraits d’une lettre adressée à Michel Djotodia par : Édouard Mathos, président de la Conférence épiscopale centrafricaine (Ceca) ; Albert Vanduel, vice-président de la Ceca ; Dieudonné Nzapalainga, archevêque de Bangui ; Nestor-Désiré Nongo-Aziagbia, évêque de Bossangoa ; Juan José Aguirre Munoz, évêque de Bangassou ; Peter Marzinkowsk, évêque d’Alindao ; Guerrino Perin, évêque de M’Baïki ; Dennis Kofi Agbenyadzi, évêque de Berbérati ; Armando Gianni, évêque de Bouar ; Cyr-Nestor Yapaupa, évêque coadjuteur d’Alindao.
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