Henri Konan Bédié : « Kouadio Konan Bertin est un soldat perdu » du PDCI
Henri Konan Bédié est un monument de la politique ivoirienne. Ses relations avec le pouvoir en Côte d’Ivoire, les grands chantiers du quinquennat, sa succession… L’indéboulonnable président du PDCI et ex-président de la Côte d’Ivoire (1993-1999) répond aux questions de « Jeune Afrique ».
Jeune Afrique : Quel bilan faites-vous de ces deux premières années de présidence Ouattara ?
Henri Konan Bédié : Le président Ouattara et son gouvernement travaillent bien. Le dialogue entre le gouvernement et l’opposition se poursuit, même si le Front populaire ivoirien [FPI] n’est pas toujours au rendez-vous. Les élections législatives, municipales et régionales se sont globalement déroulées dans le calme, hormis quelques cas isolés de violences. La reprise des activités est visible, le pays est en chantier, le président se déplace à l’étranger et trouve des investisseurs. Les affaires ont repris.
Le FPI estime que votre alliance politique avec le président Ouattara est « contre nature »…
En politique, chacun contracte ses alliances en fonction de ses intérêts. Mes relations avec Alassane Ouattara sont bonnes. Le Rassemblement des houphouétistes pour la démocratie et la paix (RHDP) qui nous réunit [le PDCI et le RDR] est toujours aussi solide, même si nous avons parfois des divergences de vues. À chaque fois, nous nous attachons cependant à dialoguer pour trouver des solutions.
Avec Alassane Ouattara (à g.), en novembre 2012, à Abidjan. © Sia Kambou/AFP
Les juges de la CPI estiment que les preuves rassemblées contre Laurent Gbagbo sont insuffisantes pour la tenue d’un procès. Qu’en pensez-vous ?
C’est choquant. La crise postélectorale a provoqué la mort de plus de 3 000 personnes. De quelles preuves supplémentaires ont-ils besoin ? Mais laissons la justice suivre son cours.
Les partisans de Gbagbo affirment que sans sa participation au processus de réconciliation du pays, celle-ci est impossible…
La réconciliation ne doit pas exclure le travail de la justice. Pour une bonne réconciliation, il faut traduire devant les tribunaux les auteurs de délits et de crimes crapuleux.
Le président Ouattara vient de lancer deux grands chantiers, à savoir ceux de l’identité nationale et du foncier rural. Êtes-vous favorable à une modification de la loi foncière votée en 1998 sous votre présidence ?
Tous les pays du monde font la différence entre leurs citoyens et les étrangers qui vivent chez eux. La loi sur le foncier rural a été votée en 1998 à l’unanimité. Elle est toujours d’actualité, car elle garantit les droits des autochtones sur leur terre tout en permettant de sécuriser les activités des travailleurs étrangers. Elle doit donc s’appliquer, même si quelques amendements peuvent paraître nécessaires.
Je suis favorable à la naturalisation des personnes présentes depuis longtemps sur le territoire ivoirien.
Êtes-vous favorable aux naturalisations ?
Je suis favorable à la naturalisation des personnes présentes depuis longtemps sur le territoire ivoirien, mais les conditions d’octroi de la nationalité devront être clairement fixées par la loi. Les autorités prévoient ainsi de ne naturaliser que les personnes nées avant 1961 en Côte d’Ivoire.
Les élections municipales d’avril dernier ont donné lieu à de sévères empoignades entre les cadres du PDCI et ceux du RDR. Ce genre d’attitude n’est-il pas préjudiciable pour les rapports entre les deux formations ?
Nous avons effectivement constaté, alors que j’avais donné des consignes de retenue aux candidats, de chaudes empoignades. Je regrette que certains militants ne se soient pas maîtrisés durant la campagne. Nous prendrons des mesures pour que cela ne se reproduise pas.
Certains cadres du RDR estiment qu’ils n’ont plus besoin du PDCI pour gouverner. Qu’en dites-vous ?
Ce n’est pas la position d’Alassane Ouattara, la seule qui compte. C’est encore le fait de partisans excités qui portent préjudice à leur parti.
Êtes-vous candidat à votre propre succession à la tête du parti ?
Le congrès se réunira en octobre, c’est lui qui décidera. Si les militants me réclament, je me mettrai à la disposition du parti.
>> Lire aussi "PDCI : Bédié forever ?"
Le président de la jeunesse du PDCI, Kouadio Konan Bertin, souhaite un renouvellement générationnel. Il s’en prend par ailleurs au RDR, suggérant de s’allier avec le FPI…
Ses déclarations montrent qu’il cherche à se positionner avant le congrès, mais en réalité c’est un soldat perdu.
Le secrétaire général du PDCI, Djédjé Mady, a déclaré qu’il serait aux manettes pour l’organisation du congrès. Qu’en pensez-vous ?
Les règlements du parti sont clairs. C’est le bureau politique, et non le secrétaire général, qui organise le congrès. Les choses se dérouleront conformément à nos statuts. Je lui ai écrit pour le lui rappeler.
On prête à Charles Konan Banny, l’ancien Premier ministre, l’ambition de prendre la tête du PDCI. Est-ce compatible avec son poste de président de la Commission Dialogue, Vérité et Réconciliation (CDVR) ?
Oui. Il reste un militant du parti. Au besoin, vous savez, on peut démissionner d’un poste pour poursuivre ses ambitions. Le moment venu, nous verrons.
Comment jugez-vous son action à la tête de la CDVR ?
Il faut lui laisser le temps. Deux années ne suffisent pas à réconcilier une nation.
Cette guerre de succession avant l’heure vous énerve-t-elle ?
Non. Cela signifie que notre formation est démocratique, mais je veille à ce que les choses se déroulent dans le bon ordre et dans l’intérêt supérieur du parti.
Le RHDP a permis de se débarrasser d’un tyran, Laurent Gbagbo. Par conséquent, il mérite d’être renforcé.
Encarté au PDCI, Jean-Louis Billon s’est présenté aux régionales sous la bannière du RDR contre un candidat PDCI. Fait-il toujours partie de la grande famille PDCiste ?
Il est très fidèle au parti, toujours à jour de ses cotisations, et il participe régulièrement à nos réunions. Du moins autant que son agenda de ministre le lui permet.
Donc vous autorisez la transhumance politique au sein des autres partis houphouétistes…
Dans ce cas précis, Jean-Louis Billon m’avait informé de sa décision.
Huit ans après le lancement du RHDP, vous n’êtes pas encore parvenu à en faire un grand parti unique. Est-ce toujours l’objectif ?
Oui. Le RHDP a permis de se débarrasser d’un tyran, Laurent Gbagbo. Par conséquent, il mérite d’être renforcé. Il faut que les membres du RHDP se voient et dialoguent. Je vais créer une commission afin d’étudier les changements à adopter en vue de créer un grand parti houphouétiste. Mais ces décisions seront du ressort des formations qui le composent. Il est possible que la question soit posée lors du congrès du PDCI en octobre.
En 2015, le RHDP devra-t-il soutenir un candidat unique à la présidentielle ?
Ce n’est pas à moi de prendre cette décision. Le congrès du PDCI décidera si nous devons présenter ou non un candidat.
La Constitution vous interdit d’être candidat. Avez-vous envie de briguer un nouveau mandat présidentiel ?
Les constitutions ne sont pas écrites pour l’éternité. Mais j’ai 79 ans et je ne crois pas que ce soit une bonne chose que je brigue un nouveau mandat.
Un jour, il faudra penser à votre succession au sein du PDCI. Avez-vous fait votre choix ?
Un jour, comme vous dites, je partirai. Les hommes de valeur ne manquent pas au sein du PDCI, je cherche actuellement celui qui pourra me succéder.
Quand ?
Vous voulez la date de ma mort ?
Non, celle de votre retrait de la vie politique…
Je ne vous donnerai pas la date. Aussi longtemps que je serai en bonne santé, je serai attaché à la bonne conduite des affaires du parti et à rendre service à mon pays.
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