Scandale chez Ibn Khaldoun

Fouad Laroui © DR

Publié le 28 juin 2013 Lecture : 2 minutes.

Nous sommes en période d’examens dans le monde entier. Le bac, aux Pays-Bas, ça s’appelle examen final, en néerlandais : eind-examen. Bon, jusque-là, ça va, comme dirait l’autre. Mais ce qui ne va pas du tout, c’est le scandale qui vient d’éclater cette année à propos de l’eind-examen. Et malheureusement, j’en préviens tout de suite les âmes sensibles, nous autres Marocains sommes impliqués dans ce scandale.

Or donc il y a quelques jours, catastrophe !, des copies du bac sont volées dans le coffre-fort d’un lycée, on les retrouve chez des élèves, l’examen est partiellement annulé, le Parlement s’empare de l’affaire, la presse s’émeut, le bon peuple s’indigne, etc.

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Or, et c’est le rouge de la honte au front que j’indique ce détail, les copies du bac ont été volées dans le coffre-fort du lycée Ibn Khaldoun de Rotterdam. Apprécions le sel de cette phrase : le bac a été volé chez Ibn Khaldoun, à Rotterdam. Jusqu’à présent, je ne connaissais qu’un seul lycée Ibn Khaldoun, c’est celui d’El Jadida où mes frères et soeurs ont fait leurs études. Voilà qu’on apprend qu’il y a – donnons-lui son nom entier – un lycée islamique Ibn Khaldoun à Rotterdam. Comment se peut-ce ? demandez-vous. Eh bien, la Constitution des Pays-Bas, dans son article 23, paragraphe 2, garantit la liberté d’enseigner. N’importe quel quidam peut ouvrir une école, un lycée ou même une université. Cet article permet à chaque communauté de contrôler la scolarité de ses membres, de la maternelle au doctorat. D’où, aujourd’hui, la prolifération d’écoles et de lycées dits « islamiques » au pays de Van Gogh. Et comme chacun fait ce qu’il veut dans son coin, on en arrive à ces dérapages.

L’enseignement doit être dispensé par l’État

Certains journalistes ont noté la concomitance de ce scandale avec un scandale analogue qui a éclaté au Maroc et en Algérie. D’où des insinuations pénibles du genre : ces gens-là importent leur culture de la triche dans notre beau pays… Personnellement, cela fait des années que je demande, avec d’autres activistes, la suppression de l’article 23 de la Constitution. Pour nous, l’enseignement doit être dispensé par l’État. Qu’est-ce que les pasteurs, les rabbins, les imams, les curés, les bonzes ou les shamans ont à voir avec les règles de multiplication, la géologie ou la physique ? Mais notre action se heurte à l’opposition de l’Église catholique et des synodes protestants, qui tiennent à leurs écoles.

Ce qui me désole le plus dans cette histoire, c’est que les Néerlandais entendent parler d’Ibn Khaldoun pour la première fois dans un contexte de malhonnêteté et de fraude. Or Ibn Khaldoun est un des génies de l’humanité, un penseur exceptionnel qui a inventé l’historiographie moderne et la sociologie, quelqu’un dont on peut être fier. Voilà son nom sali par des gens qui ont donné son nom à un lycée sans avoir jamais rien lu de lui. Je voudrais conclure par une proposition : que ceux qui nomment Ibn Khaldoun, Ibn Roshd, Ibn Tofayl ou Ibn Sina des établissements scolaires ne puissent le faire qu’après avoir passé un examen prouvant qu’ils ont lu et compris ces grands hommes. Bien sûr, il faudra les surveiller de près pour qu’ils ne trichent pas… 

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