Maroc-Mauritanie : quand un prédicateur réveille le contentieux territorial

Le président de l’Union internationale des savants musulmans, Ahmed Raissouni, a remis en cause l’existence de la Mauritanie et prôné un retour au « Grand Maroc ». Des déclarations qui ont suscité de nombreuses réactions au Maghreb et qui n’ont pas manqué de relancer la polémique autour des conflits frontaliers avec l’Algérie et la Mauritanie.

Ahmed Raissouni. © DR

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Publié le 18 août 2022 Lecture : 4 minutes.

En qualifiant l’existence de la Mauritanie d’ »erreur » et en affirmant que, de son point de vue, le Maroc devait « redevenir ce qu’il était avant l’invasion européenne » le 2 août sur le plateau du média marocain Blanca TV, Ahmed Raissouni, 69 ans, a déclenché un tollé régional.

Cofondateur avec Abdelilah Benkirane du parti du Mouvement de l’unicité et de la réforme (MUR) – ossature idéologique du Parti de la justice et du développement (PJD) –, Ahmed Raissouni est l’une des figures de proue de l’islam conservateur marocain. En 2018, il prend la succession du controversé prédicateur égyptien Youssef al-Qaradawi, qui vit au Qatar, à la tête de l’Union internationale des oulémas musulmans (UIOM).

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Revendications territoriales

En se faisant ainsi le promoteur d’un « Grand Maroc » qui comprendrait le Sahara occidental, la Mauritanie, mais aussi une partie de l’Algérie et du Mali, Ahmed Raissouni s’inscrit dans la droite ligne du fondateur de l’Istiqlal, Allal El Fassi. « Le problème de la Mauritanie et du Sahara est une création coloniale », selon Ahmed Raissouni. Il a déploré la participation « d’États arabes et islamiques » dans la création du contentieux territorial et mentionné « l’allégeance » des oulémas mauritaniens au trône chérifien.

Le président de l’UIOM a également critiqué « certains responsables » marocains pour s’être tournés vers Israël « pour le traitement de la question du Sahara » plutôt que vers le peuple marocain. « Si nous nous étions appuyés sur le peuple, de 35 millions de personnes, il aurait été prêt à lutter, avec son argent, son âme », a-t-il ajouté. Ahmed Raissouni a signé en 2021 une tribune de l’UIOM appelant au « boycott d’Israël » et dénonçant « l’occupation de la Palestine ». Citant la Marche verte de 1975, à l’initiative de Hassan II, Ahmed Raissouni a affirmé que « si Sa Majesté le roi appelle à un jihad de quelque manière que ce soit […], nous sommes prêts […] à une marche jusqu’à Tindouf ».

En 1963, c’est dans cette région qu’ont eu lieu les combats de la guerre des Sables, qui opposa les FAR marocaines à l’ANP algérienne pendant plusieurs semaines. Tindouf abrite depuis 1976 les camps de réfugiés sahraouis.

Réactions en chaîne, l’UIOM se désolidarise

Les paroles du prédicateur ont déclenché de vives réactions à la fois en Algérie et en Mauritanie. Plusieurs formations politiques algériennes ont exprimé leur indignation, dont le Front de libération nationale (FLN).

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Dans un communiqué du 15 août, le parti au pouvoir a notamment qualifié les déclarations d’Ahmed Raissouni d’ »irresponsables ». Accusant un « inacceptable dérapage », la Ligue algérienne des droits de l’homme à quant à elle appelé l’UIOM à « organiser, dans les plus brefs délais, une assemblée générale afin de destituer l’actuel président ».

L’Association des oulémas mauritaniens – selon le média mauritanien Essahraa –, a accusé le discours du prédicateur d’être « inamical et provocateur ».

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À Nouakchott, la présidente du groupe parlementaire d’amitié mauritano-marocain, Zainab al-Taqi, a affirmé pour sa part que ces propos « offensent » la Mauritanie et « nient les valeurs les plus élémentaires de fraternité et de bon voisinage ». La députée a appelé Ahmed Raissouni à « présenter ses excuses aux deux peuples frères pour les avoir offensés ».

De son côté, l’UIOM a tenu à préciser qu’il s’agissait d’idées exprimées à titre personnel, et non celles défendues par l’organisation. « Il a le droit d’exprimer son opinion personnelle avec le plein respect et l’appréciation de lui-même et des autres, mais ce n’est pas celle de l’Union », a affirmé le secrétaire général de l’organisation, Ali al-Qaradaghi, dans un communiqué du 15 août.

Face à la polémique naissante, Ahmed Raissouni a publié, le 17 août, des explications sur son blog. « La Mauritanie est devenue l’un des cinq pays constitutifs de l’Union du Maghreb arabe », admet-il, une « réalité reconnue mondialement et par les pays de la région ». Appelant à une « politique graduelle, volontaire et mutuelle » pour unir le Maghreb, il a notamment évoqué la relance de l’Union du Maghreb arabe, organisation créée en 1989 que les tensions régionales ont fini par rendre inopérante. Il évoque des « propos mal interprétés » et indique que l’idée de la marche vers Tindouf est destinée à discuter avec les « frères marocains sahraouis » de « l’absurdité du projet séparatiste ».

Le gouvernement mauritanien a réagi par la voix du ministre de l’Éducation et porte-parole du gouvernement, Mohamed Melainine Ould Eyih, selon qui les propos d’Ahmed Raissouni manquent de « crédibilité et de sagesse », et vont à l’encontre des « preuves historiques et géographiques ».

Ahmed Raissouni est le frère du journaliste Soulaimane Raissouni, connu pour ses critiques à l’égard du pouvoir et condamné à cinq ans de prison pour « agression sexuelle » en juillet 2021. Il est également l’oncle de la journaliste marocaine Hajar Raissouni, arrêtée en 2019 et condamnée pour un « avortement illégal » qu’elle a toujours nié avant d’être graciée par le roi Mohammed VI la même année.

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