Comment peut-on être djiboutien ?
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François Soudan
Directeur de la rédaction de Jeune Afrique.
Publié le 25 juin 2013 Lecture : 2 minutes.
Grandes manoeuvres à Djibouti
Djibouti a longtemps été placé sous le signe de l’improbable. Décolonisation improbable de ce qui fut, jusqu’en juin 1977, la dernière possession française sur le continent africain. Indépendance improbable entre deux grands voisins, la Somalie et l’Éthiopie, tentés d’avaler tout cru ce minipays qui commande l’entrée de la mer Rouge. Unité improbable entre deux peuples, les Afars et les Issas, longtemps entretenus dans leurs divisions par un maître étranger qui, dans la meilleure tradition coloniale, pratiqua une politique de bascule en s’appuyant alternativement sur les uns et sur les autres. Survie improbable, enfin, d’un territoire précaire et déshérité dont l’unique raison d’être économique était un chemin de fer achevé en 1915 et qui avait fait de lui une sorte de comptoir voué au qat, aux filles à soldats et à la fraude électorale.
Même s’il est encore trop tôt pour dire que « small is beautiful », trente-six ans plus tard, la république de Djibouti a appris à se tenir debout. Sur le plan politique, la « démocratie pastorale », ce contrat social typique des sociétés nomadisantes de la Corne de l’Afrique privilégiant la prévention et le règlement des conflits à l’usage de la violence a enfin débouché sur un Parlement où l’opposition a droit de cité – même si elle refuse encore d’y siéger.
Dans l’épreuve, la lancinante question de l’identité nationale a fini par trouver des éléments de réponse.
Sur le plan économique, l’État improbable, désertique et âprement disputé est devenu un État garnison où la location de bases militaires à des puissances extra-africaines sert à la fois de bouclier et de viatique. Et un État plateforme, à la fois hub logistique, entrepôt financier, carrefour technologique et ouverture sur la mer pour un hinterland éthiopien, et bientôt sud-soudanais, en pleine croissance.
Il a fallu pour cela beaucoup de patience, une certaine vision de l’avenir incarnée par l’actuel chef de l’État, Ismaïl Omar Guelleh, et la fin d’une guerre civile ruineuse de près de dix ans. Dans l’épreuve, la lancinante question de l’identité nationale – comment peut-on être djiboutien ? – a fini par trouver quelques éléments de réponse communs aux 900 000 habitants que compte ce pays du lait, du sel et des clans inextricables : une fierté du drapeau et de l’hymne et la conscience aiguë que, pour avoir une chance d’exister dans le grand tourbillon de la mondialisation, la désunion est un luxe inabordable.
Reste que Djibouti n’en a pas fini avec les menaces existentielles. Dans cette république où la religion a su jusqu’ici conjuguer ferveur et tolérance, celle qui pointe à l’horizon a pour nom islamisme radical. Pour la conjurer, la guerre des imams et des fatwas ne sert à rien. Seuls comptent le social, la lutte contre la pauvreté et le chômage des jeunes, le développement en somme. Pour le pays des Afars et des Issas, le « pays sans ombre » de l’écrivain Abdourahman Waberi et de la diva Fatouma Mansour, il n’existe pas d’autre chemin d’avenir.
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