Sobriété et colonialisme vert

Les événements climatiques observés cet été laissent peu de doute quant à la gravité du changement climatique et à la nécessité de modifier les comportements humains pour tendre vers plus de sobriété. Attention toutefois à ne pas se donner pour objectif un « état de nature » idéal et largement fantasmé.

Éléphants au coucher du soleil dans la savane de la réserve nationale du Masai Mara, au Kenya. African Savannah Elephants or Savannah Elephants (Loxodonta africana), moves in the savannah at sunset, Masai Mara National Reserve, National Park, Kenya ( © SYLVAIN CORDIER/Biosphoto via AFP

aida ndiaye© Florent Drillon aida ndiaye
© Florent Drillon
  • Aïda N’Diaye

    Enseignante, auteure et philosophe. Chroniqueuse sur France Inter et collaboratrice à « Philosophie Magazine ».

Publié le 29 août 2022 Lecture : 3 minutes.

Entre les feux spectaculaires, les canicules successives et de plus en plus précoces, la sécheresse inédite qui frappe la majeure partie de l’Europe, etc., presque chaque jour est porteur d’une preuve supplémentaire de la rapidité avec laquelle le réchauffement et le dérèglement climatiques adviennent.

Face à ces événements, une solution s’impose avec évidence : la sobriété. L’heure n’est plus à la « sobriété heureuse » de Pierre Rabhi (selon le titre de son ouvrage de 2010) : même malheureuse, la sobriété semble désormais être une nécessité.

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Mais de quoi parlons-nous exactement lorsque nous invoquons cette nécessaire sobriété ?

Réguler nos désirs, nous limiter à nos besoins

D’abord, il est question de modération : la sobriété, ce n’est pas l’ascèse (la privation dans le but d’une élévation spirituelle), mais cela implique bien de faire preuve de mesure, par exemple en évitant les excès de la surconsommation et de la surproduction. Être sobre, ce serait donc se contenter de satisfaire nos besoins nécessaires et contenir l’inflation illimitée de nos désirs superflus. Nous voilà donc revenus aux fondements des éthiques les plus anciennes…

Dès lors, la sobriété c’est aussi la référence à la nature. S’il s’agit en effet de réguler nos désirs et de nous limiter à nos besoins, qu’est-ce qui, mieux que la nature, peut nous servir de guide en la matière ? Être sobre, ce serait donc faire preuve de mesure et de modération en réglant nos pas sur la nature : « l’essentiel est d’être ce que nous fit la nature », disait déjà Rousseau.

Mais que faut-il entendre par ce retour à la nature ? L’œuvre de Rousseau est une parfaite illustration du problème : la nature y est simultanément un donné originel (derrière nous) et un idéal vers lequel nous devons tendre (au-devant de nous) pour réparer et retrouver ce que, selon la thèse de Rousseau, la prétendue civilisation et les hommes ont dépravé.

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Or cette nature innocente et pure qu’évoque Rousseau n’est-elle pas largement fantasmée et fictive ? De son propre aveu, l’état de nature n’existe pas, n’a jamais existé et n’existera jamais. Comment éviter alors que nos stéréotypes n’altèrent la représentation que nous nous faisons de la nature ?

Le mythe d’une nature africaine sauvage

Cette question a été posée par l’historien Guillaume Blanc dans son ouvrage L’Invention du colonialisme vert, paru en 2020. Il y montre comment les politiques menées par des ONG ou des organismes internationaux, en collaboration avec certains États africains (son enquête se concentre sur l’Éthiopie), se sont déployées au détriment des populations autochtones. Or ces politiques s’appuient sur le mythe d’une nature africaine sauvage, vierge de tout habitant, que l’activité humaine aurait détruite, telle que nous la montrent les images, du National Geographic au Roi Lion, en passant par Out of Africa.

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Pour sauver cette nature, une seule solution s’imposerait donc : la création de parcs ou de réserves vidés de tout habitant, si nécessaire au prix de déplacements forcés de populations. Là où en Europe, au contraire, le retour à des modes traditionnels d’agropastoralisme semble offrir une solution face à la crise écologique, ces pratiques sont parfois criminalisées en Afrique.

« Plus la nature a disparu en Occident, plus nous l’avons fantasmée en Afrique », résume ainsi Guillaume Blanc. Comme souvent donc, le poids de nos représentations conduit ici à des injonctions grevées par les rapports de domination et défavorables aux plus faibles. Difficile malheureusement d’imaginer que les appels à la sobriété feront exception à cette règle.

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