Heddy Maalem : le sacre du partage

Ses chorégraphies ressemblent à son itinéraire écartelé entre une Afrique natale et une France d’adoption. On y danse la rencontre, l’authenticité, la violence et le chaos.

Le chorégraphe Heddy Maalem à Toulouse. Franco-Algérien né dans les Aurès © Philippe Guionie/J.A.

Le chorégraphe Heddy Maalem à Toulouse. Franco-Algérien né dans les Aurès © Philippe Guionie/J.A.

ProfilAuteur_SeverineKodjo

Publié le 28 juin 2013 Lecture : 3 minutes.

Ils sont jeunes, s’affrontent, se confrontent… pas seulement les uns aux autres, mais aussi avec eux-mêmes. Il y a ce souffle, cet « élan vital » qui bouscule les viscères, se fraye un chemin et parvient à s’extérioriser. À libérer une rage contenue. Les six interprètes de la dernière création* du chorégraphe franco-algérien Heddy Maalem se livrent sans fioritures. Ce ne sont pas seulement des danseurs. Ce sont des « krumpers », hérauts d’un mouvement né en 1992 lors des émeutes raciales de Los Angeles et devenu une façon de canaliser un trop-plein d’humiliation, de violence et de haine.

Éloge du puissant royaume, créé en avril lors de la Biennale de danse du Val-de-Marne (région parisienne), n’est autre que le nom du Krump, pour Kingdom Radically Uplifted Mighty Praise, mis à l’honneur par celui qui se définit comme « fils de la Méditerranée ». Né en 1951 à Batna, dans les Aurès, cet artiste est un enfant de la guerre. Son père, un intellectuel algérien marié à une Française, meurt lors du conflit d’indépendance. Sa mère n’a d’autre choix que de partir. Heddy Maalem essaiera bien adolescent de renouer avec sa terre natale et sa famille paternelle, mais la déchirure est là, palpable, immuable. « Je ne parle pas arabe, je me suis vite rendu compte que je ne pourrais plus y vivre de nouveau », explique-t-il, lucide. À 62 ans, cette fêlure existe toujours, mais le chorégraphe a appris à créer et à s’inventer à partir d’elle. « Pour avoir vécu le déchirement entre les deux pays dont je suis issu, a-t-il coutume de confier, j’ai le sentiment d’être un étranger. En danse, je ne peux emprunter à aucune école existante. Il me faut inventer mon langage. »

la suite après cette publicité

Un langage qu’il façonne à partir des énergies profondes du corps et des synergies, à l’écoute de son environnement et des autres. « J’aime aborder la danse par le ressenti, les énergies, et non par la force. Quand les énergies sont justes, c’est beau », développe-t-il. Cette aptitude et cette appréhension du mouvement, il les doit sans aucun doute à une longue pratique des arts martiaux, notamment de l’aïkido, qu’il a enseigné avant de découvrir la danse, à l’âge de 28 ans, puis de fonder dix ans plus tard sa compagnie, en 1989.

Tourné vers l’Afrique

S’il n’a pas eu à souffrir directement du racisme parce qu’il n’a pas « une tête d’arabe », Heddy Maalem ne trouve pas pour autant son inspiration dans une France étriquée où le Front national séduit un électorat toujours plus large. C’est tout naturellement que celui qui a grandi dans le quartier des « Africains noirs de Batna » s’est tourné vers son continent natal. « Les danses africaines, sans en faire quelque chose d’exotique, précise-t-il, m’ont apporté l’authenticité que je recherchais. Contrairement à ce que l’on peut croire, elles sont extrêmement savantes. »

Dans les années 1990, il se rend au Sénégal et au Nigeria. Lagos et son chaos permanent lui inspirent un Sacre du printemps (2004) qu’il met en scène avec 16 interprètes originaires d’Afrique de l’Ouest, et qui connaît un succès international. Ce choix est une manière de « bousculer le regard des Occidentaux sur le corps noir », explique-t-il. L’ancien étudiant à Langues O’ montera ensuite son Sacre du printemps avec vingt danseurs chinois en 2009. « Je voulais voir comment des corps asiatiques façonnés par un académisme technique pouvaient aller puiser dans les gestuelles africaines. »

la suite après cette publicité

« C’est mon humanité que je regarde et que j’essaie de faire danser », précise ce chorégraphe de la rencontre, qui aime travailler avec des talents venus d’horizons divers. Comme lui, les interprètes d’Éloge du puissant royaume ont une « identité-rhizome » mêlant cultures française, cap-verdienne, vietnamienne, ivoirienne, malienne, haïtienne, camerounaise… « Nous ne sommes pas de la même génération et nous n’avons pas grandi dans le même milieu, mais la communication est tout de suite passée, car, tous, nous nous trimbalons avec nos racines, testant là où elles peuvent pousser. » Avec le krump, Maalem a renoué avec « l’authenticité » qui lui est chère. « C’est un milieu très codé et hiérarchisé avec des rites de passage, déchiffre-t-il. Contrairement au hip-hop, les danseurs ne sont pas jugés uniquement sur des critères esthétiques. Le mouvement doit être vrai et profond et révéler le caractère du danseur, qui se construit alors un personnage. » Guidant ces autodidactes peu habitués à la scène et adeptes de l’improvisation, Heddy Maalem a su bâtir, à partir de la violence fondatrice de son art et de leurs expériences, un royaume à la hauteur de leur talent. Transformant ces enfants des cités en rois et maîtres de leur énergie créatrice.

* En tournée en Europe, Éloge du puissant royaume sera présenté le 4 octobre à Limoges, lors des Francophonies en Limousin.

la suite après cette publicité

La Matinale.

Chaque matin, recevez les 10 informations clés de l’actualité africaine.

Image

Contenus partenaires