Burkina Faso : le futur Sénat, chambre avec vues sur 2015 ?
Du Sénat souhaité par le gouvernement, l’opposition burkinabè ne veut pas entendre parler. Trop cher et surtout trop risqué s’il devait autoriser le président Blaise Compaoré à se représenter en 2015.
C’est la réforme qui ne passe pas. Votée le 21 mai par l’Assemblée nationale, elle pourrait même parvenir à unifier une opposition traditionnellement morcelée. Ce jour-là, les députés ont approuvé, par 81 voix contre 46, la création d’un Sénat – un projet sur les rails depuis juin 2012 mais dont les adversaires du président Blaise Compaoré ne veulent pas entendre parler. « À toutes les revendications légitimes des travailleurs, le gouvernement répond systématiquement qu’il n’a pas d’argent. Et là, il veut créer une institution budgétivore », s’indigne Louis-Armand Ouali, député de l’Union pour le progrès et le changement (UPC), premier parti d’opposition.
L’argument du coût engendré par l’installation et le fonctionnement d’une chambre haute – entre 3 et 5 milliards de F CFA (entre 4,5 et 7,6 millions d’euros) par an pendant les premières années – est le principal motif brandi par l’UPC, le parti de Zéphirin Diabré. Renforcé par son nouveau statut de chef de file de l’opposition, Diabré a réussi à fédérer un grand nombre de formations politiques autour de son refus de voir créer un Sénat. Une posture idéale pour s’affirmer comme le premier des opposants.
Mais au-delà de cette question du coût, l’opposition est convaincue que l’entourage du chef de l’État cherche à faire modifier l’article 37 de la Constitution – qui limite à deux le nombre de mandats présidentiels consécutifs – en créant une chambre qui lui sera acquise.
Le texte législatif relatif à l’installation de la chambre haute a pourtant été adopté. Ni la désertion théâtrale de l’hémicycle par les adversaires de la loi, en signe de protestation, ni la manifestation et le meeting qui ont suivi n’ont empêché le rapport de forces de basculer en faveur de la majorité présidentielle.
« La loi n’est pas encore promulguée. Nous ferons tout pour empêcher son application, prévient Louis-Armand Ouali. Au Cameroun, il a fallu dix-sept ans pour que le Sénat soit mis en place. Et même si c’est fait, nous n’attendrons pas qu’il y ait de grosses pluies pour le supprimer, comme au Sénégal [en 2012, le président Macky Sall a annoncé la suppression du Sénat pour faire des économies et financer notamment la lutte contre les inondations, NDLR]. » L’objectif est clair : l’UPC veut mener une guerre d’usure en attendant une éventuelle alternance pour pouvoir rectifier le tir.
Avantage
Pour les promoteurs de la loi, dont Arsène Bongnessan Yé, ministre des Réformes politiques, il n’y a plus de marche arrière possible. Un Sénat offrira, selon lui, un « surplus démocratique » et un rééquilibrage des pouvoirs en même temps qu’il permettra plus de décentralisation, puisque les sénateurs seront issus des collectivités territoriales (39 élus sur 89 membres) et de la société civile (21 représentants des autorités coutumières et religieuses, du patronat, des travailleurs et de la diaspora).
« Le problème, ce sont les 29 personnes restantes, qui seront directement nommées par le chef de l’État », insiste le député UPC. Comme beaucoup, il redoute que cela ne penche en faveur de Blaise Compaoré si l’envie lui prenait de modifier la Constitution pour briguer un nouveau mandat en 2015. « Le Congrès [Assemblée nationale et Sénat] disposera certainement d’une majorité qualifiée que le pouvoir n’a pas actuellement avec la seule chambre basse », précise-t-il.
Après le mouvement de colère du 21 mai, d’autres manifestations sont prévues à Ouagadougou et dans l’ensemble du pays, le 29 juin. Et si cela ne suffit pas, Zéphirin Diabré jure que le mouvement se poursuivra. En attendant 2015, l’opposition a trouvé sa croisade.
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