Justice tunisienne : mais qu’est-ce qui fait pencher la balance ?
Clémente envers les salafistes, la justice tunisienne se montre au contraire très sévère envers de jeunes rappeurs ou activistes.
Quelle mouche a donc piqué les tribunaux tunisiens ? Leurs sentences dans des affaires portant sur la liberté d’expression ou de création, et même parfois sur de simples revendications sociales, laissent perplexe. Pour un sit-in non autorisé, des chômeurs de Gafsa ont écopé de trois mois et demi de prison. Même verdict, cette fois sans sursis, le 20 juin, pour Mounir Baatour, président du Parti libéral tunisien, accusé d’un acte autrement plus grave – des relations sexuelles avec un mineur. Pour des faits bien plus véniels, trois militantes Femen – qui avaient manifesté seins nus – ont été condamnées à quatre mois de détention, tandis que Jabeur Mejri passera sept ans et demi derrière les barreaux pour « blasphème » (son complice, Ghazi Béji, a, lui, quitté la Tunisie pour se réfugier en France).
Chanson
Depuis deux ans, la justice, qui proclame pourtant son indépendance, paraît déboussolée. La subsistance de lois obsolètes et la pression d’un nouvel ordre moral ne sont pas étrangères à ces errements qui débouchent sur un étrange deux poids, deux mesures.
Des exemples ? Seulement deux ans avec sursis pour les salafistes qui avaient attaqué l’ambassade des États-Unis à Tunis, le 14 septembre 2012 ; cinq ans (ferme) pour les incendiaires du mausolée de la sainte Saïda Manoubia, et un bref passage par la case prison avec moins de 5 euros d’amende pour les militants qui avaient assiégé les locaux de Nessma TV après la diffusion du film Persepolis en 2011.
Quant au rappeur pro-islamiste Psycho-M, qui a lancé de véritables appels au meurtre visant des artistes, il n’a même pas été inquiété, alors qu’un autre rappeur, Alaa Yaacoubi, alias Weld El 15, devra purger deux ans ferme pour « insulte à la police et atteinte à la moralité publique ». Libéré après neuf mois de détention pour consommation de cannabis, ce dernier s’en était pris – il est vrai avec virulence – aux policiers qu’il accusait de l’avoir maltraité, scandant dans un clip : « Ce sont des chiens bons à être égorgés comme des moutons de l’aïd. » « Les termes employés par Weld El 15 sont ceux qu’utilisent les agents envers les prévenus », observe son comité de soutien. « Je n’ai plus confiance en un pays où, pour une chanson, on condamne un rappeur », explique Hind Meddeb, une journaliste franco-tunisienne qui, arrêtée pour « désordre » avec sept autres personnes à l’issue de ce procès, a préféré quitter la Tunisie plutôt que de se présenter au tribunal.
La société civile s’agite, les gouvernants se taisent. Seuls Fethi Touzri, le secrétaire d’État à la jeunesse, et Mehdi Mabrouk, le ministre de la Culture, estiment que la peine infligée à Weld El 15 « est disproportionnée ».
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