Nina Simone : le roman d’une diva

Dix ans après la disparition de Nina Simone, le Prix Goncourt 2007, Gilles Leroy, revient sur les hauts et les bas d’une carrière fascinante avec un livre délicat.

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Publié le 19 juin 2013 Lecture : 4 minutes.

C’est peut-être la chance, ou le fardeau, des plus grands : continuer à agiter le monde longtemps après leur disparition. Eunice Kathleen Waymon s’est éteinte dans son sommeil, le 21 avril 2003, dans le sud de la France, au terme d’une carrière achevée dans la douleur, la maladie et la solitude. Dix ans plus tard, celle qui était plus connue sous le nom de scène Nina Simone n’a toujours pas disparu. Sa voix, ses chansons, son toucher de piano restent gravés dans les mémoires, et disponibles sur CD et MP3 pour les plus jeunes.

Sa fille, Lisa, après quelques années dans l’armée américaine, s’est d’abord signalée à Broadway avant de reprendre plusieurs titres de sa mère dans un disque intitulé Simone on Simone. Mieux, l’imprévisible Nina Simone parvient toujours à alimenter la polémique : le biopic dirigé par Cynthia Mort à partir de l’autobiographie de la star (I Put a Spell on You, 1992) suscite la controverse avant même d’avoir été projeté à cause de la couleur de peau – trop claire ! – de l’actrice Zoe Saldana (Star Trek, Avatar), qui incarnera la diva… En attendant de voir une Nina Simone ressuscitée sur les écrans pour le meilleur ou pour le pire, il est déjà possible de (re)découvrir son histoire belle et tourmentée. Pour le meilleur cette fois, l’écrivain français Gilles Leroy (Prix Goncourt 2007 pour Alabama Song) revient sur les hauts et les bas d’une carrière fascinante avec un livre délicat : Nina Simone, roman.

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Fêlures

« Je voulais faire un exercice d’admiration, confie-t-il. Je suis un fan depuis longtemps puisque j’ai découvert sa voix dans les années 1960, alors qu’elle était très présente sur les ondes en France. » Intéressé par un personnage aux multiples fêlures, Gilles Leroy a rencontré deux ou trois personnes qui l’ont connue et a décidé d’entamer des recherches approfondies après le déclic provoqué par une scène qui se déroule alors que la petite Eunice, prodige du piano, n’a que 11 ans. « Je suis tombé sur cet épisode de son enfance au cours duquel, alors qu’elle allait jouer, on a demandé à ses parents de se déplacer vers le fond de la salle parce qu’ils étaient noirs, raconte-t-il. J’ai trouvé son refus exceptionnel de courage et d’insouciance. Elle ne se rendait pas compte à quel point elle pouvait mettre ses parents dans le pétrin… Peu de gamins sont capables d’une telle réaction. »

L’écrivain a lu l’autobiographie, les livres et les articles de presse. « Tout cela est très lacunaire, notamment parce qu’elle a beaucoup erré dans sa vie. Il y a des ragots, il y a ce qu’elle a bien voulu raconter, rien qui ne soit sûr. Mais ces lacunes, c’est presque une chance, puisqu’elles permettent au romancier de combler les blancs. »

Miroir

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Habilement construit, Nina Simone, roman se déploie à partir des dernières années – plutôt sordides – de l’artiste à Carry-le-Rouet, dans cette France de calcaire et de garrigue qu’elle a découverte grâce à son ami l’écrivain James Baldwin. Entourée de minables « petits requins » assoiffés d’argent, dure avec une domesticité contrainte d’éponger ses humeurs, la diva se débat dans les méandres de sa gloire passée, fière de ses succès mais obsédée par ses échecs les plus douloureux : être recalée, à 17 ans, à l’entrée du Curtis Institute of Music de Philadelphie alors qu’elle est persuadée d’avoir bien joué, voir son hymne refusé par le mouvement des droits civiques, auquel elle a pourtant beaucoup donné, au péril de sa carrière… Son corps lui échappe, son esprit parfois aussi, au point d’en arriver à tirer au pistolet sur un gosse trop bruyant ; le cancer la ronge, sa fille est loin et aucun amour n’est à ses côtés.

Pourtant, le roman n’est pas désespéré, il s’en dégage même une formidable énergie de vie. « Je ne me voyais pas partir sur un dispositif où elle aurait été toute seule, confie Leroy. J’avais envie que dans cette fin de vie triste, sinon épouvantable, il y ait un rayon de soleil. » Ainsi apparaît Ricardo, employé de maison philippin qui ignore tout de la grande dame qu’il doit servir. Doux, contraint de travailler loin de chez lui, il devient le confident d’une femme blessée qui n’a plus confiance en personne et qui se souvient qu’elle fut elle-même, un jour, contrainte de faire des ménages chez un couple de Blancs.

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Miroir de ce qu’elle fut, Ricardo est aussi « une sorte de métaphore de l’esclavage contemporain ». Et au fond, en Caroline du Nord dans les années 1930, à Carry-le-Rouet au début du XXIe siècle ou aujourd’hui quand il s’agit pour une actrice d’incarner une icône, la concentration de mélanine continue de beaucoup trop compter. Et Nina aurait pu les dire, ces mots sur la « discrimination positive » que Gilles Leroy place dans sa bouche : « Si tu réussis, tu peux désormais craindre que ce ne soit non pas pour tes qualités artistiques, ou intellectuelles, ou morales, mais pour la même raison qui te faisait échouer avant, ta couleur de peau. Non seulement tu ne sais toujours pas ce que tu vaux, mais maintenant tu as peur d’être illégitime dans ton succès. Tu as peur d’être un imposteur. C’est malin, non ? Malin et vicelard. Ils sont forts, ces Blancs. »

* Nina Simone, roman, de Gilles Leroy, Mercure de France, 274 pages, 18,50 euros.

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