Argentine : qu’as-tu fait Cristina ?

Tant que la croissance économique a été forte, tout le monde a fermé les yeux sur l’origine de la fortune du couple Kirchner, qui monopolise le pouvoir depuis une décennie. Ce n’est plus le cas.

Lors du 10e anniversaire de l’élection de son mari, le 25 mai, à Buenos Aires. © NATACHA PISARENKO/AP/SIPA

Lors du 10e anniversaire de l’élection de son mari, le 25 mai, à Buenos Aires. © NATACHA PISARENKO/AP/SIPA

Publié le 25 juin 2013 Lecture : 4 minutes.

Pour rien au monde les télé­spectateurs argentins ne manqueraient l’émission télévisée hebdomadaire Periodismo para todos (« journalisme pour tous »), de Jorge Lanata. Depuis mi-avril, le journaliste dévoile avec force détails, et témoignages à l’appui, comment Cristina Kirchner et son défunt mari, Néstor, se sont enrichis de façon illicite, avant et après l’arrivée de ce dernier à la présidence. Depuis 2003, en effet, le patrimoine du couple a été multiplié par dix. La famille Kirchner possède plusieurs hôtels de luxe, ainsi qu’une vingtaine de maisons et d’appartements. Lanata a peu à peu mis au jour dans l’entourage présidentiel un véritable réseau de blanchiment d’argent. Anciens secrétaires, responsables de campagne électorale, parents et amis sortent de l’ombre et, face à la caméra, évoquent longuement « La route de l’argent K », titre de la série de Lanata.

Tout commence à Santa Cruz, la province que Néstor gouverna onze années durant avant de briguer la présidence. C’est à cette époque qu’il s’associe avec l’homme d’affaires Lázaro Báez, propriétaire de nombreux ranchs, de terres immenses et de la majorité des entreprises de construction de la région. C’est l’origine de la fortune familiale. Car, selon de nombreux témoignages, les Kirchner ne dédaignaient pas percevoir d’appréciables rémunérations en échange de l’attribution de travaux publics à leur ami. Selon certains, celui-ci se chargeait aussi de faire sortir du pays d’importantes sommes d’argent dûment blanchi – 50 millions d’euros au total – via une quarantaine de sociétés au Panamá et dans divers paradis fiscaux. Autre technique de blanchiment : l’achat par Néstor de joueurs destinés au Racing Club d’Avellaneda, un célèbre club de football. Son interlocuteur était alors un certain Julio Alak, qui se trouve être aujourd’hui… le ministre de la Justice de Cristina ! Décidément très serviable, Báez a aussi fait construire – gratuitement – l’énorme mausolée familial où repose aujourd’hui le corps du président défunt (il est mort en 2010).

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Fracassant

Le 14 avril, au lendemain de ces révélations fracassantes, Báez, désormais l’homme de confiance de Cristina, a été surpris par la presse en train de transférer des valises pleines d’argent, d’armes et de documents de sa maison de Río Gallegos (capitale de l’État de Santa Cruz) vers l’une de ses propriétés au nord de la ville. Depuis, d’autres « kirchnéristes » ont été mis en cause, comme Daniel Muñoz, l’ancien secrétaire particulier de Néstor, qui, au palais présidentiel, remettait à Báez des sacs de billets, ou Amado Boudou, le vice-président, qui, le 17 mai, aurait transporté en Uruguay de mystérieux « sacs » à bord d’un vol privé affrété par l’homme d’affaires.

« Il y a toujours eu des soupçons de corruption visant le couple présidentiel. Leur train de vie était sans rapport avec les revenus normaux de deux fonctionnaires, ce qu’ils furent pendant plus de trente ans, explique l’économiste Gustavo Lazzari. Mais le pays, grâce à leur politique, était en pleine période d’essor économique, alors tout le monde a préféré fermer les yeux. »

Sans scrupule

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Pourtant, avant même l’élection de Néstor, un journaliste d’investigation, Daniel Gatti, avait dénoncé dans un livre (El amo del feudo, « le maître de la province ») les étranges pratiques du gouverneur de Santa Cruz, décrit comme un opportuniste, autoritaire et sans scrupule. Il y expliquait comment celui-ci avait réussi à faire taire la presse et l’opposition, à affaiblir les syndicats et à mettre dans sa poche les entreprises de construction de la province.

Cette fois, les révélations sont d’une telle ampleur et les témoignages si concordants qu’une enquête judiciaire a été ouverte. Par ailleurs, deux députés d’opposition, Graciela Ocaña et Manuel Garrido, ont présenté une requête devant un tribunal pénal de Montevideo après avoir démontré qu’une dizaine de ­sociétés uruguayennes avaient contribué aux opérations de blanchiment des Kirchner.

Son homme de confiance est pris en flagrant délit : il déménage des valises d’armes et de billet

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Jusqu’où iront ces investigations ? Beaucoup redoutent qu’elles ne tournent court. Cristina Kirchner s’efforce en effet de réformer la justice en la politisant. Si son projet aboutit, les partis seront chargés d’organiser l’élection des membres du Conseil de la magistrature, ce qui n’est pas le meilleur moyen de garantir l’indépendance de la justice. « Dans ces conditions, comment croire que l’enquête contre le couple présidentiel puisse aboutir à des inculpations ? » s’interroge un analyste. Depuis le début de la diffusion de « La Route de l’argent K », la popularité de la présidente est passée de 33,8 % à 26,3 %, les opinions négatives passant de 39 % à 43 %. Le 25 mai, le dixième anniversaire de l’arrivée au pouvoir des Kirchner a eu un goût fort amer. Le gouvernement a d’abord tenté de minimiser l’affaire en la réduisant à une histoire de « jet-setteurs ». Un peu court. Les télévisions et les radios publiques ont alors commencé à ­retransmettre de grands matchs de football à l’heure de l’émission de Lanata. Cristina, qui ­d’ordinaire tweete plus vite que son ombre (elle a inauguré son blog personnel le 30 mai), n’a pas daigné réagir aux ­accusations ni apporter la moindre précision sur l’origine de la fortune familiale. Tout cela n’est évidemment pas très bon pour elle et son Parti justicialiste à l’approche des législatives du mois d’octobre.

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