Turquie : Erdogan, le père Fouettard

Confronté à un vaste mouvement de contestation populaire, le Premier ministre turc, Recep Tayyip Erdogan, a choisi l’affrontement plutôt que le dialogue. Une tactique qui, à terme, pourrait lui coûter cher.

Recep Tayyip Erdogan le 11 juin devant le Parlement à Ankara. © AP/SIPA

Recep Tayyip Erdogan le 11 juin devant le Parlement à Ankara. © AP/SIPA

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Publié le 19 juin 2013 Lecture : 3 minutes.

La modestie n’a jamais été son fort. En 1994 déjà, lorsqu’il avait remporté la municipalité d’Istanbul, Recep Tayyip Erdogan avait comparé sa victoire à la prise de Constantinople par Mehmet II le Conquérant, en 1453. Le nouvel édile ne régnait alors « que » sur 12 millions d’âmes. Aujourd’hui âgé de 59 ans, il dirige un pays de 76 millions d’habitants. Et, de l’aveu de ses propres conseillers, dix années de pouvoir lui sont montées à la tête. Depuis 2002, il a porté son Parti de la justice et du développement (AKP) à des sommets, lui faisant frôler les 50 % aux législatives de 2011. Il a réduit le rôle de l’armée, qui lui était hostile ; hissé son pays au rang de seizième puissance économique mondiale ; permis à la classe moyenne de s’enrichir ; multiplié les gestes en faveur des plus pauvres.

Gouaille

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Militant islamiste dès son jeune âge, Erdogan se convertit à la démocratie après un séjour en prison (1998). Sa gouaille populiste et son bilan à la mairie d’Istanbul (il a amélioré les transports, la distribution d’eau et l’aide sociale) en font l’étoile montante d’une classe politique à bout de souffle. Il fonde l’AKP en 2001, se décrit comme un « démocrate musulman » et, devenu Premier ministre en 2003, se fixe un cap : l’adhésion de la Turquie à l’Union européenne (UE).

Mais, aujourd’hui, son absence de culture démocratique saute aux yeux. Le 31 mai, alors qu’une poignée d’écologistes étaient venus protester contre l’un de ses projets d’urbanisme à Istanbul, sa police s’en est prise à eux violemment, suscitant l’indignation d’une partie de la population, qui est allée les rejoindre. Loin de faire amende honorable, il traite les manifestants de « pillards » à la solde de « l’étranger » et appelle ses partisans à descendre dans la rue, au risque d’embraser le pays. Alors que le bilan provisoire est de 4 morts, 5 000 blessés et plus de 1 800 arrestations, le secrétaire général de l’ONU, les États-Unis et l’UE le pressent d’engager le dialogue.

Quelle mouche a donc piqué Erdogan ? Certes, il a toujours été d’une nature colérique. Mais sa dérive autoritaire s’est accentuée depuis deux ans. Grisé par sa revanche sur le camp laïque, le chef incontesté de l’AKP, grand distributeur de postes et de prébendes, n’est plus entouré que de courtisans. Deux graves opérations de l’intestin en 2011-2012 ont peut-être contribué à assombrir son humeur.

Pour les manifestants, venus d’horizons très divers, pour une société civile qui vit à l’heure de Twitter, pour cette moitié de la population qui ne vote pas pour lui, Erdogan est un père Fouettard moralisateur et cassant. Presse muselée, opposants incarcérés, vente d’alcool prohibée, directives natalistes, censure culturelle, islamisation de l’enseignement… Ils étouffent sous le carcan des interdits et ne supportent plus les décisions prises sans concertation, comme le remodelage d’Istanbul et autres chantiers phara­oniques conçus dans la perspective du centenaire de la République, en 2023.

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Rivaux

Même si, pour l’heure, l’inanité des partis d’opposition ne menace pas la prééminence de l’AKP, la stratégie de la confrontation sur laquelle Erdogan compte pour remobiliser sa base inquiète ses amis. À commencer par Abdullah Gül, l’actuel chef de l’État, qui passe pour plus conciliant.

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Les deux « frères » seront-ils rivaux en 2014 ? Erdogan, qui ne peut briguer un quatrième mandat de Premier ministre au-delà de 2015, rêve d’instaurer un régime présidentiel taillé à sa mesure. Las, la réforme constitutionnelle traîne. Si le mouvement de contestation dérapait et qu’il sortait trop affaibli de cette affaire, il pourrait devoir se contenter du poste, essentiellement protocolaire, de Gül. Voire se retirer du jeu. Une option que ce lutteur-né n’envisage pas une seconde, mais qui sait ?

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