États-Unis : attention, vous êtes écoutés !
Tel Big Brother, la NSA, l’agence fédérale chargée du renseignement électromagnétique, intercepte des milliards de conversations téléphoniques et d’échanges internet. Sur le territoire américain et ailleurs.
Le NSAgate, ce scandale provoqué par la révélation des très opaques activités de la National Security Agency, l’agence fédérale chargée du renseignement électromagnétique et de la sécurisation des systèmes de communication de l’administration, ne pouvait tomber plus mal – ou mieux, tout dépend du point de vue. Il concerne plus spécialement deux programmes. L’un, depuis 2006, permet à la NSA d’intercepter les appels téléphoniques passés aux États-Unis par l’intermédiaire de Verizon, l’un des principaux opérateurs du pays. L’autre, baptisé Prism, autorise l’interception hors des États-Unis des communications des internautes étrangers transitant par neuf grands du web, parmi lesquels Facebook, Microsoft, Apple, Yahoo! et Skype.
Les Américains découvrent ainsi, bien tardivement, que les pratiques dignes de Big Brother mises en place par l’administration Bush sont, à l’exception de la torture, poursuivies sans sourciller par l’administration actuelle. D’ailleurs, en dehors de quelques réfractaires comme le démocrate Al Gore ou le républicain « libertarien » Rand Paul, la classe politique dans son ensemble y souscrit. Apparemment, Barack Obama lui-même y voit le moyen de maintenir un équilibre entre les exigences de la sécurité nationale et le nécessaire respect de la vie privée.
La légalité – sinon le bien-fondé – de ces programmes n’est pas discutable. Leur base juridique est le Patriot Act, adopté après les attentats du 11 septembre 2001. Leur application est donc placée sous le contrôle théorique du Congrès. Ils « empiètent modestement » (Obama dixit) sur la liberté individuelle des Américains – et des autres ! -, mais ils ont paraît-il permis d’éviter plusieurs attentats terroristes. En septembre 2009, par exemple, un e-mail envoyé depuis Peshawar, au Pakistan, aurait été intercepté grâce à Prism et permis l’arrestation à New York d’un immigré afghan qui s’apprêtait à faire exploser des bombes dans le métro. « Pour trouver une aiguille dans une botte de foin, il faut d’abord disposer d’une botte de foin », commente froidement Leon Panetta, l’ancien secrétaire d’État à la Défense. Même son de cloche chez John McCain, l’ancien candidat républicain à la présidentielle, qui juge lesdits programmes « totalement justifiés ».
"Traître"
Certains responsables ne cachent pas le mépris que leur inspirent les deux hommes à l’origine du scandale : Glenn Greenwald, le blogueur du Guardian (le quotidien britannique qui, avec le Washington Post, a levé les deux lièvres), et Edward Snowden, l’ancien employé de la NSA à l’origine des fuites. John Boehner, le speaker de la Chambre des représentants, n’y va pas par quatre chemins. Pour lui, Snowden est un « traître » qui doit être traduit en justice.
Les responsables politiques, qui, en 2012, ont renouvelé pour cinq ans la législation en la matière, rappellent que ces deux programmes ne permettent pas d’écouter les communications des Américains. Et que la surveillance d’internet ne concerne que le reste du monde. De nombreuses questions restent pourtant en suspens auxquelles la classe politique ne semble pas pressée de répondre. Au moins le scandale a-t-il permis de jeter un coup de projecteur sur cette très mystérieuse institution qu’est la NSA. Ne dit-on pas, par manière de plaisanterie, que même les menus des cantines mises à la disposition de ses quelque 35 000 employés sont classés secret-défense ?
Forteresse
Le but essentiel de l’agence est d’analyser la masse faramineuse des informations interceptées sur internet. Selon IBM, 90 % de ces données ont été créées depuis moins de deux ans. D’ici à 2020, elles devraient doubler de volume tous les deux ans. Au mois de mars dernier, la NSA a analysé 97 milliards de données collectées auprès de différents réseaux à travers le monde. Quatorze pour cent d’entre elles provenaient d’Iran, beaucoup du Pakistan, et seulement 3 % des États-Unis.
Au même titre que le programme de drones, la NSA et ses sous-traitants ont bénéficié de la vertigineuse augmentation (+ 250 %) du budget du renseignement depuis 2001. Elle a ainsi pu construire dans les montagnes de l’Utah une formidable forteresse de 1 million de mètres carrés censée être opérationnelle cette année. L’objectif est de se donner les moyens de stocker indéfiniment des volumes colossaux de données personnelles.
Mais le NSAgate a permis de mettre en évidence une autre tendance préoccupante : la privatisation en cours depuis 2001 de la sécurité nationale. Basé à Hawaii, Snowden n’était en effet qu’un employé subalterne travaillant pour Booz Allen Hamilton, un sous-traitant de la NSA. Ce n’est nullement un cas isolé. Depuis plusieurs années, 70 % du budget du renseignement sert à rémunérer ces prestataires privés, auxquels l’administration confie désormais des tâches aussi sensibles que le recrutement d’espions ou la vérification des antécédents de candidats. De facto, elle leur donne accès aux secrets les mieux gardés. Sur les 4,2 millions d’employés du secteur du renseignement, plus de un tiers auraient ainsi accès à des données confidentielles.
Pour Obama, déjà fragilisé par une série de scandales, le timing de cette nouvelle affaire est fâcheux. Elle a en effet éclaté deux jours avant sa rencontre avec le président chinois, Xi Jinping, au cours de laquelle il a beaucoup été question des cyberattaques massivement lancées par la Chine contre les États-Unis – et les entreprises privées américaines (le préjudice est évalué à plusieurs milliards de dollars). Comment, dans ces conditions, Obama aurait-il pu convaincre son hôte d’y mettre un terme ? Xi n’a donc pas bougé d’un pouce sur ce dossier et s’est fait un malin plaisir de rappeler que les Américains menaient eux aussi une cyberguerre. Contre l’Iran et son programme nucléaire.
L’homme à abattre
Le visage d’Edward Snowden, 29 ans, fait la une de tous les journaux américains. Comme Bradley Manning, le soldat responsable de la divulgation de milliers de documents confidentiels et dont le procès vient de s’ouvrir, c’est un jeune homme frêle, geek jusqu’au bout des ongles, qui a fait le choix téméraire de partir seul en guerre contre son gouvernement.
Les informations qu’il a rendues publiques ont permis d’ouvrir un débat utile, a reconnu Obama. Pourtant, Snowden, qui s’était réfugié à Hong Kong et est aujourd’hui introuvable, est bel et bien traité comme un criminel. Le département de la Justice vient d’annoncer l’ouverture de poursuites judiciaires contre lui.
On sait peu de chose de lui. Sauf que c’est un enfant de divorcés, que son père est un ancien garde-côtes, et qu’il est plutôt républicain – tendance libertarienne, donc très hostile à l’État fédéral. En 2004, il a tenté de rejoindre l’armée, mais a dû y renoncer après s’être cassé les deux jambes lors d’un entraînement. Fou d’ordinateurs, il a occupé plusieurs postes dans le renseignement avant d’être recruté par un sous-traitant de la NSA, à Hawaii, pour la bagatelle de 200 000 dollars (146 000 euros) par an.
Il a fait le choix de renoncer à ce train de vie confortable pour se rendre à Hong Kong et soulager sa conscience auprès de journalistes du Guardian. « Lorsque vous réalisez que ce que vous faites renforce l’oppression, cela vaut la peine de prendre des risques », dit-il. Pour Edward Snowden, une drôle de vie vient de commencer. Celle d’un fugitif. J-É.B.
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