Sénégal – Boubacar Boris Diop : « La France ne nie pas Thiaroye, mais elle minimise cet épisode »

L’indemnisation ne fait pas tout et ne saurait suffire à se faire pardonner. Il faut un vrai travail de mémoire. Trois questions à l’écrivain sénégalais Boubacar Boris Diop.

L’écrivain sénégalais Boubacar Boris Diop au Salon du livre à Genève en 2011. © Rama/ Wikimedia Commons

L’écrivain sénégalais Boubacar Boris Diop au Salon du livre à Genève en 2011. © Rama/ Wikimedia Commons

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Publié le 27 juin 2013 Lecture : 2 minutes.

Jeune Afrique : Quelle est la portée de la reconnaissance par la Grande-Bretagne des crimes commis contre les Mau Mau ?

Boubacar Boris Diop : Ce qui rend cette décision inédite, c’est le fait d’indemniser les victimes. Jusque-là, d’anciennes puissances coloniales avaient ponctuellement reconnu leur responsabilité dans certains crimes, mais sans pour autant s’aventurer à envisager des compensations financières. Il semble que dans le monde anglo-saxon on cultive plus facilement ces formes de contrition. 

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Au Sénégal, la violente répression menée par l’armée française contre des tirailleurs regroupés dans un camp de transit à Thiaroye, en décembre 1944, a-t-elle donné lieu à une reconnaissance et à une indemnisation ?

Au Sénégal, la France ne nie pas le massacre de Thiaroye, mais elle le minimise.

Il aura fallu attendre 2005 pour entendre un officiel français reconnaître ce crime pour la première fois. Un ancien ministre de la Coopération quasiment inconnu avait été dépêché par le président Jacques Chirac pour regretter cet « événement tragique et choquant ». Ce n’est qu’en 2012 que les plus hautes autorités de l’État, en la personne du président François Hollande, ont reconnu à Dakar la « répression sanglante » commise à Thiaroye, tout en divisant par deux le nombre des victimes ! La France ne nie pas Thiaroye, mais elle minimise cet épisode. Il est vrai qu’au Sénégal la flamme de la mémoire a considérablement décliné. Pendant longtemps, ce massacre a fait l’objet de débats passionnés dans les rangs des organisations sénégalaises d’extrême gauche. J’y ai moi-même consacré une pièce de théâtre, tandis que Sembène Ousmane en faisait un film. Depuis, les tombes des victimes ont été laissées à l’abandon et recouvertes par des détritus, ce qui est significatif. 

En Afrique, chaque communauté de victimes devra-t-elle demander justice pour elle-même ? Ou bien les organisations sous-régionales et continentale ont-elles un rôle à jouer pour obtenir réparation auprès des anciennes puissances coloniales ?

Cela pourrait en effet offrir un cadre cohérent afin d’éviter des actions isolées qui pourraient, à la longue, dévaloriser ce type d’initiatives. Ce serait positif qu’une structure mène une réflexion collective sur ces enjeux, en plaçant au coeur de sa démarche la mémoire et la dignité des victimes. Si de petits groupes de plaignants se multiplient, cela risque de finir par provoquer un chaos qui permettra d’autant plus facilement aux anciens colonisateurs de les discréditer. Le principal danger, selon moi, serait de revendiquer des compensations déconnectées du devoir de mémoire. L’indemnisation des victimes ne saurait valoir quitus aux criminels. Cela reviendrait à ajouter le crachat à l’infamie.

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Propos recueillis par Mehdi Ba

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