Algérie – Bouteflika : le « making off » d’une opération de com

On n’avait pas vu Abdelaziz Bouteflika depuis quarante-sept jours. Pour couper court aux rumeurs, les premières images du chef de l’État algérien ont été diffusées le 12 juin. Retour sur les dessous de cette opération.

Abdelaziz Bouteflika avec Abdelmalek Sellal et Ahmed Gaïd Salah, le 11 juin à Paris. © APS

Abdelaziz Bouteflika avec Abdelmalek Sellal et Ahmed Gaïd Salah, le 11 juin à Paris. © APS

Publié le 20 juin 2013 Lecture : 4 minutes.

Il aura fallu attendre quarante-sept jours après l’évacuation, le 27 avril, du président Abdelaziz Bouteflika vers l’hôpital parisien du Val-de-Grâce puis son transfert à l’Institution nationale des Invalides à la suite d’un accident vasculaire cérébral (AVC) pour que la télévision algérienne diffuse, le 12 juin, les premières images (filmées la veille) du patient le plus célèbre du pays.

La situation était en effet devenue ingérable. La communication gouvernementale, qui se voulait rassurante sur l’état de santé du chef de l’État, perdait sa crédibilité au fil des jours, et l’absence d’images du convalescent alimentait les propos les plus alarmants. De plus en plus de voix s’élevaient à Alger pour exiger l’application de l’article 88 de la Constitution, qui prévoit les situations d’empêchement du président de la République. Pis : des médias français annonçaient tantôt qu’il avait sombré dans le coma, tantôt son décès. Comment les démentir, faute d’images ? Dans un premier temps, Bouteflika, entouré de ses deux frères, Saïd et Nasser – qui sont aussi ses conseillers -, refuse de se faire filmer. De dévoiler sa douleur, de se montrer diminué. Mais, la pression se faisant plus forte, il finit par céder.

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"Casting"

L’idée d’une adresse à la nation, filmée depuis son lit de convalescent, est toutefois vite écartée. « Je ne suis pas tout à fait un grabataire », trouve-t-il la force de plaisanter quand Saïd lui suggère cette idée. Il ne joue pas les coquets : sa voix est quasi inaudible et les séquelles de son AVC sont plus importantes qu’on ne l’a dit. La démarche la plus appropriée semble être de le montrer avec des hôtes : ne reçoit-il pas chaque jour des visiteurs, comme Tamim Ibn Hamad Al Thani, le prince héritier du Qatar ? Cette idée retenue, reste à choisir le « casting ». Nasser Bouteflika est dépêché à Alger pour organiser l’opération. Pas question, dans un premier temps, de ramener des responsables politiques puisque, selon la version que donnent Abdelmalek Sellal, le Premier ministre, et Mourad Medelci, le chef de la diplomatie, « le président se tient au courant de l’évolution des grands dossiers et donne quotidiennement ses instructions ». On s’achemine donc vers l’idée de le filmer en compagnie d’une personnalité « à la notoriété indéniable et à la neutralité politique incontestable ». Comme il l’avait fait en décembre 2005, en recevant au Val-de-Grâce le chanteur populaire Cheb Mami.

C’est avec cette idée que Nasser se rend à Alger le 1er juin, précédé de Missoum Sbih, l’ambassadeur d’Algérie en France, rappelé à alger le 18 juin. Deux nouvelles vont changer ce plan. Le 10 juin, en France, l’hebdomadaire Valeurs actuelles, réputé proche des milieux militaires français, annonce sur son site électronique le décès d’Abdelaziz Bouteflika. L’information fait le tour des rédactions parisiennes et algéroises. « Paris nous met la pression », lâche un ministre proche du cercle présidentiel.

Le même jour, le quotidien Le Soir d’Algérie publie un appel de Mohamed Mechati – dernier survivant du groupe des « vingt-deux » qui décidèrent d’engager la lutte pour l’indépendance le 1er novembre 1954. Il demande à l’armée d’intervenir pour faire constater l’incapacité du président. Même si Mechati est peu connu du grand public, son passé illustre donne à son initiative un aspect solennel. Le calendrier de l’opération « Images des Invalides » est bousculé. Vers 18 heures, les ministres reçoivent une note sibylline : « Le Conseil du gouvernement prévu mercredi 12 juin est reporté à une date ultérieure ». Ahmed Gaïd Salah, le chef d’état-major, avait prévu ce jour-là de faire une tournée d’inspection du dispositif de surveillance des frontières méridionales, notamment celles avec le Niger, où la situation sécuritaire se dégrade. En fin de journée, il informe ses collaborateurs que la tournée est différée.

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En délicatesse

Le 11 juin, Abdelmalek Sellal, Ahmed Gaïd Salah et une équipe de prises de vues relevant de la cellule audiovisuelle d’El-Mouradia montent à bord du Falcon présidentiel. Selon le quotidien El-Khabar, la délégation inclut « un officier supérieur du renseignement ». S’agit-il du général Mohamed Mediène, alias Tewfik, patron du Département du renseignement et de la sécurité ? Cela eût été dans l’ordre des choses, mais l’on murmure que l’intéressé serait en délicatesse avec le président, ce dernier lui imputant des attaques répétées contre son frère Saïd par presse interposée. Aucune source française ne confirme la présence de Tewfik parmi les visiteurs du 11 juin. Son absence confirmerait cette mésentente au sommet de l’État : en temps normal, les deux hommes se voyaient quasi quotidiennement. Un ancien collaborateur du chef de l’État écarte cette hypothèse : « La présence de Tewfik aurait conféré à la rencontre des allures de Haut Conseil de sécurité [auquel participent, outre le président, le Premier ministre, le chef d’état-major et le chef des services de renseignements]. Cela aurait fait tache dans l’histoire des institutions de la République [algérienne], dans un endroit où trône le portrait officiel du président François Hollande. »

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Si la diffusion des images du convalescent a tordu le cou aux rumeurs de décès, elle n’a pas dissipé les incertitudes qui planent sur l’avenir de l’Algérie. L’annonce de la tenue d’un Conseil des ministres avec un ordre du jour chargé et un calendrier imprécis ajoute à la confusion. Toutefois, en insistant sur la préparation de la loi de finances complémentaire, qu’il est le seul habilité à signer, et en ne disant mot du projet de nouvelle Constitution, Bouteflika fait passer un message. Il se charge du premier dossier, mais laisse le second chantier à son successeur, en 2014.

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