Afrique du Sud – photographie : femmes, je vous aime

Le quotidien des lesbiennes est souvent difficile en Afrique du Sud. Zanele Muholi leur rend hommage à travers des images tendres et délicates.

Apinda Mpako and Ayanda Magudulela, Parktown. © Zanele Muholi/Courtesy of Stevenson

Apinda Mpako and Ayanda Magudulela, Parktown. © Zanele Muholi/Courtesy of Stevenson

NICOLAS-MICHEL_2024

Publié le 25 juin 2013 Lecture : 3 minutes.

Avant d’admirer les photos de Zanele Muholi (40 ans), il est vivement conseillé d’aller faire un tour sur le site qu’elle a créé en 2009 et qui s’intitule Inkanyiso (« lumière » en zoulou). Là se trouvent consignés les témoignages de femmes qui, s’ajoutant les uns aux autres, racontent le quotidien des lesbiennes sud-africaines. Un quotidien souvent cruel où il est question de « viols correctifs », de VIH, de discrimination, mais aussi d’amour, de tendresse, de train-train. Sans doute la ministre de la Culture Lulama Xingwana – aujourd’hui ministre chargée des Femmes, des Enfants et des Personnes handicapées – ne s’était-elle pas bien renseignée avant de visiter l’exposition « Innovative Women », financée par son ministère, en 2010. Elle en était en effet sortie au bout de quelques minutes choquée par des oeuvres « immorales et offensantes ». Plus tard, elle avait tenu à préciser : « Je ne suis pas homophobe. Mais je trouvais que ces photos n’étaient pas adaptées à un public familial. De jeunes enfants ne devraient pas être exposés à la pornographie. »

>> À lire sur le même sujet : "Double arc-en-ciel : l’homosexualité dans l’art sud-africain"

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Documentaire

Pornographique, le travail de Zanele Muholi ? « La ministre qui a employé ce terme ne comprenait strictement rien au contexte de mon travail, que son ministère contribuait pourtant à financer », raconte l’artiste, qui se définit comme « militante visuelle » (visual activist). « Mes photographies sont avant tout éducatives. En employant le mot de "pornographie" dans un espace public, la ministre mettait en danger la vie même des personnes photographiées. »

Entre la Biennale d’art contemporain de Venise et une conférence à Salzbourg (« LGBT and human rights : new challenges, next steps »), la militante remontée contre les discriminations dont sont victimes lesbiennes, gays, bisexuels et transsexuels porte à travers le monde un message clair : « Nous existons et nous résistons. » Pour elle, « la photographie est un art, le militantisme un travail ». Avec ses Being Series de 2007, elle explorait l’intimité de couples de lesbiennes tout en s’interrogeant sur l’échec des campagnes de prévention contre le sida qui leur étaient destinées. Avec le projet de Thokozani Football Club – la footballeuse Thokozani Qwabe fut assassinée en 2007 en raison de son homosexualité -, elle militait directement pour une meilleure intégration des femmes dans le monde du sport. Zanele Muholi considère néanmoins que ses clichés sont avant tout d’ordre documentaire.

« Je photographie des gens que je connais, avec qui j’ai une relation de long terme, dit-elle. Je ne travaille pas sur commande, je produis des archives. Je souhaite évoquer ceux qui font l’Histoire dans le monde où nous vivons, j’essaie d’une certaine manière d’humaniser ma communauté. » Avec son projet Faces and Phases, réalisé notamment dans les townships du Gauteng comme Alexandra, Soweto, Katlehong, Kagiso ou Vosloorus, elle explique vouloir « prendre des images de [sa] communauté pour apporter une contribution plus démocratique et représentative à l’histoire homosexuelle en Afrique du Sud ». Elle souhaite aussi mettre en avant « une image plus positive des lesbiennes noires ».

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En rogne

Bien sûr, elle attaque avec la fougue des opprimés l’idée que l’homosexualité ne serait pas africaine, si commune quoique démentie tous les jours par les faits. Mais que personne ne s’avise par ailleurs à ne voir les lesbiennes que comme des victimes : « Chaque fois que des étrangers parlent de nous, c’est pour nous décrire comme des victimes du viol ou de l’homophobie. Nos vies sont toujours dramatisées, rarement comprises. » Pas question non plus de circonscrire le problème à l’Afrique, Zanele Muholi se mettrait en rogne. Pour elle, la France, qui vient tout juste d’adopter le mariage pour tous et a connu une vague de manifestations homophobes, est aussi un pays où le combat éducatif doit être poursuivi. Quant à son propre pays, s’il a la chance d’avoir « la meilleure Constitution au monde », ne lui dites pas qu’il permet à beaucoup d’homosexuels de s’exprimer. « Beaucoup ? Il y a peut-être 50 lesbiennes et 50 gays qui ont voix au chapitre. Ce n’est pas beaucoup ! » Alors, pornographiques, les photos de Zanele Muholi ? Il y a beaucoup d’autres épithètes à disposition : tendres, belles, respectueuses, honnêtes, franches, délicates, directes, douces, équilibrées, lumineuses…

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