Hélène Jayet : dans le bain révélateur

Cette photographe née sous X, de père malien, recueille depuis quatre ans des portraits et des paroles d’adoptés.

Hélène Jayet, photographe née sous X, de père malien-scr © Nanda Gonzague/J.A.

Hélène Jayet, photographe née sous X, de père malien-scr © Nanda Gonzague/J.A.

Publié le 18 juin 2013 Lecture : 4 minutes.

À l’origine de l’histoire ? Un vieux nounours amoché, une brosse à cheveux, une poupée noire qu’elle portait dans le dos… Premières reliques de son enfance, premiers cadeaux de ses parents adoptifs. Et un objet banal, qui va devenir le sésame pour ébranler la porte du passé : une simple carte de groupe sanguin, sur laquelle sont inscrits trois prénoms, « Claude, Ghislaine, Michèle ». « Ces informations ont fonctionné comme un code qui m’a permis d’accéder aux archives et d’en savoir plus sur mes origines », raconte Hélène Jayet.

Tête ronde illuminée par un large sourire et de gigantesques boucles d’oreilles aux couleurs irisées, la photographe de 35 ans qui s’est lancée dans une passionnante enquête sur les enfants nés sous X a toujours su qu’elle avait elle-même été adoptée. Difficile de le lui cacher. Dans sa fratrie « Benetton », ses deux frères (l’un d’origine antillaise, l’autre sans doute gitane) et ses deux soeurs (trouvées ensemble dans une rue en Corée du Sud) sont tous de couleurs différentes. « Si on ne nous l’avait pas révélé, les gamins de l’école nous l’auraient rappelé. On a eu droit à tous les surnoms : « rouleau de printemps », « nem », « la noiraude »… » Sa famille arc-en-ciel ne passe pas inaperçue à Andrein, minuscule village des Pyrénées-Atlantiques (sud-ouest de la France), « à équidistance de la montagne et de l’océan », précise-t-elle, un détail qui a son importance quand il s’agit d’occuper tant d’enfants.

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Pourquoi cinq adoptions quand une seule s’avère déjà compliquée ? « Mon père faisait le séminaire quand il a rencontré ma mère, qui ne pouvait pas avoir d’enfants », précise Hélène. L’adoption leur semble une solution humaine, généreuse, l’occasion d’aider des gamins abandonnés à se construire. Mais créer une fratrie « de papier », avec des enfants recueillis parfois sur le tard, ne se fait pas sans mal. Ses deux frères n’ont pas vraiment suivi d’études. L’un des deux est même passé par la case prison. Elle-même a toujours ressenti un manque, mais qui n’a pas troublé sa scolarité. Et c’est assez naturellement, après les Beaux-Arts de Montpellier, qu’elle s’est dirigée vers une école de photographie.

Car c’est dans la photo qu’Hélène a grandi. Littéralement. Sa chambre d’enfant servait parfois de laboratoire à son père pour développer ses clichés. « Quand il nous demandait, le week-end, qui voulait l’aider, j’étais toujours la première devant le bac de révélateur… J’étais fascinée de voir les images apparaître. » Et aujourd’hui, c’est appareil au poing qu’elle cherche à répondre aux questions liées à son identité. Via l’association Les Nids de Paris, qui avait joué le rôle d’intermédiaire pour son adoption, elle retrouve quelques pièces du puzzle. Sur des feuilles cartonnées, dactylographiées, une description de sa mère biologique, blanche, française, brune, un peu ronde. Et de son père, malien.

En septembre 2005, Hélène retourne avec ses parents adoptifs sur la terre d’où elle vient « à moitié ». Elle en tire une série de photos incandescentes* : terre brûlée, nuits lumineuses, ciels aveuglants… Ses premières impressions se superposent dans de longues bandes horizontales. Comme si elle raccrochait les uns aux autres les wagons du passé. Le retour aux sources est « euphorisant », et un peu perturbant. « Pas mariée, sans enfants, j’ai vite senti que j’étais en décalage avec les femmes du pays… Je ressentirai toujours le manque de ne pas parler wolof, de ne pas savoir de quelle tribu je viens. » Pas vraiment de là-bas mais pas seulement d’ici, elle se pose des questions métisses, des questions d’Africaine avec un bagage artistique d’Occidentale. Une série photo sur les coiffeurs afros du métro Château-d’Eau, à Paris, se change en collection de profils évoquant les portraits de la Renaissance italienne. Un reportage dans la forge du foyer Bara de Montreuil (Seine-Saint-Denis) qui est celui d’un Zola qui aurait troqué la plume contre un appareil numérique. Surtout, son travail sur l’adoption « L’Origine de l’histoire », qui a donné lieu à des publications dans la presse française – Le Monde, Néon, Pèlerin – et à de nombreuses expositions, prend la forme d’une série rigoureuse. Ce sont de simples portraits d’adoptés et d’objets sur fond neutre, qui font écho aux clichés de l’Américain Richard Avedon ou de la Néerlandaise Rineke Dijkstra.

De tous ses projets liés à l’identité, c’est celui-ci qui lui a le mieux permis de creuser la sienne. « J’ai toujours été contre l’idée de faire une psychanalyse, mais ce boulot est un peu ma thérapie. Quand je pose une question à un adopté, cela m’oblige à me la poser à moi-même. J’en apprends autant sur eux que sur moi. Au fond, je ne veux pas savoir qui sont mes vrais parents, mais je veux savoir ce que d’autres ressentent. » Pour la première fois, pour son exposition à Saint-Bertrand-de-Comminges, dans le sud-ouest de la France, elle s’apprête à mêler son portrait à ceux des adoptés qu’elle a rencontrés. Et les photos d’un nounours amoché, d’une brosse et d’une poupée noire qui racontent l’origine, enfin révélée, de son histoire.

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* 1pose-t.net/indexhibit/ « L’Origine de l’histoire », à Saint-Bertrand-de-Comminges, du 1er juin au 15 septembre.

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