Israël : loué soit l’Éternel de m’avoir faite femme

Estimant leur démarche légale, la justice israélienne autorise un groupe de juives réformistes à prier librement au Mur des lamentations. À la grande fureur des ultraorthodoxes.

Une Israélienne portant le châle de prière et les phylactères à la manière des hommes. © NIR ALON/DEMOTIX/CORBIS

Une Israélienne portant le châle de prière et les phylactères à la manière des hommes. © NIR ALON/DEMOTIX/CORBIS

perez

Publié le 21 juin 2013 Lecture : 4 minutes.

Ce 10 mai 2013 devait être un jour de fête pour quelque deux cents activistes juives, membres de l’organisation Nashot HaKotel (« les Femmes du Mur »). Après vingt ans de combat judiciaire acharné, un tribunal de Jérusalem leur permettait enfin de tenir un office religieux à tue-tête au Mur des lamentations, lieu le plus sacré du judaïsme. Cette décision, historique, a été unanimement saluée par les courants réformistes, très en vogue aux États-Unis. En revanche, elle a été perçue comme un blasphème par les adeptes de l’ultraorthodoxie.

Il faut dire que ces féministes chevronnées ne revendiquent pas un simple droit à la prière collective. Elles aspirent, comme les hommes, à lire la Torah et à sonner le chofar (sorte de cor), allant même jusqu’à s’accaparer les attributs masculins, puisqu’elles portent la kippa, se recouvrent du traditionnel châle de prière (le talit) et de phylactères (les téfilines), deux petits boîtiers noirs renfermant des versets bibliques qui s’attachent sur le front et autour de l’avant-bras.

À l’entame des chants liturgiques, des chaises, des oeufs et autres détritus volent dans leur direction

Bien qu’escortées par un imposant cordon policier, ces étranges visiteuses arrivent sous les crachats et les huées d’une foule d’« hommes en noir ». À l’entame des premiers chants liturgiques, des chaises, des oeufs et autres détritus volent dans leur direction, obligeant les forces de l’ordre à intervenir. Dans une pagaille inouïe, le groupe doit rebrousser chemin. Les autobus qui les attendaient à l’extérieur du site sont à leur tour méthodiquement caillassés. Jamais le Mur des lamentations n’avait été le théâtre d’une telle foire d’empoigne.

Sexisme

L’égalité hommes-femmes ne semble pas du goût des haredim (« craignant-Dieu »), qui, à l’évidence, ne respectent que la « justice divine ». Reste que pour se dédouaner de tout sexisme, deux des plus grandes figures du judaïsme orthodoxe, le rabbin séfarade Ovadia Yossef et le rabbin ashkénaze Aharon Steinman, avaient appelé les étudiantes religieuses à se mobiliser en nombre devant le Kotel afin d’empêcher les Femmes du Mur de s’en approcher. « Dans ce lieu saint, il y a une place pour chaque juif mais pas pour chaque opinion, se défend le rabbin Shmuel Rabinowitz, maître des lieux depuis 1995. Ces femmes n’ont qu’un but : attiser les flammes de la haine et de la discorde entre les juifs. »

Dans les faits, la loi juive (Halakha) se montre beaucoup plus nuancée. Si les femmes ne sont pas tenues de prier, comme les hommes, plusieurs fois par jour, c’est pour qu’elles n’aient pas à se détourner un instant de leur rôle d’épouse et de l’éducation de leurs enfants. Par ailleurs, bien qu’aucune interdiction formelle ne soit clairement énoncée, les femmes doivent prier silencieusement, à l’écart des hommes, pour ne pas les perturber dans leurs actes ou gêner ceux qui ne savent pas lire. Cette séparation n’a pas toujours prévalu au Mur des lamentations, comme en témoignent les nombreuses photographies prises au début du siècle dernier. Mais, en 1967, après la conquête militaire de la vieille ville de Jérusalem, ce lieu saint est passé sous le contrôle du Grand Rabbinat d’Israël, lequel y a imposé une réglementation stricte. Aujourd’hui, toute tentative d’enfreindre le bon ordre orthodoxe se paie cher. Les réfractaires encourent jusqu’à un an de prison et se voient infliger une amende de 3 000 shekels (un peu plus de 600 euros).

Pressions

Anat Hoffman, fondatrice de l’association des Femmes du Mur en 1988, a déjà été interpellée une demi-douzaine de fois par la police. Seul son statut de membre du conseil municipal de Jérusalem lui a permis d’échapper à des sanctions trop lourdes. « Il n’y a pas de liberté, car pour les ultras les femmes n’existent pas [en référence à la prière juive du matin : "Loué soit l’Éternel de ne pas m’avoir fait femme"], s’indigne-t-elle. Nous ne cherchons pas à créer la polémique, mais il est grand temps de nous laisser prier comme bon nous semble. Après tout, la moitié du peuple juif est composé de femmes. »

Anat Hoffman et ses comparses ont obtenu une première fois gain de cause en mai 2002, bénéficiant d’une décision favorable de la Cour suprême israélienne. Mais face à la pression des partis religieux, qui menaçaient de porter la bataille à la Knesset, la plus haute instance judiciaire de l’État hébreu fit machine arrière. Elle demanda néanmoins l’ouverture de l’Arche de Robinson, un site archéologique adjacent au Kotel – dont l’accès est payant -, pour permettre à ces militantes libérales de pratiquer leurs rites… à l’abri des regards.

Au début du siècle dernier, hommes et femmes priaient ensemble devant le Mur

Dix ans plus tard, les Femmes du Mur sont loin de se satisfaire de ce statu quo. Dernièrement, elles ont reçu le soutien de la jeune députée travailliste Stav Shaffir, ou encore de Tamar Zandberg, du parti d’extrême gauche Meretz. « Je suis une femme laïque, mais je m’identifie à cette lutte. Les femmes doivent pouvoir prier normalement », s’exclame-t-elle. Pour apaiser les tensions, le Premier ministre, Benyamin Netanyahou, vient de charger Nathan Sharansky, actuel directeur de l’Agence juive, d’une délicate mission : aménager un nouvel espace mixte de prières.

Réformisme triomphant

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Alors que la question de la future souveraineté sur le Mur des lamentations reste l’une des principales pierres d’achoppement entre Israéliens et Palestiniens, ce haut lieu du judaïsme apparaît avant tout comme un enjeu symbolique pour les juifs libéraux. Car, dans les faits, la ville de Jérusalem compte déjà plusieurs synagogues issues du mouvement réformiste (180 000 membres en Israël), qui tend à offrir une plus grande représentativité aux femmes dans la vie sociale et religieuse. Bien qu’ils reprennent certaines pratiques du judaïsme orthodoxe, les réformistes permettent aux juives de participer à la lecture de la Torah et aux prières de façon égalitaire. Par ailleurs, depuis la pionnière américaine Amy Eilberg, en 1985, près de 187 femmes ont accédé au statut de rabbin. M.P.

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