Anicet Dologuélé : « Pourquoi je serai candidat » à la présidentielle centrafricaine

Parce que le pays a touché le fond et que les autorités ne lui semblent pas à la hauteur, l’ancien Premier ministre centrafricain, Anicet Dologuélé, annonce qu’il briguera la magistrature suprême à la fin de la transition.

Pour Anicet Dologuélé, la chute de Bozizé était « inévitable ». © AFP

Pour Anicet Dologuélé, la chute de Bozizé était « inévitable ». © AFP

ANNE-KAPPES-GRANGE_2024

Publié le 18 juin 2013 Lecture : 6 minutes.

Menacé par un régime aux abois, il a quitté Bangui deux jours seulement avant que la ville tombe entre les mains de la coalition Séléka, fin mars, et que le président François Bozizé prenne la fuite. Depuis, Anicet Dologuélé, ancien Premier ministre de 1999 à 2001 (sous Ange-Félix Patassé), et ancien président de la Banque de développement des États de l’Afrique centrale (BDEAC), suit de près la situation sécuritaire dans son pays, où il promet de rentrer bientôt, et ne mâche pas ses mots à l’égard de ces autorités de transition « incapables de prendre leurs responsabilités et de protéger les Centrafricains ». À 56 ans, il n’a pas renoncé à jouer un rôle. Et annonce qu’il sera candidat à l’élection présidentielle qui sera organisée au bout des dix-huit mois de transition. 

Jeune Afrique : La justice centrafricaine a émis, fin mai, un mandat d’arrêt international contre l’ancien président François Bozizé. Les crimes qui lui sont reprochés – crimes contre l’humanité et incitation au génocide – sont très graves. Qu’en pensez-vous ?

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Anicet Dologuélé : Quand on gère l’État, il faut s’attendre à devoir rendre des comptes. Le président Bokassa a eu, en son temps, à répondre de crimes de cette nature. Il a accepté de revenir à Bangui et de comparaître devant la justice. Il a été condamné et il a payé sa dette. Si François Bozizé s’estime innocent, il aura l’occasion d’en faire la preuve. 

N’y a-t-il pas aussi des responsabilités à chercher du côté de la coalition Séléka ?

Bien sûr ! Jamais encore notre pays n’avait vécu une situation aussi grave : il n’y a plus d’État ; les femmes sont violées et les enfants terrorisés ; n’importe qui peut sortir de nulle part et agir en toute impunité… Les Centrafricains se lèvent le matin en se demandant quand leur tour viendra. C’est un cauchemar ! 

Vous dites qu’il n’y a pas d’État, mais il y a tout de même un président, un Premier ministre…

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Il y a un président et un gouvernement, mais cela veut-il dire qu’il y a un État ? La Centrafrique a touché le fond et s’enfonce dans les tréfonds. La situation sécuritaire est catastrophique, je l’ai dit. L’économie est détruite, les arriérés de salaire s’accumulent… Cette année, l’État n’engrangera pas la moitié des recettes sur lesquelles il aurait dû pouvoir compter. Prenez l’exemple de Total, qui est le plus important contribuable en Centrafrique : la plupart de ses stations ont été détruites. Même la Cemac [Communauté économique et monétaire de l’Afrique centrale], dont le siège est installé depuis quarante ans à Bangui, envisage de se délocaliser. 

Qu’attendez-vous du président Michel Djotodia ?

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Il a conquis le pouvoir par les armes et porte une responsabilité dans la situation actuelle. Il a gagné presque sans combattre, et l’on pourrait imaginer que la situation est plus facile à gérer. Pourtant, tout se passe comme si les membres de la Séléka étaient frustrés de ne pas s’être battus et considéraient les cinq millions de Centrafricains comme leurs ennemis. Il faut que les autorités entendent le cri de la population et fassent cesser le chaos. Elles ont eu de l’autorité sur les hommes lorsqu’ils étaient en brousse, il n’y a pas de raison que cela ne soit plus le cas. 

Le Premier ministre Nicolas Tiangaye n’est-il pas dans une situation délicate ? Se démarque-t-il suffisamment de la Séléka ?

Le peuple attend que Nicoals Tiangaye prenne ses responsabilités.

C’est lui le chef du gouvernement, c’est lui le patron du pays. Il ne peut pas se plaindre ! Il est le seul qui soit reconnu par la communauté internationale. Il a la légitimité des accords de Libreville, confirmés par la réunion de N’Djamena [qui s’est tenue mi-avril] et par le Conseil de sécurité de l’ONU. Le peuple attend qu’il prenne ses responsabilités. Qu’il ait l’autorité nécessaire pour ramener l’ordre. 

Que devrait-il faire qu’il ne fait pas ?

Il a longtemps été un défenseur des droits de l’homme, à un moment où ces mêmes droits étaient d’ailleurs loin d’être aussi bafoués qu’ils le sont aujourd’hui. Nous attendons qu’il se comporte comme un homme de loi et de justice. Certes, la tâche n’est pas facile et les hommes qui lui font face ont des armes. Mais je ne crois pas que sa vie soit menacée… Il doit faire plus et mieux. 

Les autorités ont-elles la légitimité suffisante pour mener à bien la transition ?

Quand on fait un coup d’État, on n’a pas de légitimité. Cela étant dit, il faut faire avec. Ces autorités ont dit qu’elles allaient gérer la transition de manière transparente, organiser des élections auxquelles elles ne se présenteraient pas d’ici à dix-huit mois et rendre le pouvoir aux civils… Eh bien qu’elles commencent ! 

Je suis convaincu que l’on peut faire de la politique avec efficacité, mais sans brutalité.

Il y a un énorme travail à faire avant de pouvoir organiser un scrutin…

Oui. La Séléka a détruit les fiches d’état civil dans les villes qu’elle a prises. Il va donc falloir faire un recensement électoral, être sûr que ceux qui vont vouloir voter sont bien des Centrafricains… Et pour que les agents du recensement circulent, il faut la sécurité. Ensuite, il faudra que les candidats puissent faire campagne sans avoir peur d’être mitraillés… Mais je veux faire confiance au gouvernement : Nicolas Tiangaye a lui-même vécu une injustice électorale aux législatives de 2011, il sait ce que c’est. 

Faut-il que les législatives aient lieu en même temps que la présidentielle ?

Cela coûterait sans doute moins cher, mais il appartient au gouvernement d’en discuter avec les partenaires qui financeront les élections. 

Briguerez-vous la magistrature suprême ?

Oui. J’en ai les capacités, l’expérience, la légitimité et la motivation. 

Comment comptez-vous faire la différence ?

J’ai beaucoup observé – sans jamais y participer – la vie politique centrafricaine ces douze dernières années. J’en ai tiré les leçons. Surtout, j’ai évité de participer à des manoeuvres qui auraient pu faire couler le sang. Je suis resté éloigné de toutes ces tueries dont la Centrafrique est coutumière. Je suis convaincu que l’on peut faire de la politique avec efficacité, mais sans brutalité. 

Vous avez dit, il y a quelques semaines, que le coup d’État de mars était prévisible. Pourquoi ?

Tout le monde savait que le régime de François Bozizé connaissait une fin de règne, mais l’on pensait qu’il tomberait à cause de dissensions internes. En octobre 2012, on n’imaginait pas qu’une coalition appelée Séléka marcherait sur Bangui. Mais on savait que le régime était impopulaire, paranoïaque, autiste, convaincu de son bon droit. On savait aussi qu’il se préparait à modifier la Constitution pour permettre à François Bozizé de se présenter et qu’en son sein on se disputait le pouvoir. Plusieurs de ses ténors avaient d’ailleurs été récemment écartés de manière brutale. 

La France aurait-elle dû intervenir, ainsi que le lui demandait François Bozizé ?

Ce que nous souhaitons, c’est qu’elle intervienne maintenant, aux côtés des forces des pays amis, non pas pour sauver un régime, mais pour sauver une population. Il faut nous aider à faire partir les combattants non centrafricains et à ramener la paix. 

François Bozizé doit avoir l’humilité de faire le bilan de ses deux mandats à la tête du pays.

C’est le cinquième coup d’État depuis l’indépendance, le deuxième en dix ans… Ne craignez-vous pas que la communauté internationale ne se soit lassée ?

Il est vrai que nous vivons un drame humanitaire presque dans l’indifférence et que l’on se sent abandonnés. Mais comment expliquer cette instabilité dont vous parlez ? Les groupes armés actifs depuis plusieurs années ne cherchaient pas vraiment le pouvoir politique. Ils voulaient défendre leurs propres intérêts dans des régions qu’ils estimaient délaissées, et ce mécontentement a été instrumentalisé par des gens qui voulaient le pouvoir. 

Que souhaiteriez-vous dire aujourd’hui à François Bozizé ?

Que j’apprends çà et là qu’il se prépare militairement à revenir. Mais il a été au pouvoir dix ans, il avait tous les moyens de l’État à sa disposition, et il n’a pas su défendre le territoire centrafricain. Ce n’est pas maintenant qu’il est hors du pays qu’il pourra le faire. On a souvent tendance à penser que l’on peut être le sauveur… Mais François Bozizé doit avoir l’humilité de faire le bilan de ses deux mandats à la tête du pays. Il doit aussi avoir le courage de venir s’expliquer devant la justice. Encore une fois, l’ex-empereur Bokassa l’a fait. Il a été traité avec respect et il a pu se défendre. Pourquoi pas Bozizé ?

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Propos recueillis par Anne Kappès-Grangé

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