« Messieurs Macron et Tebboune, laissez vos jeunesses inventer une nouvelle relation ! »
La visite en Algérie du président français, qui débute aujourd’hui, est présentée comme une nouvelle occasion d’apaiser la relation entre les deux pays. Mais c’est en permettant aux jeunesses algérienne et française de se rencontrer et d’échanger, loin des palais du pouvoir, qu’on pourra enfin refonder la relation.
À l’occasion de la visite officielle en Algérie du président français, l’association SOS Racisme adresse une lettre ouverte au président français et à son homologue algérien, co-signée par de nombreux intellectuels et militants sensibles à la question des relations entre les deux pays.*
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En début de matinée, Emmanuel Macron sera en Algérie pour une visite de trois jours. Si ce déplacement est officiellement l’occasion de relancer la « relation bilatérale » entre nos deux pays, elle est tout aussi officiellement destinée « à poursuivre le travail d’apaisement des mémoires » selon les mots de la présidence française.
L’histoire de violence qui a lié les deux pays – la très brutale conquête coloniale de l’Algérie par la France, l’administration coloniale qui fut un joug pour l’essentiel de la population ainsi qu’une indépendance de l’Algérie arrachée au bout de huit années de guerre – demeure un déterminant de la relation heurtée qu’entretiennent nos deux pays. Il n’est qu’à penser aux résurgences de la mémoire de cette violence, à la nostalgie parfois acrimonieuse des exils consécutifs à la décolonisation et aux manipulations politiques auxquelles peuvent donner lieu, de chaque côté de la Méditerranée, les traumatismes de cette histoire déterminée par une relation coloniale imposée par la France.
Relation bilatérale et question mémorielle
Il est d’ailleurs significatif que, depuis plusieurs quinquennats, chaque visite d’un président français en Algérie lie de façon quasi systématique la relation bilatérale et la question mémorielle. Comment pourrait-il d’ailleurs en être autrement ? En effet, le travail n’a pas été totalement abouti, les mémoires peinent encore à être mises en dialogue et l’histoire reste trop méconnue ou trop peu reconnue en matière de violences exercées et de complexité des trajectoires des multiples composantes du passé colonial algérien : celles et ceux que l’on appelait les indigènes, les Harkis, les pieds-noirs, les Juifs d’Algérie, les appelés du contingent français ainsi que ceux et celles qui, en métropole, prirent fait et cause pour ou contre l‘indépendance de l’Algérie.
Les nouvelles générations ne sont pas dupes et savent que, pour tourner la page de ce passé traumatique, il faut que la page soit lue et non pas tue
Aujourd’hui, nous ne sommes plus le 5 juillet 1962, jour où l’Algérie devint officiellement un pays libre de ses destinées. Ce sont de nouvelles générations de jeunes femmes et de jeunes hommes qui vivent en France et en Algérie. Des générations pour lesquelles l’avenir ne peut être ni celui d’une confrontation, ni celui d’une réconciliation.
En effet, il n’y a pas, pour elles, de camps qui s’affronteraient ou de mémoires cloisonnées. Elles ont pu bénéficier des apports de la connaissance grâce aux travaux pionniers d’historiens tels que Benjamin Stora ou Mohammed Harbi, et d’une culture littéraire ou cinématographique qui a abordé la réalité de ce pan de l’Histoire avec finesse et en faisant résonner les subjectivités essentielles à saisir. Elles ont également profité du travail d’acteurs associatifs désireux de faire dialoguer les mémoires. Elles ont enfin bénéficié du temps qui passe et, notamment sous le quinquennat d’Emmanuel Macron, de reconnaissances – fussent-elles tardives ou encore partielles – des tragédies issues de cette épopée coloniale et que la mémoire collective avait pendant longtemps enfouies, à l’image des massacres d’Algériens le 17 octobre 1961 jusqu’au cœur de Paris.
Ces générations-là ne sont pas dupes et sont souvent d’accord sur l’essentiel. Elles savent que, pour tourner la page de ce passé traumatique, il faut que la page soit lue et non pas tue. Elles ne sont pas dupes des instrumentalisations de ce passé, avec tous les dégâts que ces dernières peuvent entraîner. Elles sont conscientes de l’incapacité encore trop fréquente au sein des institutions françaises de dire pleinement l’illégitimité et les crimes du colonialisme ou du monolithisme encore trop prégnant au sein du pouvoir algérien dans la présentation des dynamiques nationalistes.
Le pari des générations futures
Alors, vouloir relancer la relation bilatérale et poursuivre le travail d’apaisement des mémoires nécessite de s’appuyer sur les jeunesses algérienne et française. Cela nécessite en effet de faire le pari des générations qui sont peut-être les premières à avoir les clés du dépassement du passé traumatique qui lie nos deux pays.
Si nous pouvions interpeller les chefs d’État, nous leur lancerions : « Laissez les jeunes de vos pays se rencontrer ! Laissez-leur inventer une nouvelle relation ! »
Pour cela, il faut savoir écouter les jeunesses telles qu’elles se présentent au monde. Loin de la répression dont les jeunes hirakistes furent victimes en Algérie. Et loin de la volonté, péché très jupitérien, de faire porter par des jeunes des axes préalablement définis à l’Élysée. Les jeunes Algériens ne peuvent plus être vus par leur État comme un danger à réprimer en les faisant arbitrairement passer par la case prison. Les jeunes Français ne peuvent pas être convoqués à l’Élysée comme des membres d’un public devant lequel le chef de l’État disserterait – en termes au demeurant désagréables – sur la réalité historique de l’Algérie.
Loin de ces rapports problématiques à la jeunesse, tout autant qu’à rebours de la décision de la France de diviser par deux le nombre de visas accordés aux Algériens et des difficultés à obtenir des visas pour mener des projets mémoriels en Algérie, il faut faciliter concrètement la rencontre entre les jeunesses des deux pays. Si nous pouvions interpeller les chefs d’État algérien et français, nous leur lancerions : « Laissez les jeunes de vos pays se rencontrer ! Laissez-leur inventer une nouvelle relation ! »
Cette nouvelle relation doit bien évidemment être une relation d’égalité, débarrassée du surplomb colonial. Cela nécessite que cette relation soit fondée sur un rapport à l’autre construit sur la considération, la curiosité, l’empathie et la circulation entre les pays et au sein même de chacune des sociétés.
Pour relever ce défi, il faut des outils. C’est pourquoi, depuis plusieurs années, nous appelons à la création d’un office franco-algérien (ou algéro-français) pour la jeunesse. Fondé sur le modèle de l’Office franco-allemand pour la jeunesse, cet office permettrait concrètement, et dans une gestion laissant une large place aux organisations de jeunesse des deux pays, de mener des objectifs aussi ambitieux que nécessaires :
– développer et faciliter les échanges entre établissements scolaires et universitaires français et algériens ;
– renforcer les programmes scolaires sur l’histoire de la colonisation, encourager les témoignages en milieu scolaire d’acteurs de cette histoire ;
– faciliter l’accès aux archives et concevoir des campagnes de collecte d’archives privées et de témoignages ;
– organiser des rencontres régulières de jeunes et d’acteurs de la société civile des deux pays ;
– financer des projets éducatifs, sociaux et culturels portés par des institutions, les sociétés civiles ou les individus ;
– soutenir des projets de lutte contre le racisme, l’antisémitisme et les discriminations, fléaux que cette histoire a favorisés.
Cet outil est un instrument pour construire un avenir partagé entre des jeunesses que l’histoire de leurs pays respectifs a liées. À l’occasion de la visite d’Emmanuel Macron en Algérie, puissent les chefs d’État algérien et français entendre les voix de leurs jeunesses et, à travers l’outil que nous proposons, contribuer à poser ce fondement essentiel au futur de notre histoire commune.
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(*) La liste des signataires :
Dominique Sopo, président de SOS Racisme ; Abdelouhab Fersaoui, militant politique en Algérie ; Pierre Audin, membre de l’association Josette et Maurice Audin ; Emma Rafowicz, présidente des Jeunes Socialistes ; Saphia Aït Ouarabi, vice-présidente de SOS Racisme ; Dounia Addad, étudiante, militante antiraciste et membre du projet Regards croisés ; Hakim Addad, membre fondateur du Rassemblement Actions Jeunesse (RAJ) en Algérie ; Amina Cheballah, membre de l’association féministe algérienne Tharwa N’Fadhma N’Soumer ; Louri Chrétienne, président de la Fédération indépendante et démocratique lycéenne (FIDL, syndicat lycéen) ; Léon Deffontaines, secrétaire général du Mouvement des jeunes communistes de France (MJCF) ; Paul Mayaux, président de la Fédération des associations générales étudiantes (FAGE) ; Paul Max Morin, docteur en sciences politiques, chercheur associé au Cevipof ; Imane Ouelhadj, présidente de l’Union Nationale des Étudiants de France (UNEF) ; Jacques Pradel, président de l’Association des Pieds Noirs Progressistes et leurs Amis (ANPNPA) ; Éric Sirvin, président de l’association des Anciens Appelés en Algérie et leurs Ami(e)s contre la Guerre (4ACG)
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