Syrie : ligne rouge
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François Soudan
Directeur de la rédaction de Jeune Afrique.
Publié le 10 juin 2013 Lecture : 2 minutes.
« On ne franchit pas le Rubicon pour y pêcher à la ligne », déclarait André Malraux. En Syrie, c’est pourtant le cas. Car si la fameuse « ligne rouge » que représente aux yeux des Américains et des Européens l’usage d’armes chimiques contre la rébellion semble bien avoir été violée par le régime de Damas, personne n’a encore osé dire ce qui se passera le jour d’après.
Pour la bonne raison que rien ne devrait bouger, si ce n’est cette même ligne rouge, désormais déplacée au niveau de « l’utilisation massive et systématique » desdites armes. N’en doutons pas : Assad le petit a encore quelques beaux jours à s’arc-bouter en son palais glacé. Ne s’apprête-t-il pas à faire son grand retour diplomatique à la conférence de « Genève II », prévue pour juillet ?
Deux ans, trois mois et 100 000 morts après le début de la guerre civile, la vitrification de la Syrie est en bonne voie et tous les ingrédients d’un conflit durable sont réunis. Les insurgés tiennent le Nord et le régime tient le Sud. Chaque camp contrôle environ la moitié de la population des zones habitées. Numériquement, les forces armées s’équivalent (70 000 hommes de part et d’autre), et la ligne de front qui sépare en deux la population et la société semble désormais figée. Côté Assad, les minorités religieuses et ethniques, la bourgeoisie d’affaires, les classes moyennes et supérieures, y compris sunnites.
Côté rebelles, la masse des classes populaires et des ruraux. Chacun a ses soutiens extérieurs, apparemment inamovibles. Le Qatar, l’Arabie saoudite, la Turquie, la France, la Grande-Bretagne, les États-Unis sont, à des degrés divers, du côté de l’insurrection. La Russie et l’Iran n’ont pas l’intention de lâcher le pouvoir baasiste. Et Israël se tient à équidistance, partagé entre son désir d’affaiblir indirectement l’ennemi iranien et son souhait de voir se maintenir au pouvoir, comme un moindre mal, celui qu’un ancien directeur du Mossad appelle « notre homme à Damas ».
Dans ce polar tragique où chaque joueur tient l’autre, la guerre civile syrienne a donc atteint une sorte d’équilibre de la terreur. Et c’est là que tout se brouille. La violence du conflit, désormais géré de part et d’autre par les éléments les plus extrémistes, a atteint un degré tel que l’identification des bons et des méchants, des bourreaux et des victimes devient chaque jour plus complexe. Certes, côté férocité, le clan Assad a régulièrement un coup d’avance : l’artillerie et les Scud hier, les gaz et les bombes thermobariques aujourd’hui. Mais le fossé de haine est si profond qu’imaginer une seconde la chute du régime comme une sorte de printemps syrien aux couleurs de l’alternative démocratique relève du conte de fées. La tradition despotique imposera un ordre nouveau, le pouvoir sera toujours sans partage et une dictature en remplacera une autre.
La France, qui a longtemps dénigré la solution diplomatique prônée par Barack Obama, a eu tort. Il n’y a pas de solution militaire, sauf à perpétuer le carnage. La conférence de Genève II, si elle se tient, est bien la dernière chance.
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