Congo : Brazza, c’est ma ville
Tchichellé Tchivéla, Henri Lopes et Emmanuel Dongala. Trois écrivains congolais, réunis dans la capitale, se remémorent les émotions qu’elle leur a procurées.
Congo : l’âge de la sagesse
Il est rare de les croiser tous les trois ensemble. Et pourtant ils étaient là, à Brazzaville, réunis sous les hauts plafonds du Palais des congrès par la grâce du festival littéraire Étonnants Voyageurs, au mois de février. Trois pères fondateurs de la littérature congolaise. Trois mémoires vivantes de leur pays. Raide et élancé, Henri Lopes, l’ambassadeur du Congo à Paris depuis quinze ans, est, sur place, le plus connu d’entre eux. D’ailleurs, les étudiants se pressent autour de lui, qui pour être pris en photo, qui pour obtenir un autographe sur la brochure du festival ou sur un exemplaire défraîchi de son roman le plus célèbre, Le Pleurer-Rire.
Plus discret, mais internationalement loué pour son magnifique Johnny Mad Dog, adapté au cinéma par Jean-Stéphane Sauvaire, Emmanuel Dongala répond aux salutations des uns et aux questions des autres avec une indéfectible patience et un sourire bienveillant.
Les romanciers soulignent aussi les souffrances d’une ville qui n’évolue guère
Moins connu mais appartenant à la même génération, venu spécialement de sa ville océane, Pointe-Noire, François Tchichellé Tchivéla savoure avec flegme le plaisir de se retrouver entre amis, sur la rive du Congo. Non pas « au coeur des ténèbres », comme l’aurait dit Joseph Conrad, mais « à quelques kilomètres de l’équateur, où brille l’astre le plus lumineux de notre univers », comme le dit Lopes. C’est de Brazzaville, cette ville somnolente et meurtrie, qu’ils nous parlent, rassemblant leurs souvenirs ou bien ceux – on ne saura pas – des personnages qui habitent leurs livres.
"Case de Gaulle"
Né en Centrafrique où son père était instituteur, citoyen du monde ayant voyagé à droite et à gauche, Emmanuel Dongala se considère avant tout comme un Brazzavillois : « Mes premiers souvenirs à Brazzaville remontent à mes 6 ans, dit-il. C’est ma ville, je la connais, je la sens, j’ai vu ses évolutions et ses changements. Je me souviens de la musique et de l’architecture coloniale… » La colonisation française, ces trois artistes l’ont connue et vécue.
Ancien élève du lycée Savorgnan-de-Brazza, François Tchichellé Tchivéla est une véritable encyclopédie qu’il faut prendre le temps d’écouter parler. Une telle mémoire vient peut-être, d’ailleurs, de méthodes d’apprentissage à l’ancienne : « À l’époque, on nous obligeait à apprendre par coeur tous les noms des gouverneurs de l’Afrique-Équatoriale française, l’AEF. » De son premier passage à Brazzaville en 1957, Tchivéla – qui deviendra plus tard médecin-colonel, ministre du Tourisme et de l’Environnement de Pascal Lissouba (1992-1995), puis préfet du Kouilou – se souvient avoir remarqué la largeur des artères, le bitumage des routes et la densité de la circulation qui tranchait avec celle de sa ville natale. « J’ai été logé à l’internat du lycée Savorgnan-de-Brazza, et là, j’ai découvert Brazzaville, raconte-t-il. Comme je l’avais pressenti, c’était une grande cité où toutes les ethnies représentatives du Congo se retrouvaient, mais aussi des gens venus des autres États de l’AEF, le Gabon, le Tchad, l’Oubangui-Chari… Tout se décidait ici, le gouverneur général vivait dans la fameuse "Case de Gaulle", au bord du fleuve. »
Pour ces vétérans toujours verts, « un mythe gaullien très fort est attaché à cette ville », comme le dit Emmanuel Dongala. « Je me souviens d’un meeting avec le général de Gaulle au stade Éboué… Je me souviens aussi du premier aéroport où l’on nous avait alignés pour l’accueillir », rappelle l’ambassadeur Lopes. « Même pendant la période marxiste, quand les relations avec la France étaient très mauvaises, les Brazzavillois n’ont jamais déboulonné la statue de De Gaulle », ajoute Dongala.
Si l’on oriente la discussion vers des territoires plus intimes, c’est évidemment la musique et la danse qui imposent, dans le sépia des souvenirs, d’éclatantes vibrations de couleurs. « Brazzaville, c’était bien entendu la capitale des ambianceurs, souligne Tchivéla. Il y avait de grands bals en plein air et des dancings. J’allais danser Chez Faignond, à Poto-Poto et au bar Macédo, à Bacongo, les deux grands centres d’attraction de ceux qui aimaient la belle vie. » Henri Lopes confie que, pour sa part, il sortait peu. « Chez Faignond était un haut lieu de la rumba, mais aujourd’hui cela n’a plus rien à voir avec ce que c’était. Les danses que nous dansions, ils ne savent plus les danser, dit-il. Il y avait aussi le Santé Tout Brazza et Chez Diallo, au bord du fleuve. »
Méandres
Ce fleuve qui sépare Brazzaville de Kinshasa, ce fleuve auquel la cité a tendance à tourner le dos charrie dans les méandres de ses flots tourmentés d’innombrables sédiments du temps passé. Ils y ont appris à nager, ils y ont vu mourir des amis, ils s’y sont promenés en compagnie d’une amoureuse, aux Cataractes, là où le Djoué se déverse furieusement dans le Congo. « Le dimanche, raconte Lopes, nous sortions de Brazzaville avec une préférence pour la route du nord, qui conduit à de nombreux cours d’eau claire… Il y avait une paillote très modeste, on pouvait se baigner. C’était parfois, aussi, l’occasion de faire un saut jusqu’au fleuve, dans sa partie la plus large qui fait 35 km, le Stanley Pool. »
Mélancoliques, ces écrivains qui n’ont plus rien à prouver ? Non, sans doute pas, mais ils savent aussi qu’entre les espérances de l’indépendance et l’heure présente, les eaux du fleuve n’ont pas charrié que des souvenirs. Il y a eu aussi bien des cadavres au ventre gonflé, comme ceux de la guerre civile (1997-1999). « Le monument de Brazzaville que j’aime bien, mais que Tchicaya U Tam’si n’aimait pas, c’est la basilique Sainte-Anne-du-Congo, avec son toit en forme de pirogue renversée et ses tuiles vertes, confie Emmanuel Dongala. Elle a subi beaucoup de dommages pendant la guerre civile. C’est pour moi le symbole de la cité, même si je ne suis pas chrétien. Après la guerre, j’ai quitté Kinshasa et je suis rentré à pied dans la ville dévastée, entre les immeubles effondrés. Mais ce n’est qu’au moment où j’ai vu le trou dans la toiture de la basilique que j’ai compris la portée de la tragédie. »
Lucidité
Des tragédies, Brazzaville en a connu d’autres, dont l’explosion de la caserne des blindés de Mpila, le 4 mars 2012, qui a réduit tout un quartier à néant. Les dégâts sont tels que la reconstruction prendra sans doute encore plusieurs années.
Fins observateurs du réel, les romanciers ne se contentent pas de rappeler les ferveurs de leur adolescence. Ils pointent aussi les souffrances d’une ville qui n’évolue guère. « Pour reprendre à mon compte la formule de Pierre Messmer, Brazzaville est restée la même tout en ayant changé, déclare Tchichellé Tchivéla. Nos villes changent peu, c’est triste à constater et à reconnaître. Le président Denis Sassou Nguesso est le plus grand bâtisseur du pays, même s’il pourrait faire mieux avec l’argent dont il dispose. »
Disparition des manguiers au profit des eucalyptus, faible mise en valeur des abords du fleuve, nids-de-poule et embouteillages, multiplication des immeubles construits par les Chinois, tensions politiques… Chacun y va de sa critique, avec tendresse, avec lucidité. « Brazza est une ville tranquille quand ça va bien, souligne Emmanuel Dongala. Après la guerre, il y avait une forte présence militaire, beaucoup de tension, beaucoup d’insécurité. Aujourd’hui, ça va, on peut circuler sans trop de problèmes et, malgré le contrôle des informations et de la presse, il y a des espaces de liberté qu’on parvient à se créer au coeur d’un régime très bonapartiste. » Quant à Henri Lopes, il affirme : « Bien sûr, Brazzaville a parfois des aspects monstrueux – je pense aux embouteillages -, mais c’est ma ville, celle où j’ai vu des lumières pour la première fois. Elle me sera toujours chère, malgré ses nids-de-poule. »
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