Football – Congo : attention, les Fauves sont lâchés
Le département du Niari et le Congo tout entier ont les yeux rivés sur les performances de l’AC Léopards, vainqueur de la Coupe de la Confédération fin 2012.
Congo : l’âge de la sagesse
Dimanche 7 avril. Sous un soleil clément, Dolisie, le chef-lieu du Niari, est en pleine effervescence. Parée de vert et de blanc – les couleurs de l’équipe locale, l’Athletic Club Léopards -, la ville, toutes générations confondues, a rendez-vous au stade Denis Sassou Nguesso. La foule qui se dirige vers l’arène sportive charrie aussi en son sein nombre de supporteurs venus d’ailleurs : de Pointe-Noire, de Brazzaville, de Sibiti, de Mvouti, de Nkayi, et même de Kinshasa. Raison de cette affluence : le match retour des seizièmes de finale de la Ligue des champions de la Confédération africaine de football (CAF) 2013, entre les Fauves du Niari (surnom des Léopards de Dolisie) et les Kano Pillars du Nigeria. À l’aller, les Nigérians s’étaient imposés facilement : 4-1. Pour espérer continuer à rêver et faire rêver, le club dolisien doit marquer trois buts sans en encaisser un. Une gageure.
ET 3-0 !
Entièrement rénové en 2008 – et doté, tout de même, de 3 000 sièges, de 5 tribunes et d’un terrain aux normes olympiques -, le petit stade municipal est bondé. Et l’ambiance festive. Des jeunes au corps peinturluré de vert et de blanc se déhanchent. Des chants montent des tribunes, répondant aux sirènes traînantes des vuvuzelas et aux rythmes des airs populaires sortant des haut-parleurs poussés à fond. Dans le brouhaha ambiant, une petite fanfare redouble de maestria.
Dolisie croit au miracle et en son équipe, comme on peut le lire sur l’une des innombrables banderoles visibles dans les gradins : « Avec les Fauves rien n’est impossible. » Pourtant, à la mi-temps, l’AC Léopards n’a marqué qu’une fois. Et même si le compteur des Nigérians reste à zéro, l’inquiétude s’installe. Dans la tribune officielle (où les spectateurs sont assis sur des chaises de jardin), un homme confie à un voisin : « On a pourtant donné des consignes précises aux joueurs : ils devaient marquer deux buts en première période et mettre le troisième durant la deuxième, sur penalty. » En réalité, c’est en seconde période que le club dolisien marque un deuxième but. Sur penalty. Le troisième, celui de la qualification pour le tour suivant, intervient dans les arrêts de jeu. Alors que certains spectateurs, n’y croyant plus, avaient déjà commencé à quitter le stade, Dolisie tout entier explose de joie.
L’AC Léopards n’est pas un jeune club. Sexagénaire, c’est même l’un des plus anciens du Congo. Après être tombé dans les oubliettes, il vit depuis 2009 la période la plus glorieuse de son histoire. À l’origine de cette fulgurante renaissance, un homme : Rémy Ayayos Ikounga, colonel de l’armée congolaise. « Après de nombreuses visites à Dolisie, où je suis né et où vit ma mère, institutrice à la retraite, j’ai décidé de faire quelque chose, il y a déjà bientôt cinq ans, raconte-t-il. Après la guerre de 1997, la ville était triste. Les gens se sentaient orphelins dans ce fief de l’ancien président Pascal Lissouba. Personne ne voulait plus rien faire, et la jeunesse n’avait plus de repères. Il n’y avait aucun centre d’intérêt susceptible de faire bouger les gens dans un sens ou dans un autre. » En 2006, lorsque la « municipalisation accélérée » (le programme engagé par l’État pour moderniser, les uns après les autres, les départements du pays) est lancée à Dolisie, Rémy Ayayos Ikounga y achète une maison – où il vient désormais passer presque tous les week-ends (il vit et travaille à Brazzaville).
Dans la cour des grands
L’année 2012 a été exceptionnelle pour l’AC Léopards, qui a remporté son championnat national et qui, surtout, a été sacré champion de la Coupe de la confédération 2012, le 25 novembre.
C’est la première finale continentale et le premier titre africain de l’AC (doté de 660 000 dollars – 514 000 euros – pour le club et de 35 000 dollars pour sa fédération), qui a permis aux Léopards de disputer la Supercoupe de la CAF 2013 et d’affronter, le 23 février, le vainqueur de la Ligue des champions de la CAF, le club égyptien d’Al-Ahly, contre lequel ils ont perdu, mais sans avoir à rougir (1-2).
Qualifiés le 7 avril en seizièmes de finale de la Ligue des champions de la CAF 2013, les Léopards ont sorti les Algériens de l’ES sétifienne aux tirs au but (après une égalité parfaite sur les matchs aller et retour) le 4 mai. Ils sont désormais qualifiés pour la phase de poules de la compétition.
Mais le tirage au sort du 14 mai les a placés dans un groupe difficile, le A. Ils devront en effet affronter les Orlando Pirates d’Afrique du Sud (20 juillet-14 septembre), ainsi que les clubs égyptiens d’Al-Ahly (17-31 août) et Zamalek (2 août-20 septembre). Cécile Manciaux
Phénomène
En 2009, quelques jeunes viennent voir le colonel pour lui parler de l’AC Léopards, alors à l’agonie. Les anciens responsables du club et les sages de la ville, convaincus qu’il peut prendre l’équipe en main, le sollicitent à leur tour pour qu’il accepte la présidence du club. Ayayos Ikounga hésite, d’autant plus qu’il aide déjà, à Brazzaville, l’Étoile du Congo, autre équipe mythique. « Ceux qui sont venus me voir cherchaient uniquement la survie de l’AC Léopards, sans autre ambition, mais j’étais confronté à un choix cornélien », explique-t-il. Finalement, lors d’une assemblée générale, il dit oui et promet que les Fauves joueront une coupe continentale dans les cinq ans. « On m’a trouvé trop optimiste, à la limite naïf, se souvient le colonel. Moi, j’étais persuadé que nous pouvions aller très vite. Très jeune, je dirigeais déjà des équipes de minimes et de cadets en organisant des championnats. Je m’occupais aussi de vieilles gloires et soutenais financièrement beaucoup de joueurs à travers le pays. »
Stratégie du nouveau président : rassembler tous les joueurs qu’il avait aidés par le passé, en recruter à Pointe-Noire, à Brazzaville, à Kinshasa. Ces derniers acceptent de s’installer à Dolisie, où ils sont logés par l’équipe. Dès la première année, en 2009, l’AC Léopards remporte contre toute attente la Coupe du Congo et se classe deuxième du championnat national, un seul petit but le séparant du leader. Après une finale non jouée en 2010, les hommes d’Ayayos Ikounga remportent à nouveau la coupe nationale, en 2011, et se retrouvent en Coupe de la confédération. À Dolisie, comme dans le reste du Congo, la surprise laisse place à l’enthousiasme. La consécration arrive le 25 novembre 2012 : les Fauves gagnent la Coupe de la confédération en remportant la finale contre les Maliens du Djoliba AC. Depuis, ils enchaînent les performances.
Pour le moment, le budget du club se limite à la poche de son président
Ce succès n’est en rien dû au hasard. Rémy Ayayos Ikounga a renforcé l’équipe en allant recruter d’excellents éléments en RD Congo et au Cameroun, en rapatriant de Guinée équatoriale un entraîneur congolais, Benoît Kokolo – auquel a succédé, en novembre 2011, le Camerounais Joseph Marius Omog. Les joueurs ont des comptes bancaires, sur lesquels sont virés leurs salaires et primes, ils disposent d’un bus pour leurs déplacements. De quoi se libérer de tout complexe d’infériorité par rapport aux grands clubs du continent. Par ailleurs, les victoires du TP Mazembe, le club de Lubumbashi (RD Congo), ont beaucoup aidé psychologiquement l’AC Léopards.
Lorsqu’on lui pose une question sur le budget du club, Rémy Ayayos Ikounga répond avec une pointe de malice : « Chez nous, ce budget se limite à la poche du président, c’est-à-dire la mienne. » Avant d’ajouter : « C’est dommage, parce que je ne serai pas éternellement à la tête de l’AC Léopards. J’aimerais bien laisser un patrimoine à cette équipe, une bonne organisation, des acquis solides. Il n’est donc pas normal que ses moyens se limitent à ma poche. Beaucoup de formations disparaissent à cause de cela. »
Aura
En attendant, les succès du club dolisien étonnent au point que certains supporteurs n’hésitent pas à affirmer qu’« Ayayos a quelque chose », sous-entendu : il a des pouvoirs surnaturels. L’intéressé éclate de rire, puis revient sur les raisons du succès : « Une aura métaphysique plane au-dessus de l’équipe mais, pour moi, la réussite vient avant tout du travail abattu. Les joueurs que je recrute coûtent cher, et je choisis les meilleurs. » Ce qui ne l’empêche pas de s’avouer étonné de recevoir régulièrement des coups de fil de gens qui lui prédisent l’issue du match, le nombre de buts… et que, souvent, ces prédictions se réalisent. « Quand je quitterai le monde du football, je prendrai le temps qu’il faut pour comprendre ce genre de phénomène. En attendant, je crois aux mânes des ancêtres. Avant chaque match, je vais me recueillir sur les tombes de mes grands-parents à Sibiti, à deux heures de route de Dolisie. Je suis convaincu qu’ils veillent sur moi. Je consulte aussi les sages du Niari. Mais je n’ai pas de recette miraculeuse. » Au-delà de son aspect purement sportif et, éventuellement, métaphysique, le phénomène AC Léopards a une dimension géopolitique. Le club est devenu un élément rassembleur, un motif de fierté pour les habitants des départements du Niari, de la Bouenza et de la Lékoumou (40 % de la population congolaise), à l’ouest de Brazzaville. Et, bien entendu, à Dolisie, le colonel Ayayos Ikounga est désormais roi.
Rémy Ayayos Ikounga, officier et mécène
Le président de l’AC Léopards, Rémy Ayayos Ikounga, est né à Dolisie en 1969. À l’âge de 11 ans, il entre à l’École militaire préparatoire des enfants de troupe Général-Leclerc, à Brazzaville. Après son baccalauréat, il part étudier à l’École d’application du service de santé des armées, aujourd’hui École du Val-de-Grâce, à Paris. À son retour au Congo, Rémy Ayayos Ikounga est nommé gestionnaire de l’hôpital militaire de Brazzaville, puis directeur de cabinet du chef du service des frontières de l’armée. Il est actuellement directeur de cabinet du domaine présidentiel, dirigé par Edgar Nguesso, le neveu du chef de l’État.
Bon vivant, le colonel Ayayos Ikounga est sportif, s’adonne à la lecture ainsi qu’à la prière. Il se dit « fondamentalement optimiste, avec des qualités de meneur d’hommes ». Pourtant, quand son équipe gagne, sa joie ne dure pas plus de dix minutes après le match, dit-il. Il ne peut s’empêcher de penser sans cesse à ses responsabilités et à ce qui pourrait arriver s’il ne parvenait pas à accomplir les tâches qui lui incombent en tant que président de l’AC Léopards. S’il a les moyens d’être à la fois un véritable mécène et un stratège pour le club, c’est d’abord parce qu’en tant qu’officier il est « privilégié, sans être riche ». Ensuite, il a noué « de solides relations » avec nombre de personnalités des milieux politique, économique et de la société civile, notamment la famille Sassou Nguesso. « Je suis entré à l’École des cadets le même jour qu’Edgar Nguesso. Nous étions dans la même chambre à l’internat et sommes restés ensemble jusqu’au baccalauréat. Notre amitié est vieille de trente-trois ans. D’autres personnes qui m’aiment me soutiennent également… Et j’aimerais qu’il y en ait davantage. » T.L.M.K.
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Congo : l’âge de la sagesse
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