Les contradictions de la politique française au Maghreb
Malgré sa volonté de renouveler la relation entre la France et les États africains, maghrébins comme subsahariens, Emmanuel Macron, en visite en Algérie du 25 au 27 août, est aussi dans l’esprit de beaucoup le président français qui a restreint drastiquement l’octroi de visas aux ressortissants de ces pays. Une contradiction qui brouille durablement son message.
Depuis le début de la guerre en Ukraine, l’Europe est invitée à repenser fondamentalement son rapport à son voisinage, sur ses flancs est et sud. Le retour du tragique dans la géopolitique européenne invite les puissances diplomatiques du continent à donner corps à l’idée d’«Europe puissance », chère à Emmanuel Macron. Alors qu’il se rend en Algérie pour une visite officielle de trois jours, du 25 au 27 août, ce déplacement est une opportunité de discuter certaines contradictions de la politique française au Maghreb.
En effet, la stabilité du Maghreb est depuis longtemps identifiée comme un enjeu stratégique majeur pour l’Europe, tant pour des raisons sécuritaires que migratoires. Elle devient également source d’opportunités. Les intérêts croisés sont de plus en plus nombreux, que ce soit pour diversifier les points d’approvisionnement énergétique grâce au gaz algérien, ou pour relocaliser les chaînes de production parties en Chine vers un étranger proche. Le Maghreb n’est donc pas que poche de risque, mais bien un espace sur lequel peut s’appuyer la volonté de puissance stratégique européenne.
Changement de paradigme
Dans le même temps, les pays du Maghreb sont engagés dans des démarches de diversification de leurs partenaires. Ils ont parfaitement digéré les transformations du monde, qui se reconfigurent autour de relations de connivence davantage que d’alliance. Les abstentions respectives de l’Algérie et du Maroc lors du vote de la résolution des Nations unies exigeant le retrait des forces russes en Ukraine sont la meilleure illustration de ce changement de paradigme.
Emmanuel Macron est sans doute le président français contemporain qui a le plus innové en matière diplomatique, notamment vis-à-vis du continent africain, bien que les dividendes politiques qu’il en ait retiré soient plutôt faibles. Il a mis l’accent sur la nécessaire inclusion des sociétés civiles dans la construction des relations euro-africaines, lui permettant de sortir du tête-à-tête avec certains autocrates. Il a fait du développement économique, notamment sur les questions du climat et du numérique, des axes majeurs de travail pour réinventer la relation entre la France et certains de ses partenaires sur le continent.
Au Maghreb, ces efforts ont cependant été largement entamés dans l’imaginaire collectif par la politique de visa punitive menée par la France depuis près de deux ans. En effet, au prétexte du manque de coopération des pays du Maghreb dans le retour des personnes en situation irrégulière, la France a réduit drastiquement les visas octroyés, de 50 % en Algérie et au Maroc et de 30 % en Tunisie. Ces restrictions, qui devaient s’appliquer de façon prioritaire « aux milieux dirigeants » des trois pays, touchent en réalité des groupes socioprofessionnels beaucoup plus larges, tels que les milieux médical, artistique ou d’affaires.
Liquidation du capital symbolique
Ainsi, au Maroc, cela a donné lieu à une polémique après que le rappeur ElGrande Toto n’a pu se déplacer pour un concert prévu à Sète, avant que les autorités consulaires ne rétropédalent suite au tollé suscité. Cette affaire illustre bien l’aporie de la politique actuellement menée : comment faire en sorte d’asseoir la position européenne sur son flanc sud si la politique des visas devient un instrument aveugle de chantage de masse ?
Évidemment, l’octroi d’un visa reste une décision éminemment souveraine. Cependant, là où le bon sens voudrait que les situations soient examinées au cas par cas au regard des priorités diplomatiques, cette politique de matamore participe à la liquidation du capital symbolique de la France et de l’Union européenne dans la région.
Il ne s’agit pas ici d’appeler à la délivrance de plus de visas, mais bel et bien de repenser la fonction de cet instrument, à la fois outil de contrôle et de promotion des échanges. À un moment où la bataille de l’information et des symboles n’a jamais autant fait rage, les bénéfices supposés de la politique actuellement menée devraient être mis en balance avec les autres priorités des diplomaties française et européenne.
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