Congo – Émilienne Raoul : « Les hommes occupent toute la scène politique »
Misogynie, manque de volonté des autorités, démotivation des militantes… La ministre des Affaires sociales explique pourquoi il y a si peu de candidates. Et comment y remédier.
Congo : l’âge de la sagesse
Membre du Conseil national de transition de 1998 à 2002 et veuve de l’ancien président Alfred Raoul – décédé en 1999 -, Émilienne Raoul, ex-professeure de géographie à l’université Marien-Ngouabi, s’est lancée dans la politique en 2002. Candidate indépendante aux élections législatives, élue députée à Mfilou, 7e arrondissement de Brazzaville, elle est nommée ministre la même année et est, depuis, de tous les gouvernements. À 68 ans, toujours indépendante, la ministre des Affaires sociales, de l’Action humanitaire et de la Solidarité poursuit, parallèlement à sa mission au sein de l’exécutif, son combat pour l’émergence d’une classe politique féminine.
Jeune Afrique : Comment le Centre de promotion de la femme en politique (CPFP), que vous présidez, s’est-il constitué ? Et quelle est sa vocation ?
Émilienne Raoul : Nous avons créé le CPFP en 2002, mais avons eu beaucoup de mal à le faire reconnaître par le ministère de l’Intérieur en tant qu’association apolitique à cause, justement, du mot « politique » contenu dans son nom. Nous poursuivons trois objectifs : préparer les femmes à être candidates aux élections législatives et locales, tous les cinq ans ; renforcer les capacités de toutes les femmes occupant des postes à responsabilités en politique, dans l’administration et dans la société civile ; enfin, préparer les jeunes filles à la relève de la classe politique féminine actuelle.
Si nous voulons nous lancer dans l’arène, nous devons nous omntrer fortes.
Comment assurer la relève de ce qui est quasi inexistant ?
C’est vrai, nous avons très peu de femmes en politique. Pourtant, le Congo est signataire de conventions internationales selon lesquelles 30 % de femmes au moins doivent occuper des postes à responsabilités… Quand on est ministre, il s’agit d’une nomination. Et dans l’administration ou les entreprises, on nomme des responsables sans tenir compte des sexes. En politique, c’est une autre affaire. Et c’est justement sur le plan électif que notre association focalise son effort de sensibilisation des femmes, afin qu’elles se portent candidates. Si nous voulons faire de la politique, nous devrons être fortes. Ce n’est pas facile, car, au Congo comme dans d’autres pays, les hommes occupent toute la scène politique et, malheureusement, tout dépend du bon vouloir des chefs des partis.
Sont-ils misogynes ?
Ce sont eux en tout cas qui investissent les candidats. Quand nous rappelons aux leaders des partis que, selon la loi électorale, chaque liste doit comporter au moins 15 % de femmes pour les législatives et 20 % pour les locales, ils donnent la même réponse : « On ne les voit pas. » Ou encore : « Les femmes ne s’intéressent pas à la politique. » Mais que proposent-ils aux femmes pour qu’elles les rejoignent ?
Dans ces conditions, de votre côté, que leur proposez-vous ?
Les partis doivent mettre en place des stratégies pour intéresser les femmes, les retenir et les promouvoir. Elles ne sont pas destinées à être éternellement de simples membres, ou, au mieux, des trésorières ou des chargées des affaires sociales ! Elles aimeraient bien, elles aussi, siéger à l’Assemblée nationale ou dans les conseils locaux. Mais nous n’avons actuellement que 13 femmes, sur 139 députés, dans l’hémicycle… Beaucoup choisissent de militer dans tel ou tel parti, mais finissent toujours par en partir, déçues, parce que personne ne tient compte de leur présence.
Pourquoi ne se présenteraient-elles pas en indépendantes ?
J’ai débuté comme indépendante et j’ai été élue. Mais ce statut n’assure aucun avenir en politique.
Elles pourraient créer un parti féminin…
La loi l’interdit.
Quels changements espérez-vous lors des prochaines élections locales ?
La législation congolaise prévoit qu’il y ait 20 % de femmes sur les listes pour ces scrutins. Nous allons en demander la modification pour que le pourcentage passe à 30 %. Et nous nous battrons pour que ceux qui ne respectent pas la loi électorale soient sanctionnés par la non-validation des listes sur lesquelles ce minimum de 30 % ne sera pas atteint. L’alternance hommes-femmes doit être respectée sur ces mêmes listes.
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Propos recueillis par Tshitenge Lubabu M.K.
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