Congo : Denis Sassou Nguesso, monsieur bons offices
Médiateur dans la crise centrafricaine, sollicité par ses homologues des Grands Lacs pour y débloquer la situation sécuritaire, le président congolais, Denis Sassou Nguesso, semble avoir endossé l’habit de sage régional.
Congo : l’âge de la sagesse
Tout le monde l’aura remarqué, la diplomatie congolaise s’est illustrée ces derniers mois en s’impliquant dans plusieurs dossiers concernant les pays de la région, en particulier celui de la Centrafrique et ceux de la République démocratique du Congo, dans ses rapports avec ses voisins rwandais et ougandais. II y a encore quelques années, c’est feu Omar Bongo Ondimba qui faisait office de « sage » vers lequel se tournaient tous ceux qui s’étaient embourbés dans des palabres sans fin. Tous les décideurs et acteurs politiques et économiques de l’Afrique centrale passaient alors par Libreville. Où l’ancien président gabonais avait la particularité, manne pétrolière aidant, d’« arroser » ses visiteurs de billets de banque. Aujourd’hui, même si ce n’est que pour quelques heures, tous passent, régulièrement, par Brazzaville. Le chef de l’État congolais, Denis Sassou Nguesso, dans les nouveaux habits de sage régional qu’il semble avoir endossés, suivrait-il la même logique qu’Omar Bongo Ondimba en son temps ? « Ce n’est pas du tout le même style, confie un habitué du sérail. Sassou veut bien contribuer à la résolution de crises compte tenu de sa longue expérience du pouvoir, mais il est loin d’être un distributeur automatique de billets. »
Désintérêt
Une « longue expérience du pouvoir » qui n’explique pas, seule, la nouvelle aura diplomatique de Denis Sassou Nguesso. Celle-ci profite en effet de l’absence affichée en ce domaine, voire du désintérêt, de certains de ses homologues régionaux, qu’il s’agisse du Camerounais Paul Biya, de l’Équato-Guinéen Teodoro Obiang Nguema ou de l’Angolais José Eduardo dos Santos, qui sont de la même génération et partagent cette fameuse « longue expérience du pouvoir ». Quant au Gabonais Ali Bongo Ondimba, ses rapports avec le numéro un congolais ne sont pas des plus cordiaux. À 54 ans, dont moins de quatre en tant que chef de l’État, il semble attiré par des horizons plus internationaux, même s’il est le président en exercice de la Communauté économique et monétaire de l’Afrique centrale (Cemac). La nature ayant horreur du vide, Sassou Nguesso ne rechigne pas à se rendre utile. Aussi bien au sein de la Cemac que de la Communauté économique des États de l’Afrique centrale (CEEAC), ou de la Conférence internationale sur la région des Grands Lacs (CIRGL).
Dans le dossier centrafricain, le président congolais, médiateur de la crise, partage le premier rôle avec son homologue tchadien, Idriss Déby Itno. Mais ce dernier, selon certains observateurs, pourrait s’en désengager pour se concentrer sur le conflit au Mali et les nombreux problèmes de la région sahélo-saharienne. L’importante implication de Brazzaville pour tenter de stabiliser la Centrafrique passe notamment par le général Noël Léonard Essongo, chef d’état-major particulier du président qui l’a nommé, en janvier, conseiller spécial chargé de la défense et de la sécurité, et qui est son principal représentant à Bangui. Lors de la première réunion du Groupe international de contact sur la République centrafricaine, organisée le 3 mai à Brazzaville, le Congo est devenu le premier contributeur du fonds de soutien à Bangui, avec 5 milliards de F CFA (7,6 millions d’euros). Enfin, Denis Sassou Nguesso a dépêché son ministre des Affaires étrangères, Basile Ikouébé, à Bujumbura, pour demander au chef de l’État burundais, Pierre Nkurunziza, de mettre quelques centaines de soldats à la disposition de la Force multinationale de l’Afrique centrale (Fomac), chargée du maintien de la paix en Centrafrique par la CEEAC. Le président congolais a par ailleurs annoncé le 27 mai, à l’issue du sommet de l’Union africaine, l’envoi de 200 hommes à Bangui en plus des 150 qui s’y trouvent déjà pour renforcer la Mission de consolidation de la paix (Micopax) en Centrafrique.
FAMILIAL
Autre pays où le rôle et l’influence de Sassou Nguesso ont pris un nouveau tour depuis quelques mois : la RD Congo. Les relations avec Kinshasa n’ont pourtant pas été simples ces dernières années. Pomme de discorde, la proximité communautaire entre le président congolais et les adversaires politiques lingalaphones des Kabila père et fils. En particulier les anciens « mobutistes » et Jean-Pierre Bemba, originaires de la province de l’Équateur (nord-ouest du pays). Vivant dans la suspicion permanente, les deux voisins ont vu leurs rapports se détériorer avec la présence au Congo-Brazzaville du chef tribal Odjani, de la milice Enyele de l’Équateur, arrêté en 2010 à Impfondo (Nord), et, surtout, du général Faustin Munene, accusé d’avoir envoyé un commando à Kinshasa pour assassiner Joseph Kabila et que son voisin de l’autre rive du fleuve a toujours refusé d’extrader. Ces tensions ont diminué depuis quelques mois après les visites de Kabila à Brazzaville et à Oyo, région natale de Sassou Nguesso, mais aussi grâce à celles de ce dernier à Kinshasa. Selon un fonctionnaire du ministère congolais des Affaires étrangères, « les querelles entre les deux pays sont d’ordre familial et ne peuvent en aucun cas nuire au bon voisinage ». Un avis qu’un diplomate kinois est loin de partager : « Le rapprochement de ces derniers temps a été imposé par les circonstances. C’est du vernis, car ça ne vient pas du coeur. » Il n’empêche, Denis Sassou Nguesso, quand il en a l’occasion, reçoit les leaders de l’opposition de RD Congo, d’Étienne Tshisekedi à Vital Kamerhe, qui le considèrent comme un potentiel médiateur entre eux et le pouvoir.
Éphémère
En termes de médiation justement, celle qu’a menée le président congolais entre, d’un côté, la RD Congo et, de l’autre, le Rwanda et l’Ouganda, est la plus surprenante. Personne ne s’attendait à voir Joseph Kabila, Paul Kagamé et Yoweri Museveni réunis, fin mars, à Oyo autour de leur hôte congolais. D’autant qu’au même moment se poursuivaient à Kampala les pourparlers entre la rébellion du Mouvement du 23-Mars (M23) et les représentants de Kinshasa. Avant ce mini-sommet d’Oyo, Sassou Nguesso et Kagamé s’étaient rendu visite.
La rencontre entre les quatre chefs d’État a-t-elle servi à quelque chose ? Selon Brazzaville, son utilité saute aux yeux. Un proche de Kabila, qui y a assisté, se montre plus réservé : « Toute initiative de rapprochement est la bienvenue, mais sa portée réelle n’est pas prouvée. Le Congo-Brazzaville se trouve trop loin du Nord-Kivu pour bien apprécier la situation. Et il n’a ni fourni de soldats à la brigade d’intervention créée par les Nations unies ni apporté de contribution financière. » Plus généralement, certains observateurs de la diplomatie congolaise relèvent aussi « le caractère parfois éphémère de certaines de ses actions, par manque de ressources humaines capables d’en assurer le suivi une fois la machine lancée, les services de la présidence et ceux des Affaires étrangères étant en outre souvent en concurrence ».
Quoi qu’il en soit, les initiatives de Sassou Nguesso sont certainement dictées par une réelle (bonne) volonté de ramener la paix et la stabilité en Afrique centrale. Une volonté qui n’exclut pas non plus que, derrière ces efforts, pointe aussi un désir d’hégémonie régionale de la part du président, au moment où son pays, porté par un taux de croissance enviable (6,4 % en 2013, selon le Fonds monétaire international), commence à montrer des signes encourageants de décollage. Des infrastructures longtemps attendues qui se concrétisent, comme la RN 1 Pointe-Noire – Dolisie – Brazzaville, l’arrivée de nouveaux opérateurs, sur des projets notamment miniers (lire pp. 84-86), un club de foot local qui remporte une compétition continentale… Et si le Congo se réveillait ?
Brazza-Kigali, la détente cordiale
L’un des succès de la diplomatie congolaise reste le rapprochement du pays avec le Rwanda. Depuis le début des années 1990 et après le génocide qui a provoqué l’exode de centaines de milliers de Rwandais, Kigali voyait d’un très mauvais oeil l’installation sur le sol congolais de ses ressortissants, dont des membres des ex-Forces armées rwandaises. Certains d’entre eux ont même assuré la sécurité du Chemin de fer Congo-Océan (CFCO) pendant les troubles qui ont secoué le Congo au cours de la même décennie. La détente n’est intervenue, progressivement, qu’à partir du début des années 2000 et semble désormais consacrée – la compagnie Rwandair assure ainsi des liaisons plurihebdomadaires entre Kigali et Brazzaville, et le Rwanda considère la capitale congolaise comme un hub pour ses exportations en zone Cemac. Selon un proche du président congolais, le point commun entre Sassou et Kagamé serait leur « nationalisme africain, hostile aux ingérences occidentales. » T.L.M.K.
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