Fraude fiscale : l’enfer pour les tricheurs ?

Fraude et évasion fiscales font perdre chaque année 1 270 milliards d’euros aux États-Unis. Et 1 000 milliards d’euros aux pays de l’Union européenne. Tous paraissent enfin résolus à réagir.

L’entrée de la salle des coffres d’une banque luxembourgeoise. © Benoît O/REA

L’entrée de la salle des coffres d’une banque luxembourgeoise. © Benoît O/REA

ProfilAuteur_AlainFaujas

Publié le 5 juin 2013 Lecture : 5 minutes.

Sale temps pour les fraudeurs du fisc ! Et pas seulement pour Jérôme Cahuzac, l’ancien ministre français du Budget, et son gros mensonge sur son compte bancaire dissimulé en Suisse. Ou pour les dix mille contribuables allemands réfugiés eux aussi dans la Confédération helvétique, et que le fisc de leur pays traque au moyen d’un fichier secret censé lui permettre de récupérer 500 millions d’euros.

Le 22 mai, les chefs d’État et de gouvernement de l’Union européenne se sont, à l’unanimité, donné six mois pour mettre en oeuvre une batterie de mesures d’une sévérité accrue en matière fiscale. Il ne suffit plus désormais de poursuivre les fraudeurs. Il est essentiel de boucher les trous d’une législation fiscale qui autorise ce qu’il est convenu d’appeler « l’évasion fiscale ». En créant des structures aux noms passe-partout (trusts, fiducies, foundations, etc.) et en les domiciliant dans des pays (« offshore ») où actifs et bénéfices sont faiblement taxés, et où l’identité des propriétaires est efficacement dissimulée, riches particuliers et multinationales réussissent en effet à se soustraire à l’impôt. Des exemples ?

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Alors que le taux de l’impôt sur les bénéfices des sociétés est de 33,3 % en France et de 12,5 % en Irlande, et que celui de l’impôt sur les sociétés américaines s’élève à 35 %, les bénéfices d’Apple, le géant de l’informatique et de la téléphonie, ne sont taxés qu’à 3 %, et ceux de Google, l’autre colosse du numérique, à 5 %. Ce qui est injuste et pénalisant en termes de compétitivité pour les entreprises à base nationale qui n’ont pas les moyens de s’offrir les conseils de spécialistes pour expatrier leur argent.

Monaco, Andorre ou les Samoa ont dû se plier aux injonctions de l’OCDE. De très mauvaise grâce.

En ces temps de lutte féroce contre les dettes et les déficits, même les gouvernements les plus favorables à la haute finance ont compris que la fraude et l’évasion fiscale amputaient sévèrement leurs recettes. L’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) évalue à 1 700 milliards de dollars (1 270 milliards d’euros) les bénéfices des sociétés qui ne sont pas rapatriés aux États-Unis ; et à 1 000 milliards d’euros les recettes fiscales dont sont privés les vingt-sept pays de l’Union européenne. Dans le seul Royaume-Uni, le trou dans les caisses de Sa Majesté est évalué à 14 milliards de livres (17 milliards d’euros).

Colère

Politiquement, il était impossible pour les gouvernements d’ignorer la colère des contribuables lourdement taxés afin de redresser les comptes de l’État, alors que certains s’affranchissent allègrement de tout impôt. Lors du Forum économique mondial, à Davos, en janvier, l’exemple de Starbucks Coffee Company, qui ne verse pas un penny au Royaume-Uni, a fait sortir de ses gonds David Cameron. « Lorsqu’on voit certaines entreprises ne payer aucun impôt, c’est très mauvais pour la confiance », a estimé le Premier ministre britannique. À l’assaut donc !

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L’OCDE s’est d’abord attaquée aux « paradis fiscaux », tels que Monaco, Andorre, les îles Vierges britanniques ou les Samoa. Ceux-ci se sont pliés de mauvaise grâce à ses injonctions en signant des conventions fiscales qui, de l’avis des experts, ne dissipaient guère leur opacité.

Le rapport de force a basculé quand les États-Unis sont à leur tour passés à l’offensive. D’abord à petite échelle, en obligeant l’Union des banques suisses (UBS) à lui communiquer les noms des Américains disposant de comptes chez elle. Puis, de façon massive, en adoptant en 2010, le Foreign Account Tax Compliance Act (Fatca), autrement dit la loi sur la conformité fiscale des comptes étrangers, qui entrera en vigueur le 1er janvier 2014 et obligera toutes les institutions financières opérant aux États-Unis, mais basées à l’étranger, à communiquer au fisc américain les données personnelles, le montant des avoirs et le détail des transactions (à partir de 50 000 dollars) de leurs clients, qu’ils soient ou non américains. Faute de quoi, le fisc prélèvera à la source 30 % des revenus des actifs détenus aux États-Unis et infligera une pénalité de 40 % sur les avoirs dissimulés.

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Un « enfer » annoncé pour les resquilleurs, qui a séduit neuf pays européens – parmi lesquels le Royaume-Uni – désireux d’obtenir des Américains des informations sur leurs évadés fiscaux, par exemple dans l’État du Delaware. L’initiative a impressionné la Suisse, qui s’est empressée de s’y associer par crainte de voir le marché américain interdit à ses banques.

Le scandale Cahuzac et la publication, en avril, de milliers d’anomalies fiscales dénichées par le collectif de journaux et d’ONG connu sous le nom d’Offshore Leaks ont accéléré la prise de conscience collective : la seule façon de mettre fin à ces pratiques, en partie légales mais dommageables, est d’obliger les banques à tout dire sur les avoirs, les bénéfices et la gestion de leurs clients, sans les y contraindre par des procédures judiciaires trop lentes et trop lourdes.

Les uns après les autres, les paradis fiscaux sont en train d’accepter cet échange automatique de données. Singapour s’y est rallié, le Luxembourg aussi, quoique du bout des lèvres et avec force exceptions. Restent quelques récalcitrants obstinés, qui feignent d’en accepter le principe, mais demandent, avant de s’exécuter, que les banques du monde entier soient assujetties à cette obligation. Ce qu’on appelle une manoeuvre dilatoire…

Tel est le cas de la Suisse et de l’Autriche. Elles auront pourtant bien du mal à résister à l’assaut qui sera lancé de nouveau contre elles le 17 juin, lors du G8 de Lough Erne (Irlande du Nord), et surtout le 3 septembre, à Saint-Pétersbourg (Russie), à l’occasion de la réunion des chefs d’État et de gouvernement du G20.

De droite à gauche

La France n’a pas attendu pour publier une liste noire de dix-sept pays opaques, par lesquels ne pourra plus transiter son aide publique, sous quelque forme que ce soit. Parmi ces États « non coopératifs » figurent deux africains – le Botswana et le Liberia – et deux moyen-orientaux – les Émirats arabes unis et le Liban.

« Les paradis fiscaux, c’est terminé », s’était écrié Nicolas Sarkozy, alors président de la République, en 2009. « Ceux qui pensaient échapper à l’impôt en se réfugiant dans des paradis fiscaux doivent comprendre que l’impunité est terminée », lui a répondu le 22 mai, comme en écho, François Hollande, son successeur à l’Élysée. Ils finiront peut-être par avoir raison.

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