Iran : chacun pour soi et le Guide pour tous

Bien que les huit candidats retenus par le Conseil constitutionnel (moins un qui vient de se désister, le 11 juin) soient des fidèles d’Ali Khamenei, la présidentielle du 14 juin n’est pas dépourvue d’enjeux.

Le successeur de l’ayatollah Khomeiny, en mars 2011. © Reuters

Le successeur de l’ayatollah Khomeiny, en mars 2011. © Reuters

ProfilAuteur_LaurentDeSaintPerier

Publié le 11 juin 2013 Lecture : 4 minutes.

À en croire les quotidiens français, la présidentielle iranienne du 14 juin se résumera à turban blanc contre blanc turban. Les candidatures de dernière minute de l’ex-président Hachemi Rafsandjani et du bras droit du président sortant Esfandiar Rahim Mashaïe avaient donné un peu de couleurs à la campagne. Mais, le 22 mai, le Conseil constitutionnel a disqualifié le « séditieux » Rafsandjani, soutenu par une partie des réformateurs, et a exclu le « déviant » Mashaïe. L’éviction des deux outsiders ne laissant en lice que huit fidèles du Guide, les jeux seraient déjà faits et les élections sans enjeu.

« Contrairement à ce que disent les médias occidentaux, différentes sensibilités politiques sont représentées, nuance Hamed Nematollahi, de l’agence de presse semi-officielle Mehr. Les candidatures de Hassan Rohani, modéré proche de Rafsandjani, et de Mohamad-Reza Aref (qui s’est désisté le 11 juin en faveur de Rohani), ex-vice-président du réformateur Khatami, le montrent clairement. » Chercheur à l’Institut des relations internationales et stratégiques (Iris), Karim Pakzad détaille les différentes mouvances qui animent le camp conservateur. Les nationalistes d’Ahmadinejad écartés, trois tendances s’affrontent. La branche radicale et très conservatrice des Usulgarayan, les « principalistes », dont le champion, Saïd Jalili, aurait les faveurs du Guide ; une branche principaliste plus modérée avec le conseiller du Guide pour les Affaires étrangères Ali Akbar Velayati et l’ex-président du Parlement Haddad Adel ; enfin, la tendance centriste d’Aref et de Rohani, qui pourraient recueillir les suffrages des réformateurs.

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Reconfiguration

Malgré ces nuances, la soumission totale des huit candidats retenus au Guide confère une teinte monochrome à la campagne. Mais c’est ce qui amène Karim Pakzad à déclarer que « l’Iran n’a en fait jamais vécu de présidentielle aussi importante. Avec des présidents de gauche, du centre et du camp réformateur, il y a toujours eu un contre-pouvoir à celui du Guide. Il n’y en aura plus à l’issue de cette élection. C’est une reconfiguration profonde de l’exécutif, alors même que le régime est en perte de crédibilité et que les tensions sociales s’aggravent sur fond de crise économique aiguë ». Emploi et pouvoir d’achat restent en effet la priorité des Iraniens, confirme Hamed Nematollahi : « Les campagnes des candidats révèlent sans ambiguïté que la situation économique est ce qui préoccupe le plus les Iraniens. Ils cherchent quelqu’un qui saura réduire l’effet des sanctions. »

Plus que le résultat, c’est le déroulement du scrutin qui sera crucial pour l’avenir du régime.

Appliquées par les États-Unis et l’Union européenne pour forcer l’Iran à renoncer à son programme nucléaire, ces sanctions ont provoqué la fonte des réserves, une dépréciation dramatique de la monnaie nationale et la flambée des prix de l’essence, de l’eau, de l’électricité et de la nourriture. Auparavant chiffrés à 100 milliards de dollars par an (77,5 milliards d’euros), les revenus du pétrole ont été divisés par deux, et la soixantaine de milliards qui dort à l’étranger est impossible à rapatrier. Pour y faire face, les conservateurs déclarent vouloir développer une « économie de la résistance » qui a fait ses preuves : trouver des partenaires alternatifs (Chine et Inde), contourner les sanctions bancaires par le troc, recourir au marché noir, etc. Pour Clément Therme, chercheur associé à l’École des hautes études en sciences sociales (EHESS), « en insistant sur la crise économique, le régime veut montrer au peuple qu’il est conscient de ses problèmes et s’en préoccupe. Un bon moyen de mobiliser les électeurs ». Car le grand enjeu de cette élection sera la participation, qui donnera la mesure de la crédibilité et de la légitimité d’une République islamique encore jeune, isolée à l’extérieur, fissurée par la contestation de 2009 et minée par la rivalité Khamenei-Ahmadinejad du précédent mandat.

Participation

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Si les fonctionnaires et les fidèles du régime iront voter massivement, la plupart des réformateurs ont annoncé une position abstentionniste. Aux législatives de 2012, la participation, forte dans les zones rurales, avait été très faible dans les villes, moins conservatrices, notamment à Téhéran (25 % selon l’opposition). Le taux officiel global de 64 % avait alors été dénoncé comme un nouveau produit de « l’ingénierie électorale » du régime, qui l’aurait indûment gonflé. Pour contrôler les chiffres, le pouvoir cherche à imposer son emprise sur tous les canaux de communication : médias, internet, téléphonie mobile. Le 29 mai, le gouvernement a ainsi pris des mesures plus strictes pour la supervision des journalistes étrangers. L’annonce, le 30 mai, de la levée par Washington de l’embargo sur les ventes d’ordinateurs et de portables est-elle une contre-mesure ?

Plus que son résultat, c’est donc le déroulement de ce scrutin qui sera crucial pour l’avenir du régime. Ne laissant concourir que ses partisans, Khamenei s’assure déjà l’unification du prochain exécutif sous sa suzeraineté. Une participation importante au scrutin, réelle ou fabriquée, donnera à son régime une légitimité démocratique précieuse pour s’affirmer à la table des négociations internationales. Confortera-t-elle le Guide dans son apparent radicalisme ? « Khamenei n’est pas aveuglé par les dogmes, il peut faire preuve de souplesse », explique Pakzad. Voire engager de réelles réformes intérieures et accepter, sous sa houlette toute-puissante, quelques compromis avec l’Occident.

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Unis dans l’adversité

« Alors que les Iraniens entendent se multiplier les menaces d’attaques et de durcissement des sanctions, cette élection est aussi une question d’honneur national », insiste Hamed Nematollahi, de l’agence de presse semi-officielle Mehr. Le sentiment patriotique du vieux peuple iranien est puissant. Mashaïe, le candidat invalidé d’Ahmadinejad, avait été fustigé pour avoir prôné la primauté de la nation sur l’islam. Ce nationalisme atavique n’en reste pas moins un atout pour les conservateurs, qui brandissent les menaces externes pour fédérer. Comme en Syrie, Khamenei prétend incarner la résistance à l’ordre impérial américain : voter contre lui ou s’abstenir reviendrait à trahir la cause de la nation. En retour, montrer à la communauté internationale que les Iraniens sont unis autour du Guide donnerait aux revendications diplomatiques du régime le poids d’une exigence démocratique sans rapport avec la stratégie fanatique d’une caste religieuse si souvent dénoncée. L.S.P.

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