Les mille et un visages de Muhammad Ali

À travers de multiples témoignages, Frédéric Roux donne à voir différentes facettes d’un champion qui aura marqué son époque. À la fois généreux et arrogant, engagé et influençable.

Muhammad Ali à Moscou, en 1976. © AFP

Muhammad Ali à Moscou, en 1976. © AFP

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Publié le 31 mai 2013 Lecture : 6 minutes.

Tout, vous saurez tout sur Muhammad Ali ! Que vous soyez fan de boxe ou plutôt révulsé par ce « spectacle brutal et sordide », il y a fort à parier que vous vous laisserez happer par la lecture d’Alias Ali. Une somme que l’écrivain français Frédéric Roux aura mis neuf ans à écrire. Du plus grand champion de tous les temps, celui que l’on surnomma The Greatest, on aura tout dit. Que cette « grande gueule » était un génie du ring qui avait un sens inné du spectacle, mais qu’il était également idiot, influençable, dangereux. Certains de ses plus féroces détracteurs ont même osé avancer qu’il était un piètre boxeur qui ne savait pas « frapper » et que ses combats étaient truqués…

À ce flot de commentaires et d’avis aussi tranchés que peu objectifs, Frédéric Roux a eu la bonne idée de ne rien ajouter, préférant donner la parole aux contemporains de Cassius Clay. À sa mère et à son père, à ses adversaires et à ses entraîneurs, mais aussi à des écrivains comme Romain Gary ou Norman Mailer, à des cinéastes ou à des acteurs comme John Waters ou Sylvester Stallone, à son biographe Thomas Hauser ou encore au plasticien Andy Warhol, voire à des témoins fictifs. Au final, peu importe qui parle. Les voix se multiplient, se fragmentent, s’apostrophent, se répondent et donnent du relief au mythe.

Il refusait d’être le bon nègre (…) qui attendait que le gentil Blanc lui donne son su-sucre.

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Alias Ali n’est pas un roman. C’est un film. Les citations se suivent les unes les autres, sans transition ou presque, dessinant un personnage bien vivant, Cassius Clay alias Muhammad Ali. Jeu de jambes inimitable, vif, insaisissable, il est là, debout au milieu du ring, tel un danseur sur scène. Un courant d’air, une tornade qui traverse le siècle du combat des Noirs américains pour leurs droits civiques et de la guerre du Vietnam. Un souffle nouveau qui, par sa conversion à l’islam en 1964 et son engagement politique pour la dignité des siens, aura redonné à toute une génération l’espoir qui lui manquait pour se réaliser.

Malcolm x

Muhammad Ali n’était pas seulement un sportif. Il est, explique Eldridge Cleaver, membre du Black Panther Party, « le premier Noir champion du monde ET libre. Ali est un Fidel Castro noir. » « Nous n’avions pas l’intention de rejoindre la Nation [of Islam], précise la militante africaine-américaine Jill Nelson, mais nous admirions Ali pour son attitude. Il refusait d’être le bon nègre, le bon chrétien qui attendait que le gentil Blanc lui donne son su-sucre. On l’aimait parce qu’il était beau et fort, qu’il avait une grande gueule et qu’il l’ouvrait. Il incarnait nos émotions, notre colère, notre fierté, notre besoin d’être meilleurs que nous ne l’avions été jusqu’à présent. »

En compilant ces témoignages, Frédéric Roux a réussi un tour de force. Alias Ali n’est pas seulement l’histoire d’un poids lourd, c’est aussi celle d’une époque où une Amérique blanche puritaine et des activistes noirs se livrent une guerre sans merci. « Elijah Muhammad a tout de suite compris le bénéfice qu’il pourrait tirer d’une recrue comme Cassius Clay, il a envoyé Jeremiah Shabbaz pour s’occuper de l’éducation du jeune homme. La première chose qu’il lui a apprise, c’est que Dieu était noir, la seconde, que l’homme blanc était un démon », explique Thomas Hauser. Quant à Malcolm X, se souvient l’épouse de ce dernier, il « a tout de suite aimé Cassius, un peu comme il aurait aimé un frère plus jeune. Il ne voulait pas que sa conversion gêne sa carrière. Il pensait qu’elle devait rester une affaire privée tant qu’il n’avait pas la volonté ou bien la force de la rendre publique. » Muhammad Ali, sous l’emprise d’Elijah Muhammad, le « gourou » de la Nation of Islam, finira par lâcher Malcolm X peu avant son assassinat.

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Mais Muhammad Ali, c’est aussi l’Afrique. Il y a eu bien sûr le fameux combat contre George Foreman le 30 octobre 1974, à Kinshasa. Un match financé par Mobutu qui, selon le journaliste Jack Newfield, voulait « un événement le plus extravagant possible pour distancer son rival Idi Amin Dada dans une compétition tout ce qu’il y a d’imaginaire pour le leadership du continent africain ». Les sommes engagées sont colossales. « Ali touchera, en définitive, 5 450 000 dollars, soit davantage que ce que Joe Louis, Rocky Marciano ou Jack Dempsey avaient gagné durant toute leur carrière », avance Thomas Hauser.

Héros

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Dix ans auparavant, Ali a déjà foulé le sol africain. En mai 1964, il part en effet pour une tournée d’un mois sur le continent, au cours de laquelle il sera reçu, entre autres, par Kwame Nkrumah. « Il a commencé son voyage par le Ghana, où des milliers de personnes l’attendaient à l’aéroport pour l’acclamer. Tout le long du séjour, il a été traité comme un héros national », affirme Thomas Hauser. Mais surtout, soutient le journaliste Osman Karriem, « c’est en Afrique que Muhammad est devenu ce qu’il n’a jamais été jusqu’à présent. C’est en Afrique que Cassius Clay est devenu Muhammad Ali ». Ce que confirme le Prix Pulitzer 1994 David Remnick : c’était là « le premier aperçu de ce qu’il allait devenir : un boxeur plus important qu’un simple champion du monde, un symbole, le type le plus célèbre du monde. Ça a été le début de sa transfiguration ».

Ali est aussi un homme faible, influençable, certes généreux, mais qui s’est laissé abuser par son entourage et des promoteurs véreux. C’est un gaillard arrogant et prétentieux qui n’est pas toujours exempt de machisme. Mais l’histoire retiendra surtout qu’il « avait été les années 1960 à lui tout seul. Il était le Black Power à lui tout seul, l’opposition à la guerre du Vietnam à lui tout seul. Il avait plus de style que Dylan et il était plus marrant que les Beatles ». Une légende, en somme !

Extraits

30 octobre 1974 Stade du 20-Mai Kinshasa (Zaïre) George Foreman Victoire, K.-O. tech., 8e round

« Ali allait boxer sous le patronage du meurtrier de Patrice Lumumba, l’un des héros de Malcolm X ». Mike Marqusee

« Le combat va attirer des milliards de fans parce qu’Ali est russe, arabe, juif ! Ali est tout ce que peut imaginer l’esprit humain. Il plaît au monde entier ! Il plaît même à ceux à qui il plaît pas ! Il plaît même aux morts ! » Don King

« […] Ali avait toujours été très important pour moi. Je me souviens avoir écouté son disque au collège avec un copain de classe. C’est pour ressembler à Ali que j’ai commencé à faire de la boxe et je voulais boxer comme lui. Quand j’ai dit ça à Dick Sadler, il m’a dit : « O.K. ! je vais te faire boxer tout en finesse », mais dans les vestiaires avant mon premier combat pro, il m’a dit : « Oublie tout, frappe ! Descends-moi ce type ! » Avant chaque combat, c’était ce qu’il me répétait : « Oublie Ali, frappe ! » » George Foreman

« Foreman avait demandé un billet classe affaires pour son chien. Le président d’American Airlines avait dû intervenir pour que le chien obtienne un billet à son nom ». Jack Newfield

« Beaucoup de Zaïrois pensaient que Foreman était belge. Daggo, son chien berger, leur rappelait les chiens policiers des colons. » Felix Dennis & Don Atyeo

« Ali a été transcendé par le simple fait de se retrouver en Afrique alors que Foreman s’y est toujours senti comme un étranger. C’est l’un des aspects déterminants du combat, Ali aimait traîner avec les musiciens, se mêler à la population, Foreman évitait les interviews et les conférences de presse ; il vivait reclus avec son équipe et son chien. Se sentir isolé dans une atmosphère hostile n’a pas amélioré la confiance en lui du champion. » Jack Newfield

« Ali était logé à N’Sele dans une villa pas très éloignée des rives du Zaïre. L’intérieur avait été meublé par le gouvernement dans le style que l’on peut imaginer. Les pièces avaient beau faire le double de la surface de celles d’un motel, elles étaient aussi déprimantes avec leurs canapés recouverts de velours vert et leurs coussins orange. » Norman Mailer

« Ali était fou de joie, il se baladait dans des coins où il n’y avait même pas la télé et tout le monde savait qui il était. » Ferdie Pacheco

On se promenait tous les deux, main dans la main, au bord du Zaïre, c’est là que nous sommes tombés amoureux l’un de l’autre. » Veronica Porsche, alias Veronica Ali

J’peux pas vous dire bonjour, j’ai les mains dans les poches ! George Foreman Foreman gardait ses mains dans ses poches comme un chasseur garde son fusil dans son étui doublé de velours. » Norman Mailer

Ali était incroyablement confiant. Au milieu de toute cette agitation, il restait calme, serein. Rien ni personne ne l’énervait, sauf peut-être Don King. » Leon Gast

Copyright : Fayard, 2013.

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