France : NKM n’en fait qu’à sa tête
Bourgeoise ? Bien sûr. Bohème ? Un peu. Docile ? Pas vraiment. En dépit de l’hostilité de certains de ses amis politiques, Nathalie Kosciusko-Morizet devrait mener la liste UMP à l’assaut de la mairie de Paris en 2014. Face à la socialiste Anne Hidalgo, elle ne part pas battue d’avance.
«Inclassable », Nathalie Kosciusko-Morizet, comme l’affirme son amie Muriel Mayette, l’administratrice de la Comédie-Française, qui lui apprend l’art de captiver une salle en lui faisant répéter Bérénice de Racine ? Elle préfère se décrire d’un mot qui résume bien jusqu’ici son style et son parcours : la transgression. Elle en a appris les vertus de sa grand-mère, qui tenait la pharmacie des Arts à Paris : « Elle m’a toujours dit qu’une femme devait travailler pour avoir son autonomie et pouvoir claquer la porte. » Elle l’a transposé, plus tard, dans une formule dont elle a fait sa morale et sa loi : « Les femmes ne peuvent réussir que par la transgression. » Alors depuis, pour ça oui, elle transgresse, Nathalie.
Séduisante et séductrice, avec juste ce qu’il faut de gouaille jeuniste pour rappeler qu’elle vient à peine de passer quadra : « Tu me files une taffe ? » ou encore, en patrouille préélectorale rue Mouffetard : « Tu peux pas savoir comme je kiffe déjà. » Sa pâleur diaphane inspire aux auteurs des cover stories des magazines une surenchère de fantasmes sur sa « gracilité » de « sylphide préraphaélite ». Mais aucun journaliste ne s’y trompe. La « guerrière amazone » reprend vite des couleurs quand la colère lui monte aux joues. C’est-à-dire chaque fois qu’on lui résiste. Fine comme une lame, on l’imagine aussi bien sur un podium de mannequins – un hebdo féminin consacre toute une page à ses tenues chic et choc – que sur un tapis d’escrime. Ses vertigineux talons aiguilles sont déjà plus célèbres que la petite veste blanche de Ségolène Royal, au point qu’un de ses biographes se demande gravement si l’idée de constitutionnaliser le principe de précaution ne lui a pas été suggérée par… la difficulté de marcher ainsi chaussée sur les graviers de l’Élysée !
Très tôt elle se passionne pour l’écologie."Personne à droite ne s’y intéressait", explique-t-elle.
Anne Hidalgo, sa rivale socialiste pour la mairie de Paris, la présente comme « une bobo de droite née avec une cuillère d’argent dans la bouche ». Elle a certes été élevée dans l’aisance bourgeoise, mais aussi dans la sévérité d’une éducation familiale « pas toujours fun ». Il suffisait parfois d’une troisième place sur le carnet scolaire pour encourir le blâme paternel…
NKM ne se destinait pas à la politique. « Sinon, j’aurais fait Sciences-Po au lieu de préparer l’X », dit-elle. Scientifique « par goût de la vérité », ingénieure puisque polytechnicienne, ses premières orientations, déjà, la singularisent. Pour son service militaire, elle choisit la marine et embarque sur le pétrolier ravitailleur Var – 200 hommes à bord -, où notre enseigne de vaisseau assure le quart à la passerelle, jusqu’à Djibouti. Alors que ses petits camarades du concours de sortie se disputent les places convoitées du Trésor – « un travail de fille », rigole-t-elle -, elle opte pour la biologie avec, comme école d’application, celle du Génie rural, des Eaux et des Forêts, parce qu’elle s’est passionnée à 15 ans pour le phénomène des pluies acides. Première manifestation d’une vocation écologique qui s’étendra bientôt à l’ensemble de ce qu’on allait appeler le « développement durable ». Elle décide de s’y spécialiser, parce qu’« à l’époque, ces questions n’intéressaient personne à droite ». Une réaction significative, qui traduit chez elle à la fois une stratégie et une ambition : être là où on l’attend le moins. Avec, si possible, toujours un coup d’avance.
Franc-Parler
Il lui faudra moins de huit ans pour passer du cabinet de Jean-Pierre Raffarin, à Matignon, à un secrétariat d’État, puis à un super-ministère de l’Écologie et du Développement durable taillé sur mesure pour elle – il la plaçait en quatrième position dans la hiérarchie gouvernementale -, avec, en prime, les Transports et le Logement, gratin de la haute administration. Un « ministère de crises », remarque-t-elle sans le regretter. Inondations, tempêtes de neige, séries noires SNCF ou nuits blanches d’aéroport : autant de motifs d’invitation au journal de 20 heures !
En cette politique tant décriée, elle s’enrôle comme en religion pour « donner un sens à la vie ». Sans renoncer pour autant à son franc-parler, moins cependant pour faire parler d’elle à coups d’esclandres, comme l’en accusent ses adversaires des deux camps, que par un besoin irrépressible de dire ce qu’elle pense chaque fois qu’elle n’est pas d’accord. Autant de dérapages assumés, sinon toujours contrôlés, qu’elle persiste à considérer comme autant de « valeurs ajoutées ». Et puis, « à quoi bon brider sa nature, elle revient toujours au galop ».
À en croire Jean-Luc Mano, son manageur en communication, sa devise serait plutôt citius, altius, fortius (« plus vite, plus haut, plus fort »). Elle confie son admiration pour « l’autorité et le sens de l’État » de Margaret Thatcher au moment où les obsèques de la Dame de fer ravivent aussi les rancoeurs contre les dix années de régression sociale qu’elle orchestra. Elle affecte de voler au secours de « cette pauvre Ségolène Royal », enfin « casée » dans un organisme bancaire : « Je ne souhaite à aucune femme de dépendre de son ex pour une nomination. » Les socialistes dénoncent une « provocation », Adeline Hazan, la secrétaire aux Droits des femmes, s’indigne d’une « insupportable misogynie ». Pas du tout, se défend benoîtement NKM, « j’estime simplement qu’après avoir gagné la primaire de la gauche et obtenu des millions de voix à l’élection présidentielle, Ségolène Royal méritait mieux ».
"Deuxième sexe"
Quant à la misogynie… L’attaque la réjouirait presque, tant certains à l’UMP se méfient de son féminisme. De la lecture du Deuxième Sexe, de Simone de Beauvoir, elle a retenu que le sexisme est « un appauvrissement ». Et la mixité, « la clé de l’innovation, car s’il n’y a que des hommes, la créativité s’en ressent ». Elle s’est toujours interdit d’être une femme-alibi, comme à l’Assemblée nationale, où, « après un accueil tout miel, on vous relègue aux affaires de crèches ». Et elle a enragé que François Fillon lui refuse le ministère de la Santé parce qu’elle attendait son deuxième garçon.
Car il faut lui rendre cette justice qu’elle n’est guère plus accommodante avec ses amis du gouvernement, voire avec ses patrons, qu’avec ses adversaires politiques. Un jour, en plein débat sur les OGM, elle s’est estimé désavouée parce que ses amis de la majorité avaient voté un amendement communiste. Elle s’est alors défoulée dans le quotidien Le Monde (« j’en ai marre d’être confrontée à une armée de lâches »), a reproché à Jean-François Copé de ne pas tenir ses troupes, et à Jean-Louis Borloo de « se contenter du minimum ». Sous les quolibets (« Khmère verte ! », « Végétarienne anorexique ! »), elle a été rappelée à l’ordre par François Fillon, qui l’a obligée à s’excuser sous peine d’être démise de ses fonctions, puis l’a privée de voyage officiel au Japon. Les OGM sont décidément pour elle un dossier à haut risque. Pour avoir embrassé l’écologiste José Bové en l’accueillant à une réunion de travail, ne s’est-elle pas fait tancer en plein conseil des ministres par Nicolas Sarkozy, pourtant familier de la diplomatie des bisous ?
Jacques Chirac savait à quoi s’en tenir quand il la qualifiait tour à tour d’« emmerdeuse » ou de « chieuse », selon qu’une certaine complicité l’emportait ou non dans ses humeurs sur l’exaspération. Elle s’en était tirée avec une impertinence bravache, dédiant son prix de « ministre de l’année » à « toutes celles qui se sont entendu un jour traiter d’emmerdeuses ». « Elle ne lâche jamais et revient toujours à la charge, remarque son ami et parent Bernard Debré. C’est un animal politique. » Catégorie grand fauve qui chasse en solo. On en a eu la démonstration quand, vite fait bien fait, elle a brisé les pattes à la candidature concurrente de Jean-Louis Borloo à la mairie de Paris. Une opération manigancée pourtant par Jean-François Copé, toujours en proie à ses obsessions élyséennes et peu désireux de laisser le champ libre dans la capitale aux ambitions d’une filloniste.
Circonspecte sur les chances d’un retour de Sarkozy (« c’est un homme de devoir, mais nous ne devons pas nous contenter d’attendre »), c’est sur son conseil que Mme le maire de Longjumeau a décidé de se lancer à la reconquête de Paris. « Pas un choix de confort, admet-elle, mais pas non plus un bastion imprenable. » Car, bien qu’Anne Hidalgo reste la préférée des sondages, elle est la favorite de la droite.
La primaire qui devait la plébisciter n’est plus sans risque depuis que son abstention sur la loi Taubira mobilise jour après jour contre sa candidature les jusqu’au-boutistes de l’opposition UMP au mariage pour tous. Boycottée par Marine Le Pen, elle reçoit en revanche le soutien de Marielle de Sarnez, la vice-présidente du parti centriste de François Bayrou. Le scrutin s’annonce finalement comme un vrai challenge. Tout pour plaire à Nathalie-la-rebelle. À son goût du risque, comme à son besoin de défi.
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