Tunisie : que faire des salafistes ?

Ils défient l’État, font fi de la loi et prônent ouvertement le jihad. Après bien des atermoiements, les autorités ont enfin décidé de sévir contre les membres d’Ansar el-Charia.

Lors des affrontements à Ettadhamen, le 19 mai. © AFP

Lors des affrontements à Ettadhamen, le 19 mai. © AFP

Publié le 3 juin 2013 Lecture : 5 minutes.

Ansar el-Charia (« les partisans de la charia ») ne sont pas des salafistes comme les autres. Contrairement aux piétistes, ils prônent la lutte armée au nom d’Allah pour instaurer un califat islamique transnational. Bien qu’ils aient déclaré que la Tunisie « était une terre de prédication » et qu’il était absurde « d’envisager le jihad en terre musulmane », le doute n’est plus permis : la mise au jour de leurs camps d’entraînement dans le Jebel Chaambi, au début de mai, leurs connexions avérées avec des groupes liés à Al-Qaïda, dont la katiba Okba Ibn Nafaa, et la découverte de caches d’armes dans leurs autres fiefs accréditent l’idée qu’ils s’apprêtaient à commettre des actes terroristes. Pour les autorités, la coupe est pleine. Après avoir toléré les rassemblements d’Ansar el-Charia, elles ont décidé d’interdire la tenue de leur congrès annuel, le 19 mai, à Kairouan.

Une décision qui a fait sortir de leurs gonds les militants salafistes, lesquels n’ont pas hésité à s’attaquer aux forces de sécurité, symbole d’un État qu’ils ne reconnaissent pas. Attendus à Kairouan, ils ont pris de court gendarmes et policiers en transposant avec une incroyable rapidité leur démonstration de force à la cité Ettadhamen, quartier populaire de la périphérie de Tunis, où les affrontements avec les forces de l’ordre ont fait un mort et des dizaines de blessés. Menaçant, leur porte-parole, Seifeddine Raïs, assure que « plus la pression exercée est forte, plus l’explosion sera intense » et que « la charia sera appliquée pour juger les responsables qui ont empêché la tenue du congrès ».

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Ansar el-Charia, qui n’ont aucune existence légale, n’étaient que quelques centaines en 2011. Aujourd’hui, ils seraient plusieurs dizaines de milliers – 50 000, dit-on – regroupés autour de la figure centrale d’Abou Iyadh, ancien combattant en Afghanistan, proche d’Al-Qaïda au Maghreb islamique (Aqmi), condamné pour terrorisme, puis libéré à la faveur de l’amnistie générale en 2011. Soupçonné d’être l’instigateur de l’attaque contre l’ambassade des États-Unis à Tunis, le 14 septembre 2012, il est aujourd’hui en fuite.

Arrogance

Depuis sa « planque », cet ancien informateur des renseignements généraux sous Ben Ali – selon un document du site WikiLeaks – nargue l’État et qualifie les policiers d’imbéciles après les heurts d’Ettadhamen, car, a-t-il expliqué, « ils ont contribué à propager notre cause sans qu’il y ait besoin de publicité ». Cette montée en puissance a été savamment et patiemment construite. La mouvance a recruté ses cadres parmi les imams radicaux revenus d’exil après la révolution et, selon un responsable des brigades d’intervention spéciales, parmi les « 1 200 salafistes, dont 300 ont combattu en Afghanistan, en Irak, au Yémen et en Somalie », libérés en 2011 à la faveur de l’amnistie.

La mouvance d’Abou Iyadh s’est réimplantée dans les zones populaires, en prenant le contrôle de 500 mosquées et en multipliant les actions caritatives.

Elle s’est réimplantée dans les zones populaires et les campagnes, et a étendu son influence en prenant le contrôle de 500 mosquées et en multipliant les actions caritatives. Cette présence lui a permis de s’attirer la sympathie d’une partie de la population et de recruter des jeunes désoeuvrés qu’elle a envoyés combattre en Syrie. Profil type de l’apprenti jihadiste, selon le politologue Slaheddine Jourchi : « Un jeune au chômage qui, déçu par les promesses non tenues, entouré de vide culturel, sans vie personnelle ni avenir, trouve un exutoire à sa rage dans l’embrigadement. Ce n’est pas par hasard que les rangs salafistes grossissent à vue d’oeil ; ils recrutent dans les régions les plus pauvres. »

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Ansar el-Charia ont également fait des adeptes dans les milieux estudiantins. Ces nouveaux salafistes ne sont pas des combattants, mais ils n’en restent pas moins inflexibles sur la question du retour à l’islam des origines et sont mus par une colère vindicative qu’ils propagent sur les réseaux sociaux. La direction de la mouvance est elle-même en mutation ; le chef spirituel non voyant Cheikh el-Khatib el-Idrissi, qui affirmait que « si les salafistes voulaient intégrer la politique, ils gouverneraient déjà », a disparu de la circulation, de même que Tarak Maaroufi, compagnon de combat d’Abou Iyadh, revenu d’exil en mars 2012.

Rupture

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Mais il ne suffit pas d’une assise populaire pour s’imposer. La mouvance salafiste a donc tissé des liens étroits avec Ennahdha, à laquelle elle a apporté son soutien lors de la campagne électorale de 2011. Mais le recul des islamistes « modérés » sur la constitutionnalisation de la charia a creusé le fossé entre le pouvoir et les extrémistes, qui se sont sentis trahis. Depuis, les adeptes d’Ansar el-Charia se comportent comme des électrons libres, allant jusqu’à qualifier Ennahdha de parti laïc. Les violences répétées et les incitations à la haine ont achevé de les rendre impopulaires auprès d’une population majoritairement modérée.

Conscient du danger, le chef du gouvernement, Ali Larayedh, a durci le ton, aidé en cela par la nomination à la tête du ministère de l’Intérieur d’un magistrat indépendant, Lotfi Ben Jeddou (lire encadré ci-dessous), lequel a fait preuve d’une grande fermeté. Il n’est désormais plus question de chercher un compromis avec cette frange extrémiste. Après l’attaque contre l’ambassade américaine, qui a valu au pays un embargo sur certains financements internationaux, et les événements de Jebel Chaambi, Ennahdha a fini par se résoudre à condamner Ansar el-Charia, désormais qualifiés de « terroristes », même si son président, Rached Ghannouchi, et d’autres cadres sont toujours aussi ambigus. Les affrontements de la cité Ettadhamen ont confirmé la capacité de nuisance des partisans d’Abou Iyadh et scellé la rupture entre salafistes et islamistes. Face aux pressions internationales et à l’inquiétude des citoyens, Ennahdha n’a d’autre choix que de couper le cordon ombilical avec les extrémistes. Faute de quoi son image en serait gravement écornée.

L’homme de la situation

Aux commandes du ministère de l’Intérieur depuis le 8 mars 2013, Lotfi Ben Jeddou, 48 ans, ancien procureur de la République à Kasserine, a hérité d’une situation sécuritaire délicate. Un mois auparavant, l’assassinat de Chokri Belaïd avait conduit à la démission du gouvernement de Hamadi Jebali. Magistrat indépendant, Ben Jeddou s’était distingué en enquêtant sur les événements sanglants de Kasserine et Thala (Nord-Ouest) en janvier 2011 et en lançant des mandats de dépôt contre le ministre de l’Intérieur de l’époque, le directeur général de la sûreté et trois généraux. Respecté pour son intégrité, il impose son style dès sa prise de fonctions dans le bunker gris de l’avenue Bourguiba. Très vite, il met en place des cellules de crise antiterroristes et propose une loi protégeant les agents dans l’exercice de leurs fonctions. Le ton du ministère de l’Intérieur change, la communication est plus fluide et les forces de l’ordre s’affirment comme républicaines. Face aux extrémistes, Lotfi Ben Jeddou fait preuve de fermeté, mais en prenant soin de consulter les différentes formations politiques. Il n’en fallait pas plus pour rassurer les Tunisiens. F.D.

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