Côte d’Ivoire : fin de partie pour Amadé Ouérémi
Le tristement célèbre chef de milice, Amadé Ouérémi, qui sévissait depuis des années dans l’ouest de la Côte d’Ivoire, a été arrêté. Il en aura fallu du temps et des exactions…
«En octobre dernier, j’ai fait la promesse de partir après la grande récolte de cacao, mais la petite traite a tellement donné que je suis retourné dans la forêt. Je regrette mon attitude, j’ai commis de graves erreurs », a expliqué, contrit, Amadé Ouérémi aux gendarmes venus l’interroger après son arrestation. C’était le 18 mai, à 11 heures, au camp militaire de Duékoué, dans l’ouest de la Côte d’Ivoire.
Deux heures plus tard, le seigneur du mont Péko a été transféré par hélicoptère à Abidjan, où il est actuellement en résidence surveillée dans l’attente d’une décision des autorités. Il faut dire que ce planteur d’un genre particulier est soupçonné de crimes de guerre qu’il aurait commis durant la crise postélectorale de 2010-2011 (notamment le massacre du quartier du Carrefour, lors de la prise de Duékoué, fin mars 2011), mais aussi après (la destruction du camp de déplacés de Nahibly, en juillet 2012), sans parler des trafics sur lesquels il avait la haute main.
« L’arrestation de Ouérémi montre que le président Ouattara peut mettre de l’ordre s’il le veut », a réagi Mamadou Koulibaly, ancien président de l’Assemblée nationale. Le patron de Liberté et Démocratie pour la République (Lider), formation d’opposition, demande toutefois la mise en place d’une commission d’enquête parlementaire pour identifier les complices du chef milicien et mettre au jour tous ses trafics. Pour les autorités, il reste aussi à faire déguerpir des forêts classées du parc national du mont Péko tous les planteurs illégaux qui les ont investies depuis une dizaine d’années, à l’instar de Ouérémi.
"C’est à la Côte d’Ivoire de le juger"
Le 22 mai, les pouvoirs publics ivoiriens n’avaient toujours pas indiqué ce qu’ils comptaient faire du détenu. Plusieurs solutions sont envisageables : un jugement en Côte d’Ivoire, un transfert à La Haye (Pays-Bas) devant la Cour pénale internationale (CPI), ou encore une extradition au Burkina Faso, dont il est ressortissant. « Il a commis ses crimes chez notre voisin ivoirien. C’est à la justice de ce pays de le juger », estime toutefois un conseiller du président burkinabè, Blaise Compaoré.
Le chef de milice burkinabè a été cueilli, le 18 mai, par les troupes du bataillon de sécurisation de l’Ouest (BSO), dirigé par le commandant Losseni Fofana, dit « Loss », et du bataillon de sécurisation du Sud-Ouest, commandé par le capitaine Yacouba Diomandé, dit « Delta ». Quelque 200 hommes, appuyés par ceux de la gendarmerie, s’étaient déployés, deux jours plus tôt, près du mont Péko, où étaient retranchés Ouérémi et ses miliciens, estimés à plus d’une centaine.
À 3 heures du matin, les soldats sont arrivés dans son fief, un campement à 8 km du village de Bagohouo. Ils lui ont demandé de le suivre. Il a refusé et a exigé la présence du lieutenant Coulibaly, ancien commandant des Forces républicaines de Côte d’Ivoire (FRCI) de Kouibly, aujourd’hui chargé de la zone de Tabou (Sud-Ouest). Arrivé rapidement sur les lieux, ce dernier, vieille connaissance du milicien, l’a convaincu de rejoindre Bagohouo pour un interrogatoire. Une fois sur place, Ouérémi s’est rendu compte qu’il s’était fait piéger. Son garde du corps a tenté de s’opposer avant d’être neutralisé. Les soldats ont alors déshabillé Amadé et l’ont débarrassé de ses nombreuses amulettes pour lui passer des habits neufs, avant de le transférer à Duékoué.
Né en 1964 à Akakro, dans la sous-préfecture d’Oumé (Centre-Ouest), Ouérémi, de son vrai nom Amadé Wirmi, est un enfant de l’immigration. À l’époque, ses parents, tous deux burkinabè, sont employés comme manoeuvres agricoles. Quelques mois après sa naissance, ils retournent à Ouahigouya, grande ville du nord du Burkina, où leur fils va grandir au milieu de ses frères.
Hors-la-loi
À l’âge de 22 ans, il décide de tenter sa chance en Côte d’Ivoire. Il s’installe à Bagohouo en compagnie de son frère Madi. Il travaille d’abord comme réparateur de vélos, puis devient planteur. Pendant son temps libre, il exerce comme féticheur. Rien de très illégal jusqu’alors. Mais la partition du pays, en septembre 2002, instaure une ligne de démarcation, appelée « zone de confiance ». Cette dernière est supervisée par les forces françaises et onusiennes, qui ne s’aventurent que rarement dans les forêts classées. Quant aux agents des Eaux et Forêts qui les protègent, ils n’ont plus accès au parc national du mont Péko. Amadé s’y installe donc et en évince un Malien du nom de Bakary. Petit à petit, il devient un hors-la-loi et se met à commercer avec les chefs rebelles. Avec leur complicité, il recrute des planteurs et se lance dans le braconnage, le trafic de cacao, de bois, de diamant, d’ivoire et de cannabis. Des activités très lucratives qui rapportent quotidiennement des millions de francs CFA. Produits et minerais sont acheminés au Burkina, via les chefs de la rébellion.
Le chef de milice (keffieh sur la tête) et ses hommes dans leur campement au Mont Péko, avril 2011.
© DR
Lorsque la crise postélectorale éclate, en décembre 2010, Ouérémi est appelé à la rescousse par le commandant Fofana et le lieutenant Coulibaly, alors en poste à Kouibly. Il participe aux réunions préparant l’offensive à Man. Le 27 mars 2011, peu avant les attaques des FRCI à l’ouest, il reçoit des armes de la main de Maho Glofiehi, chef des milices pro-Gbagbo de l’Ouest, qui a été retourné par Loss. Deux jours plus tard, les hommes de Ouérémi, de Loss, de Coulibaly et de Dramane Traoré (actuel chef du bataillon de sécurisation de la région du Guémon) attaquent la ville de Duékoué. Bilan : plus de 800 morts, selon les ONG. Une fois Gbagbo arrêté, le 11 avril 2011, les miliciens de Ouérémi continuent d’être utilisés comme forces supplétives de la nouvelle armée dans les opérations de ratissage de la région de San Pedro jusqu’au 10 août 2011. Ce jour-là, l’Opération des Nations unies en Côte d’Ivoire (Onuci) récupère des armes et des munitions auprès de 90 membres de la milice. Ces derniers regagnent toutefois leur fief avec une bonne partie de leur arsenal et leurs tenues militaires. Pour les remercier, Loss plaide auprès du gouvernement le déclassement de la forêt du mont Péko. En vain.
Sans pitié
Pourquoi suis-je le seul accusé de crimes alors que j’ai combattu aux côtés des forces pro-Ouattara ?
Au fil des mois, Ouérémi devient de plus en plus encombrant pour les autorités. Les ONG, la société civile et l’opposition souhaitent qu’il rende des comptes pour les massacres perpétrés à Duékoué. Ces derniers temps, après avoir promis d’en déguerpir, il refusait de quitter le mont Péko et de recevoir les émissaires du pouvoir. En fait, il étendait sa zone d’influence dans les forêts avoisinantes et avait construit dernièrement un pont sur la Sonh, l’un des principaux affluents du fleuve Sassandra, pour développer ses activités. Coût de l’opération, dont le milicien s’était vanté : plus de 80 millions de F CFA (122 000 euros). Le 29 avril dernier, jour du début de la tournée du président Ouattara dans l’ouest du pays, il dépêche ses éléments à Tobly-Bangolo pour brûler le village et exécuter l’épouse de son frère aîné, Madi, tué quelques jours plus tôt par l’amant de sa femme. C’est la goutte d’eau qui fait déborder le vase. Les autorités décident d’agir.
« Pourquoi suis-je le seul accusé de crimes alors que j’ai combattu aux côtés des forces pro-Ouattara ? Ils veulent manger sans moi », confiait récemment Ouérémi à l’un de ses proches. Sentait-il la fin venir ? Ce père de 26 enfants, marié à 6 femmes, analphabète, se plaignait aussi régulièrement de ne pas avoir été rémunéré pour sa participation à l’offensive de l’Ouest et que ses hommes soient les grands oubliés du plan de désarmement et de réinsertion. Aujourd’hui, il prétend avoir des regrets. Ceux qui le connaissent décrivent, eux, un homme sans pitié, colérique, prêt à tout pour l’argent.
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Par Pascal Airault
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