Mali : alliances touarègues et sables mouvants
Ruptures, ralliements, revendications… Dans le nord du pays, les positions des nombreux groupes touaregs n’en finissent pas de changer. Et de freiner les espoirs de paix.
Dans le Mali septentrional, il en va des alliances politiques comme des dunes de sable : le paysage peut changer d’un jour à l’autre. Alors que l’élection présidentielle annoncée pour le 28 juillet approche et que l’on ne sait toujours pas si l’on pourra voter à Kidal – la ville du Grand Nord toujours occupée par les hommes en armes du Mouvement national de libération de l’Azawad (MNLA), ce qui constitue, pour nombre de Maliens, un scandale -, on assiste à une recomposition aussi spectaculaire qu’indécise des forces en présence.
Une partie des Ifoghas, tribu qui fut à l’origine de toutes les insurrections touarègues depuis l’indépendance mais a été reléguée ces dernières semaines au second plan de la rébellion, tente de reprendre la main à travers l’une de ses illustres familles : les Intalla. « C’est une constante dans l’histoire des rébellions, explique un fin connaisseur du monde touareg. Dès que les combats sont en voie d’extinction, chacun essaie de se placer pour participer aux discussions. »
Le 19 mai, Intalla Ag Attaher, le patriarche octogénaire, a fait savoir qu’il démissionnait du MNLA pour prendre la présidence du Haut Conseil de l’Azawad (HCA), une structure mise sur pied il y a quelques semaines par l’un de ses fils, Mohamed Ag Intalla. Le même jour, un autre de ses fils, Alghabass Ag Intalla, annonçait à son tour son ralliement au HCA et, par là même, la dissolution de son groupe armé, le Mouvement islamique de l’Azawad (MIA). Un coup dur pour le mouvement qui a déclenché la rébellion en janvier 2012, comme en témoigne le démenti énergique mais vain de l’un de ses représentants installé à Ouagadougou, Ibrahim Ag Mohamed Assaleh : « C’est de l’intox. Intalla n’a pas démissionné. »
Malgré son grand âge et ses problèmes de santé, Intalla Ag Attaher reste une référence. Depuis qu’il a hérité de son père (Attaher Ag Illi), en 1962, le titre d’aménokal de Kidal, il est à la fois le chef suprême des Ifoghas (et, à ce titre, l’autorité morale de Kidal) et le patriarche de toutes les tribus vivant dans l’Adrar des Ifoghas.
Destiné
À la naissance du MNLA, en octobre 2011, il ne manquait aucun Intalla. Aujourd’hui, il n’en reste plus un seul. Le fils aîné de l’aménokal, Mohamed, député à l’Assemblée nationale, a également quitté le mouvement armé le 19 mai. C’est lui qui, il y a quelques semaines, a créé le HCA, dont il est aujourd’hui le secrétaire général. « Pour intégrer le HCA, explique-t-il à Jeune Afrique, il faut n’appartenir à aucun autre groupe. D’où la démission de mon père et la mienne. » D’où, aussi, la dissolution du MIA décidée par son frère, Alghabass. Le parcours de ce dernier illustre la mouvance des alliances dans la région.
Destiné à succéder à son père à la tête des Ifoghas (ainsi en a décidé « le vieux »), Alghabass, qui, comme son frère, est député de l’Assemblée nationale, a d’abord participé à la création du MNLA. Lorsque Iyad Ag Ghaly, vexé de n’avoir pu prendre la tête du MNLA, a, quelques semaines plus tard, créé son propre groupe armé, Ansar Eddine, il a décidé de le suivre. « Alghabass n’est pas un islamiste, mais il a estimé qu’Iyad était le meilleur choix », explique un familier du clan. Mauvaise pioche : en janvier, après l’échec de son offensive sur le Sud, Iyad, qui s’était allié aux groupes jihadistes, est définitivement devenu infréquentable.
Alghabass a alors créé le MIA. Depuis, il a régulièrement tenté de se rabibocher avec les dirigeants du MNLA et de renouer avec les Français. Aux premiers, il a proposé de fusionner et de changer de nom, sans succès. « Le MNLA estime qu’il a la légitimité et surtout la reconnaissance internationale. Pour eux, il est hors de question de changer de nom. La seule chose qu’ils nous proposent, c’est de les rejoindre », expliquait en mars un cadre du MIA. Aux seconds, il a réclamé d’être considéré comme un interlocuteur pour la paix, toujours sans succès. « Les Français ne veulent pas discuter avec un groupe issu d’Ansar Eddine », explique un diplomate ouest-africain. D’où son nouveau pari : le HCA.
Failles
Officiellement, le Haut Conseil est là pour rassembler et faire la paix. « Notre objectif, à court terme, est de réconcilier tous les Azawadiens : les Touaregs, les Arabes, les Peuls, les Songhaïs, indique Mohamed Ag Intalla. À plus long terme, nous voulons trouver une solution – l’autonomie ou une fédération – avec le gouvernement malien et la communauté internationale. » La volonté des Intalla de fédérer « l’ensemble des communautés du Nord » est cependant loin de faire l’unanimité. « Ce n’est rien d’autre qu’un moyen, pour les gens d’Ansar Eddine et du MIA, de se refaire une virginité », peste un représentant des Imghads, une tribu touarègue en rupture avec les Ifoghas. Et de poursuivre : « Les Ifoghas sont le problème du Nord. Ils ne comprennent pas la démocratie. Pour eux, il est impensable qu’un autre groupe que le leur gouverne. »
Les Azawadiens ont déjà fait leur choix : celui du MNLA.
Au MNLA, où l’on trouve plusieurs groupes touaregs mais où les Ifoghas sont en minorité, il n’est pas besoin de creuser en profondeur pour entendre le même son de cloche. Dans un communiqué publié le 21 mai, Moussa Ag Attaher, un porte-parole, rappelle que « le Haut Conseil de l’Azawad est une initiative mise en place par certains notables de la région de Kidal et ne représente de ce fait qu’une structure locale. Le MNLA […] est un mouvement national dépassant le cadre local de Kidal ». Certes, le groupe armé a donné son accord de principe pour intégrer le HCA, mais il ne veut voir dans cette nouvelle entité qu’une simple « commission chargée de faciliter l’union des Azawadiens ». Il est pour lui hors de question de s’y fondre. Encore moins de le laisser participer aux négociations avec l’État malien. « Les Azawadiens ont déjà fait leur choix : celui du MNLA, vitupère Ag Assaleh. Le MIA et le MAA [Mouvement arabe de l’Azawad] sont des groupes de blanchiment de terroristes ! »
La virulence de la réaction du MNLA illustre ses failles. Selon un spécialiste de la région, le groupe est traversé par deux tendances a priori irréconciliables : « D’un côté, il y a les Libyens, ceux qui ne connaissent pas le Mali, ont grandi en Libye et ne sont venus avec les armes qu’en 2011, après la chute de Kadhafi. Ce sont les plus radicaux. Ils sont déconnectés de la réalité. Ils ne veulent pas intégrer le HCA et feront la guerre jusqu’au bout. De l’autre, il y a les Touaregs du Mali, qui sont plus respectueux des traditions et n’iront pas à l’encontre de l’aménokal. Ceux-là sont prêts à faire la paix et à rallier le HCA. »
Les premiers sont dirigés par le chef d’état-major du MNLA, Mohamed Ag Najiim, un Idnan qui a intégré l’armée de Kadhafi dans les années 1980 (il a notamment combattu au Tchad). C’est lui le vrai patron du mouvement. Les seconds suivent Bilal Ag Acherif, qui a étudié en Libye mais est resté proche « des gens du bled », et qui appartient à la communauté des Ifoghas. Malgré son titre de président du mouvement, il n’est pas le dernier décideur. Tous deux sont basés à Kidal.
Hommes en armes du MNLA dans les rues de Gao, juin 2012.
© DR
Le départ des Intalla pourrait être une conséquence de la « rupture entre ces deux groupes » dont parlent plusieurs familiers du Nord-Mali. Selon une source diplomatique, d’autres personnalités ont démissionné ces derniers jours, parmi lesquelles des officiers de l’armée malienne qui avaient déserté en 2012. « On va vers l’isolement du MNLA », parie un médiateur, qui rappelle que la France ne le soutient plus avec la même vigueur que par le passé (lire ci-dessous). La position du groupe armé est d’autant plus intenable qu’il est en conflit avec d’autres mouvements du Nord. « Ils sont presque en guerre avec les Arabes. Et les Imghads, qui sont restés fidèles au Mali et au colonel Gamou, n’attendent que le feu vert de Bamako pour en découdre avec eux », explique un Touareg basé dans un pays voisin.
Nouvelles menaces
Mi-mai, de violents affrontements ont opposé des combattants du MNLA à des hommes du MAA dans la région d’Anefis. Le MNLA, qui sait ce que les Occidentaux veulent entendre, affirme qu’il s’agissait d’une « attaque terroriste ». Une source sécuritaire régionale précise que le MAA, groupe armé qui a vu le jour en avril 2012 et aurait opéré un rapprochement avec le Mouvement pour l’unicité et le jihad en Afrique de l’Ouest (Mujao), constitue « une nouvelle menace terroriste ». Il fait pourtant partie des interlocuteurs à prendre en compte.
Dans ces conditions, il semble difficile pour le médiateur, le président burkinabè Blaise Compaoré, comme pour Tiébilé Dramé, le représentant du président malien Dioncounda Traoré, d’entamer des négociations. Tout le monde, à Paris comme à Bamako et à Kidal, semble cependant s’accorder sur un point : il n’y aura de discussions sérieuses qu’après les élections. En attendant, ni le MNLA ni le HCA ne veulent voir l’armée malienne pénétrer à Kidal. « Les élections devront être sécurisées par la France et les Nations unies », exige Mohamed Ag Intalla. Ouagadougou négocie un accord allant dans ce sens.
Y a-t-il encore une "french connection" ?
Le Mouvement national de libération de l’Azawad (MLNA) a-t-il toujours ses entrées au Quai d’Orsay ? La dernière délégation de la rébellion touarègue, conduite par son chef, Bilal Ag Achérif, a été reçue le 22 novembre 2012 à Paris par Jean Félix-Paganon, le représentant spécial de la France pour le Sahel, remplacé depuis par Véronique Roger-Lacan. Et leur principal interlocuteur au ministère français des Affaires étrangères, Laurent Bigot, qui était chargé de l’Afrique occidentale au Quai d’Orsay, a été démis de ses fonctions en mars. Dans l’une de ses dernières notes, il préconisait que le MNLA devienne une formation politique pour enclencher le dialogue avec les autorités maliennes. Lors de son passage à Bamako en février, François Hollande a lancé un appel au désarmement des groupes armés, dont le MNLA. Appel réitéré récemment par les militaires français. Mais le 2 mai, le ministre de la Défense, Jean-Yves Le Drian, s’est inquiété d’un vide sécuritaire dans l’Extrême-Nord et a rappelé l’importance du processus de réconciliation au Mali, notamment celle du dialogue entre le pouvoir et le MNLA. Sur le terrain, à Kidal, les officiers français ont des contacts réguliers avec Mohamed Ag Najim, chef d’état-major du MNLA. Ses troupes sont déployées dans la région, où la France tient l’aéroport, et Paris semble utiliser la connaissance du terrain qu’ont ses hommes pour y traquer les jihadistes. Le MNLA trouve aussi, parmi les parlementaires français, des oreilles attentives à ses revendications autonomistes, comme Élisabeth Guigou, présidente de la commission des Affaires étrangères de l’Assemblée nationale, qui s’est prononcée en février pour la mise en place d’un plan d’autonomie dans le nord du Mali. François Alfonsi, eurodéputé de Corse, a aussi reçu des membres du MNLA fin avril à Paris. Sur le plan médiatique, le porte-parole du mouvement, Moussa Ag Assarid, fait jouer son carnet d’adresses d’ancien pigiste à Radio France Internationale et à France Culture pour accéder aux rédactions parisiennes. Il en fait notamment profiter tous les responsables du MNLA, dont Nina Wallet Intalou, inlassable militante de la cause indépendantiste du mouvement. Pascal Airault.
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Par Rémi Carayol
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